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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/313376057 Luttes féministes en Haïti Article · January 2016 CITATIONS 0 READS 194 1 author: Denyse Côté Université du Québec en Outaouais 52 PUBLICATIONS 23 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Denyse Côté on 06 February 2017. The user has requested enhancement of the downloaded file. 156 Rencontre n° 32 – 33 / Septembre 2016 CONDITION FÉMININE Luttes féministes en Haïti Denyse CÔTÉ Une riche histoire de lutte pour l’égalité et la démocratie histoire des luttes féministes en Haïti est aussi celle de la lutte pour la démocratie et contre les ingérences étrangères. La vio- lence de l’État (Basu, 1995) et celle des forces étrangères ont catalysé le mouvement féministe haïtien tout autant que la violence domestique et personnelle. L ’alternance de pério- des plus ouvertes et plus répressi- ves a suscité cette prise de cons- cience féministe de la violence qui a été nourrie à son tour par ses liens transnationaux (Charles, 1995), ses interventions-terrain et son génie stratégique. Ainsi, dès 1926, à la demande de sa section haïtienne, la Ligue interna- tionale des femmes pour la paix dépêchera un comité d’enquête sur l’occupation militaire des États- Unis (1915-34). Par la suite, en 1934, malgré les blocages du gou- vernement de l’époque, la Ligue féminine d’action sociale fut for- mellement créée, initiant dès lors une série d’activités: éducation civique des femmes, cours du soir pour les ouvrières, caisse coopé- rative populaire, conférences à tra- vers le pays, création de bibliothè- ques, ouverture d’un foyer ouvrier; pétitions aux instances concernées pour l’ouverture d’écoles pour fil- les, réclamation d’un salaire égal pour un travail égal. Pendant plus de 25 ans, ses militantes réclame- ront des libertés démocratiques dont l’émancipation des femmes. Pour ce faire, elles s’associeront à d’autres organisations comme le Comité d’Action féminine, et n’hé- siteront pas à gagner les rues et à défier les matraques policières. Elles feront tant et si bien qu’elles obtiendront, en 1950, le droit de vote pour les femmes qui, ironique- ment, sera exercé pour la première fois en 1957 lors de l’élection du dictateur François Duvalier. Celui- ci les fit rapidement arrêter, dispa- raître et torturer, réduisant ainsi la Ligue au silence. L ’une des premiè- res victimes du régime était mem- bre de la Ligue2. L ’histoire des luttes féministes en Haïti est aussi celle de la lutte pour la démocratie et contre les ingé- rences étrangères L’ L ’importance du mouvement féministe haïtien est mal connue au Qué- bec1. Les images sensationnalistes des média de masse qui envahissent l’imaginaire québécois masquent, entre autres, un mouvement féminis- te au cœur des luttes politiques et sociales contemporaines. Cet article prétend lever le voile sur quelques éléments de cette histoire afin d’ai- der le lectorat québécois à mieux en comprendre la nature, la force ainsi que l’ancrage. Il abordera aussi les obstacles qu’ont dressé à ce mouvement les interventions internationales suite au séisme, en particu- lier les retombées dé-structurantes du stéréotype misérabiliste importé par les contingents d’aide. 18/10/1933 ː Rencontre entre Sténio Vincent et Rafael Leónidas Truijillo, président d'Haïti et de la République Dominicaine, dans la ville frontalière de Belladère Condition Féminine 157 Fort de l’esprit indépendant des Haïtiennes, le mouvement fémi- niste reprendra le devant de la scène à la chute de Duvalier en 1986, porté par une nouvelle génération et par certaines leaders revenues de l’exil, nourries des mouvements nord-américain et européen et inspirées par un contexte international modelé par la Décennie des Nations-Unies pour les femmes (1976-85). Ainsi, par exemple, plusieurs leaders de deux organisations au cœur de ce renouveau, Solidarite Fanm Ayisyèn - SOFA) et Kay Fanm, revenaient de l’extérieur (Burton, 2004) où elles avaient milité dans des groupes féministes. Le coup d’envoi de ce renouveau sera sans contredit l’appel à manifester pour la démocratie et les droits des femmes lancé deux mois après l’exil de Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) par des militantes et qui réunit dans une marche à Port-au-Prince plus de 30 000 femmes le 3 avril 1986. De plus, durant cette période, de nombreuses organisations de base virent le jour: le premier refuge pour femmes victimes de violence (Kay Fanm). On dénom- brait déjà un an plus tard 400 groupes locaux de femmes paysannes en plus d’importants groupes nationaux tels EnfoFanm, les sections femmes du Mouvement paysan de Papaye (MPP) et de la Confédération nationale des éducateurs et éducatrices d’Haïti (CNEH), le Centre de promotion des femmes ouvrières (CPFO). Ce foisonnement d’organisations ne se limitait pas au mouvement féministe; il mena au « déluge » populiste du mouvement Lavalas4 et à la première élection d’Aristide, contre les préférences des États- Unis (Burton, 2004). Cependant, huit mois après son élection, le général Cédras chassa le président Aristide du pouvoir, marquant le rejet de ce dernier par les élites économiques traditionnel- les du pays. La plupart des militantes féministes prirent alors le chemin du marronnage et les abus aux droits humains, en particulier le viol comme méthode de répres- sion, augmentèrent de façon dramatique (HRW, 1995). Les organisations féministes haïtiennes, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, firent circuler des informations sur ces abus du régime de même que sur l’inertie des agences internationales à ce sujet. Au risque souvent de leur propre vie, les féministes continuèrent à offrir refuge et assistance directe aux victimes. De plus, toujours sous le régime militaire, elles dénoncèrent publi- quement en mars 1993, lors de la première Rencontre nationale sur la violence faite aux femmes, le nombre croissant de viols et d’autres violations de nature politique commis par les forces de sécurité sur les femmes et sur les leaders féministes. Elles incitèrent ainsi les organisations internationa- les à documenter le viol en Haïti comme arme de répression et forcè- rent par la même occasion la fin de ce tabou sur la violence intime contre les femmes (Fuller, 1999). Pendant cette période, elles conti- nueront aussi à travailler d’arrache- pied à conscientiser et à former des femmes, analphabètes, appau- vries ou encore de classe moyenne (Charles, 1995 ; Bell, 2001). À la demande des États-Unis, la fin du régime militaire de Cédras et le retour à la présidence constitution- nelle d’Aristide furent accompa- gnés, en 1994, du débarquement d’une force militaire multinatio- nale. Les groupes de femmes profitèrent de ce nouvel espace démocratique pour obtenir la création du ministère de la Condition féminine et aux Droits des femmes (MCFDF), sa première titulaire étant choisie parmi une des leurs5. Sous l’instigation du mou- vement féministe, le gouvernement haïtien ratifiera aussi la Convention interaméricaine Belem do Para pour l’éradication de la violence faite aux femmes (1994) et participera à la Conférence de Beijing en 1995. Sur la scène nationale, la Commission nationale de Vérité et de Justice (1994-96) se penchera aussi sur les crimes commis contre les femmes pendant 21/2/1934 ː Anastasio Somoza García, général et chef de la Garde Nationale créée par l'armée étasunienne au Nicaragua, ordonne, avec l'approbation de l'ambassadeur Arthur Bliss Lane, l'assassinat de Augusto Cesar Sandino. Somoza assumera la présidence deux ans plus tard. 158 Rencontre n° 32 – 33 / Septembre 2016 le coup d’État militaire. Mais le gouvernement haïtien ne mettra pas en pratique les recommanda- tions de cette Commission. Le mouvement féministe organisera donc la riposte en 1997 avec un T ribunal international symbolique contre la violence à l’égard des femmes en Haïti (Fuller, 1999; Côté, 1997) qui entendra des témoignages de femmes victimes de violences politiques et domestiques. Son panel de juges, d’expertes internationales et de représentantes d’associations de la société civile haïtienne recom- mandera des modifications fonda- mentales au système judiciaire, aux pratiques policières, ainsi qu’aux services socio-sanitaires nationaux. Il recommandera également au gouvernement de préparer, de concert avec la coalition d’orga- nisations féministes, une loi sur l’élimination de toute forme de violence faite aux femmes (Fuller, 1999). Malgré les obstacles croissants rencontrés sous le deuxième mandat d’Aristide (2000-2004), les organisations féministes s’active- ront à la mise en œuvre de ces recommandations. Désormais fédé- rées au sein de la CONAP (Coordi- nation nationale de plaidoyer pour les droits des femmes), elles dénonceront aussi en octobre 2003 les chimères responsables de violences politiques spécifiques aux femmes et du meurtre d’une militante (CONAP 2004). Le départ forcé du Président Aristide en février 2004 sous les auspices des grandes puissances, représentera pour plusieurs une certaine victoire en matière de droits des femmes, mais symbolisera aussi, par la même occasion, une ingérence américaine inadmissible (Burton, 2004). Sous les auspices du MCFDF, le mouvement féministe réactivera alors certains dossiers suspendus: projets de lois sur les agressions sexuelles sur les tra- vailleurs et travailleuses domesti- ques et sur la paternité responsable. Le décret-loi criminalisant le viol, officialisé en août 2005, harmonise certaines lois nationales avec les conventions internationales rati- fiées par Haïti. Un colloque international sur la citoyenneté des femmes haïtiennes se tient en 2005 et le principe d’un quota d’au moins 30% est établi dans la loi électorale de 2006. Fédérées au sein de la CONAP, les organisa- uploads/Politique/ luttesfministesenhati-pdf.pdf

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