A paraître dans « L’événement politique en ligne », Brigitte Sebbah (éd.), Scie

A paraître dans « L’événement politique en ligne », Brigitte Sebbah (éd.), Sciences de la société, n° 101 L’événement de réception. Un événement de parole du côté des publics. Laura Calabrese, Université libre de Bruxelles, ReSIC Résumé Cet article explore un phénomène de plus en plus présent dans les médias d’information en ligne, à savoir, l’utilisation par les journalistes d’énoncés produits par les internautes en réponse à des déclarations politiques. En recueillant ces données, le plus souvent sur Twitter vu l’ergonomie de ces énoncés brefs, les journalistes se font écho des paroles des publics médiatiques et construisent ce que nous appelons un « événement de réception ». Cet usage s’inscrit dans la logique des médias sociaux, selon laquelle tout énoncé peut devenir événementiel avec le cadrage adéquat. Abstract This paper explores how journalists are using discourse produced by ordinary citizens, particularly twits written in response to a political statement. By collecting these easily traceable reactions coming from online users, journalists amplify their voice and construct a new kind of media event. This new trend fits into the social media logic, according to which any reaction can become newsworthy with the right frame. Resumen Este artículo investiga un fenómeno cada vez más frecuente en los medios de información en línea: la utilización por los periodistas de enunciados escritos por los internautas como reacción a una declaración política. Al recolectar estas reacciones, mayormente provenientes de Twitter (dada la ergonomía de sus enunciados breves), los periodistas construyen lo que hemos llamado un “acontecimiento de recepción”. Esta tendencia refleja la lógica de los medios sociales, según la cual cualquier enunciado puede ocupar la escena mediática con el encuadre adecuado. La notion d’événement politique en ligne nous invite à nous demander ce qui, dans la mise en discours de l’événement, a changé avec le numérique. Nous entendons par événement en ligne celui qui est mis en discours dans un environnement numérique et peut, pour cela, adopter des caractéristiques des discours natifs du Web. Ainsi, s’il s’agit d’une nouvelle catégorie ou sous-catégorie d’événement (ce qu’il faut encore démontrer), il faudra le situer A paraître dans « L’événement politique en ligne », Brigitte Sebbah (éd.), Sciences de la société, n° 101 dans le dispositif sociotechnique qu’est le Web pour comprendre ce que le numérique a fait à l’événement. Interroger les mutations de l’événement en ligne implique nous pencher sur la question de la réception. Parmi les changements provoqués par l’avènement du Web 2.0 dans le domaine du journalisme, la participation des publics médiatiques constitue un enjeu majeur, comme en témoigne la littérature scientifique consacrée au phénomène ces dernières années (voir par exemple ces deux synthèses : Cheynel et Mercier 2014 ; Calabrese, Domingo et Pereira 2015). Ce nouvel acteur qu’est l’internaute, considéré comme un produser car il adopte une attitude active face aux contenus médiatiques (et ce dans l’environnement numérique du journal en ligne, et non dans le cadré privé de la cuisine familiale, le cadre professionnel de la machine à café ou celui contrôlé et non interactif du courrier des lecteurs), va provoquer des changements considérables dans la manière de consommer le discours journalistique. La diversification des dispositifs dans lesquels les lecteurs peuvent s’informer ne fait que multiplier les modes de consommation. Ainsi, lire une nouvelle est également partager, commenter, socialiser la lecture, discuter, amender, critiquer ou encore construire son identité en ligne (voir entre autres Calabrese 2016 ; Craft, Vos et Wolfgang 2016). Mais la participation des publics va également donner naissance à de nouvelles pratiques dans la manière de produire l’information, comme en témoignent de nombreux travaux publiés à ce sujet (voir Mitchelstein et Boczkowski 2013). Dans cet article, nous nous intéressons à un usage très particulier que les journalistes font des interventions des internautes, lesquelles font partie du flux des big data produit quotidiennement sur le Web. Ces interventions, glanées notamment sur des comptes Twitter, sont utilisées par les journalistes pour prendre la température par rapport à un événement. En cela, le site de microblogging remplit une fonction non pas de dissémination de l’information mais de « radar », comme l’écrit Alfred Hermida : « it can be seen as a system that alerts journalists to trends or issues hovering under the news radar. As Gillmor […] argues, journalists should view Twitter as a collective intelligence system that provides early warnings about trends, people and news (2010 : 302) ». Hermida appelle ce phénomène ambient journalism, faisant par là référence à l’omniprésence et à la disponibilité de l’information grâce aux médias sociaux. En publicisant la parole des publics, comme les médias ont traditionnellement l’habitude de le faire pour le discours politique, les journalistes construisent ce que nous appellerons un « événement de réception » qui transforme profondément le statut de cette parole. Nous A paraître dans « L’événement politique en ligne », Brigitte Sebbah (éd.), Sciences de la société, n° 101 avancerons que les médias d’information écrite adoptent, ce faisant, une logique propre aux réseaux sociaux, qui érigent des énoncés provenant des publics en événement. Pour développer cette hypothèse nous ferons appel à l’analyse du discours, dans le but d’expliquer ce qu’est un événement discursif et comment celui-ci est utilisé pour construire l’actualité politique. La notion d’événement discursif sera articulée avec les pratiques professionnelles des journalistes, ce qui nous permettra d’observer une migration des usages propres aux réseaux sociaux vers le discours journalistique. La parole comme événement (médiatique) Nous entendons par événement médiatique « une occurrence (c’est-à-dire ce qui advient dans le monde phénoménal) perçue comme signifiante dans un certain cadre » (Krieg 2009) ; ainsi l’événement « n’est-il pas une réalité brute mais une réalité signifiée qui demande à être comprise » (Calabrese et Veniard à paraître). Par ailleurs, « la réception de l’événement est indissociable de celui-ci, car c’est à ce moment-là qu’un sens social lui est attribué, sens qui mobilise des informations factuelles, mais aussi des ressources symboliques et culturelles, des croyances et des conventions sociales » (ibidem). Or, tous les événements n’ont pas la même nature. En plus des occurrences phénoménales qui font sens pour le corps social (une grève, un attentat, une canicule), des gestes ou des paroles prononcées par certains acteurs provoquent souvent l’événement. Il en est ainsi des polémiques, lapsus et autres petites phrases1 que les femmes et hommes politiques prononcent dans différents contextes communicationnels (interview, meeting, émission télévisée). Si ces segments de discours sont un objet d’analyse privilégié par les discursivistes, la définition du phénomène (le fait qu’un énoncé constitue un événement) n’est pas pour autant stabilisée. Pour la linguistique énonciative, qui est une linguistique de la parole, tout acte d’énonciation est un événement, car elle implique « un acte individuel d’utilisation » (Benveniste 1974 : 80). A partir de là, la notion d’événement devient particulièrement productive dans les études discursives, comme le note Alice Krieg (2009). Ainsi pour Michel Foucault (1969 : 34), tout énoncé est un événement dans la mesure où pour l’analyser il faut se reporter à ses conditions de production, qui sont évidemment uniques. Irene Fenoglio restreint un peu la notion d’événement, en considérant que seulement certains phénomènes discursifs font événement car ils constituent une rupture dans une série. Elle appelle « événements d’énonciation » des 1 « Ces brèves citations qui sont découpées pour être reprises dans les émissions d’information, car jugées significatives dans un état déterminé de l’opinion » (Maingueneau 2006 : 111). 2 Ces « événements discursifs » sont à distinguer des « événements de discours » que sont les formules, « une A paraître dans « L’événement politique en ligne », Brigitte Sebbah (éd.), Sciences de la société, n° 101 phénomènes de parole tels que des « malentendus, ce qu’il est convenu d’appeler les ‘lapsus’, les mots d’enfants qui sur bien des points s’y apparentent, mais aussi certaines ruptures marquées (silence, ou refus de poursuivre etc.) » (Fenoglio, 1997 : 41). Pour sa part, Alice Krieg utilise les dénominations « événements discursifs » et « événements de parole » pour désigner le phénomène des petites phrases2. En analysant l’énoncé « casse toi pauv’ con » prononcé par Nicola Sarkozy, Sitri et Mellet (2012) parlent elles aussi d’événement discursif. Tous ces concepts utilisent l’image de l’événement pour souligner l’unicité d’une production discursive, qu’il s’agisse de n’importe quelle énonciation (Benveniste) ou énoncé (Foucault), d’un accident d’énonciation (Fenoglio) ou d’une unité discursive qui devient remarquable dans le discours social (Krieg, Sitri et Mellet). Or, ce sont notamment les événements d’énonciation (comme le lapsus) et les événements discursifs (l’énoncé politique) qui provoquent une rupture dans la scène de communication et demandent à être compris. Suite à ces constats, nous définissons l’événement discursif comme tout événement de parole qui donne lieu à un énoncé remarquable et remarqué par les médias d’information, c’est donc tout à la fois ce qui est dit et la prise de parole (d’un acteur social éminent) qui font événement. Ces énoncés (en général provenant d’acteurs politiques au sens large, y compris la société civile) constituent une part importante du discours rapporté par les journalistes d’information. En réalité, toute uploads/Politique/ levenement-en-ligne 1 .pdf

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