PHILIPPE BOULANGER PLANÈTE MÉDIAS GÉOPOLITIQUE DES RÉSEAUX ET DE L’INFLUENCE Il

PHILIPPE BOULANGER PLANÈTE MÉDIAS GÉOPOLITIQUE DES RÉSEAUX ET DE L’INFLUENCE Illustration de couverture : Adrià Fruitós Cartographie : Jérémie Robine, Carl Voyer Mise en pages : PCA © Armand Colin, 2014, 2021 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN : 978-2-200-63138-3 introduction D epuis la fin de la guerre froide, l’une des mutations géopolitiques majeures porte sur l’interdépendance croissante entre les conti- nents, les États et les sociétés. L’un des secteurs d’activité participant à ces transformations concerne les médias. Issu de l’expression anglo-saxonne « mass media », employée à partir des années 1950 et qui a été francisée en 1973, le mot recouvre une complexité de domaines, de comportements et d’instruments techniques. Il renvoie à plusieurs sens qui varient selon les auteurs, les époques et les usages, au point de se poser la question de son unité structurelle et fonctionnelle. « Les médias existent-ils ? » s’interroge le sociologue en information et communication Rémy Rieffel en 2005. Entre autres dictionnaires, Le Petit Robert (1990) insiste surtout sur l’idée de supports de diffusion au plus grand nombre de l’information, liés notamment à la radiophonie et à la télévision durant les Trente Glorieuses. Média désigne « tout support de diffusion massive de l’information (presse, radio, télévision, cinéma, publicité, etc.) ». Pour Christine Leteinturier et Rémy Le Champion, le terme a remplacé progressivement l’expression de moyen de communication qui s’était imposée dans les années 1950 et 1960. Il renvoie à « l’ensemble des dispositifs techniques permettant l’expression de la pensée et assurant la médiation entre un ou plusieurs émetteurs et le (ou les) récepteurs(s), individus particuliers ou public de masse ». Il est considéré, en ce début de xxie siècle, que les médias sont caractérisés comme des supports de communication et des usages liés à ces supports. Le mot a pris une nouvelle dimension avec le développement de la mondialisation des échanges depuis la fin du xxe siècle. Les réflexions de ces dernières décennies en sciences humaines, et en particulier en sciences de l’information et de la communication, mettent en évidence le rôle actif des médias dans la croissance des échanges mondiaux sur le plan économique et sociologique, mais aussi sur le plan géopolitique. Comme le souligne le géographe Jacques Barrat [2009], les médias sont « à la fois reflets et acteurs des mutations géopolitiques […] reflets dans la mesure où ils sont le plus souvent les miroirs fidèles des espaces géographiques, des entités économiques 4 planète médias et politiques, et des contradictions des sociétés humaines au sein desquelles ils se sont implantés et fonctionnent. Plus encore, ils sont de bons révélateurs des inégalités qui existent entre les hémisphères, les continents, les blocs, les aires culturelles et les nations, et donc des grands équilibres et déséquilibres du monde d’aujourd’hui » [Barrat, 2009]. Les médias constituent, en effet, un facteur de bouleversements considérables de la géopolitique mondiale. La mise en place des réseaux de fibre optique sous-marins, la puissance des grands groupes du Global media, l’essor des cyberconflits, les concurrences entre les cités des médias, l’émergence des smart cities, les guerres du sens et les batailles de la perception à travers les médias, l’utilisation des réseaux sociaux dans les mouvements de contestations populaires, ­ apparaissent comme des éléments parmi d’autres. Parallèlement, le regard des journalistes, le traitement médiatique des faits, la représentation géopolitique des crises et des conflits participent aussi à élaborer une autre approche de la géopolitique des médias. Cette approche analyse les discours, les images, les supports médiatiques utilisés, dont l’objectif consiste à comprendre les enjeux que constituent les stratégies territoriales des acteurs auprès de l’opinion publique et des États. En somme, la géopolitique des médias consiste en l’étude des riva- lités de pouvoirs sur un territoire entre les acteurs médiatiques, et de la représentation de ces luttes d’influence par les médias. Les sources et les outils d’information sont à la fois des enjeux de domination de l’opinion comme des moyens privilégiés pour comprendre les straté- gies de contrôle, les tensions et les rivalités entre les acteurs. Quelles sont ces rivalités de pouvoirs entre acteurs médiatiques et comment influencent-elles les mutations géopolitiques mondiales ? Pour tenter de répondre à cette question, cet ouvrage s’articule en trois parties. La première, intitulée « Géopolitique, mondiali- sation et médias », tend à expliciter l’approche géopolitique des médias à travers ses concepts, sa méthodologie et ses réflexions en cours (chapitre 1). Elle met en évidence le déplacement des centres de gravité du développement et du rayonnement des médias à l’échelle mondiale (chapitre 2). L’internationalisation et la mondialisation des médias favorisent de nouvelles productions de territoires et parti- cipent à la recomposition territoriale de l’interdépendance des sociétés (chapitre 3). La deuxième partie aborde les rapports entre la mondia- lisation, les rivalités de pouvoir et les médias. Elle s’intéresse à la prédominance des médias américains dans la géopolitique mondiale (chapitre 4), en mettant en évidence leur utilisation dans la logique 5 Introduction d’influence mondiale, la conception et la mise en œuvre de la Global Information Dominance dans les relations internationales et les luttes de pouvoirs des grands groupes de médias américains. La géopoli- tique des médias participe également à recomposer les rapports de force entre les continents et entre les États. À l’instar de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, les pays émergents s’appuient sur les médias pour étendre leur influence régionale ou mondiale, s’imposer sur la scène politique comme économique (chapitre 5). Enfin, de manière plus large, l’influence des médias dans les rapports de force entre les communautés humaines s’observe dans bien d’autres domaines, comme ceux du rayonnement de la pratique religieuse et linguistique (chapitre 6). La troisième partie traite de la place des médias dans les relations internationales et les conflits. Ceux-ci sont des rouages essentiels de la diplomatie des États. À l’heure de la communication par Internet et de l’usage des réseaux sociaux, ils sont devenus de nouveaux ­ instruments dans les rapports de force entre les États et/ou les communautés non étatiques (chapitre 7). Dans les conflits armés (chapitre 8), leur ­ utilisation s’affirme à partir du xixe siècle et devient un champ ­ d’action spécifique de l’activité militaire. L’information et la communi­ cation constituent de nouveaux enjeux pour gagner la guerre du sens et la bataille de l’influence au sein des populations, parallèlement à la manière de représenter les conflits et d’influencer l’opinion publique. Enfin, le dernier chapitre s’intéresse à un autre champ d’action qui préoccupe de plus en plus les États : le cyber­ espace. Les doctrines comme les moyens utilisés permettent de prolonger l’approche des médias dans les conflits à une nouvelle dimension des rivalités de pouvoirs. L’ensemble de ces questions géopolitiques, en évolution permanente, constitue les différentes approches de cet ouvrage. 1 Qu’est-ce que la géopolitique des médias ? D epuis les années 1980, la géopolitique connaît un certain succès. Elle le doit, en grande partie, non seulement aux efforts de ses spécialistes mais aussi à l’opinion publique qui demande à ­ satisfaire sa curiosité pour comprendre les mutations d’un environnement mondial devenu plus complexe. La géopolitique des médias peut être ­ considérée comme l’une de ces approches de la discipline. En géographie, qui étudie la relation entre les territoires et les hommes, elle tend à se développer depuis les années 1980. Il n’en demeure pas moins qu’elle est relativement méconnue de la communauté des géographes, alors que les études s’enrichissent de nouvelles approches parallèlement au progrès constant des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Quelle est la spécificité de la géopolitique des médias et quels pourraient être les champs de recherche les plus significatifs de la discipline ? Afin d’apporter certains éléments de réponses, trois aspects seront abordés : la méconnaissance relative de la géopolitique des médias, ses principaux concepts et les champs de recherche les plus développés actuellement. Quelle définition des médias ? « Les médias existent-ils ? » écrivait Rémy Rieffel en 2005. Les termes et les idées contemporaines sont étroitement liés à l’internationalisation et à la mondialisation qui se sont accélérées depuis les années 1990. Le terme « média » est issu de l’expression anglo-saxonne « mass media », employée à partir des années 1950 et qui a été francisée en 1973. Pour Francis Balle, dans Médias et ­ sociétés [2011], le mot média en France s’impose dans les années 1980. Dans la culture anglo-saxonne, mass media renvoie aux technologies « permettant 8 planète médias d’atteindre simultanément une audience étendue, diverse et dispersée, le cinéma comme la télévision, la presse au même titre que la radio ». Le mot aurait été popularisé par l’essayiste canadien Marshall Macluhan (1911‑1980) à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Il désigne un moyen de communication à travers un « outil, une tech- nique ou un intermédiaire permettant aux hommes de s’exprimer et de communiquer à autrui cette expression ». Il se définit aussi comme un usage par le rôle ou la fonction. Pour Christine Leteinturier et Rémy Le Champion, dans Médias, information et communication uploads/Politique/ boulanger-p-geopolitique-des-medias-acteurs-rivalites-et-conflits-paris-armand-colin-2014.pdf

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