Max Weber et la rationalisation des activités sociales Les thèses et la réflexi

Max Weber et la rationalisation des activités sociales Les thèses et la réflexion sur la méthode de Max Weber ont profondément influencé les sciences sociales du XXe siècle. Au-delà de cette influence, elles constituent un moment fort de la réflexion de l'homme sur lui-même et sur la société qu'il contribue à créer. Max Weber est le contemporain d'un monde où s'impose l'esprit du capitalisme, dans lequel s'affrontent les intérêts nationaux et où émerge une identité citoyenne et démocratique. Ce monde est toujours le nôtre. La problématique de la rationalisation des activités sociales associée à celle du désenchantement reste féconde. Le XX" siècle révèle un double visage. La maîtrise du monde acquiert une ampleur sans précédent, cependant les pénuries matérielles restent chroniques et l'augmentation des capacités de production n'a d'égale que celle des capacités de destruction. La démocratie semble devenue l'horizon social et poli- tique de l'humanité, pourtant les sociétés et les régimes démocratiques n'ont apporté ni la paix sociale ni celle entre les nations. La perte d'influence des grandes religions apparaît incontestable, mais le fanatisme religieux perdure et un paganisme diffus émerge. Max Weber se méfiait de l'idée de progrès. Les évolutions paradoxales du monde contemporain s'expliquent, selon lui, par un vaste processus de rationalisation des activités qu'il associe à un tout aussi vaste processus de désenchante- ment ou de perte de sens [l]. Le processus de rationalisation Au cœur de l'élaboration conceptuelle de Max Weber, se trouve le processus de rationalisation des activités sociales. Ce processus donne une cohérence à l'ensemble de son œuvre. Il ne s'agit pas du triomphe de la Raison, au sens de la Raison des Lumières, que la trajectoire historique de l'Occident incarnerait. Pour Weber, il s'agit moins de Raison que des raisons que le sociologue doit retrouver dans le registre de l'action des individus. Il pose ainsi pour pierre fondatrice des sciences sociales le principe de l'individualisme méthodologique. Pour rendre compte des phénomènes sociaux, il est nécessaire de remonter aux «raisons» des actions individuelles. Ces raisons répondent aux questions qui font sens pour les individus; c'est-à-dire qui donnent une signification et une direction à leurs actions. L'argumentation se décompose alors en plusieurs moments. D'abord, il est nécessaire de distinguer activité et action. Dans la plupart des commentaires sur Max Weber, les deux mots sont confondus. Pourtant, comme l'écrit Jean Rémy, il s'agit d'une distinction analytique importante [2]. L'activité s'applique aux questions à résoudre. Il est possible ainsi de distinguer des activités religieuses, politiques, économiques... L'action fait référence à des acteurs individuels et collectifs qui sont mus par des intentions, des projets, des émotions... Dans la réalité sociale, activités et actions se chevauchent. Peut- être, pourrait-on dire que l'activité est le moment d'objectivation des actions, à travers la production des biens spécifiques, économiques, politiques, esthétiques par exemple, qui font sens en tant que tels pour les individus dans une société donnée, à un moment donné. A la typologie des activités, selon leurs objets, Weber ajoute une typologie des actions sociales présentée, elle, comme universelle [3]. Cette typologie est importante car il s'agit d'éviter recueil de la multiplicité des raisons et des motivations, données ou attribuées, aux agents sociaux. Il existerait quatre rationalités possibles de l'action sociale. La rationalité instrumentale, ou rationalité en finalité, ordonne les objectifs et les moyens les mieux adaptés aux buts poursuivis. Il s'agit pour l'acteur d'atteindre les buts qu'il s'est donné avec une efficacité optimale ou de croire, avec les informations dont il dispose, qu'il emprunte une méthode efficace. • La rationalité axiologique, ou rationalité en valeur, oriente les actions selon des valeurs subjectivement retenues comme raisons légitimes ou fins ultimes pour agir. L'acteur ne se préoccupe alors pas des résultats de l'action, ni des moyens utilisés. Il recherche la valeur pour elle-même : la justice pour la justice, le beau pour le beau... La tradition et l'émotion constituent deux autres explications possibles des actions sociales. Elles présentent, pour Weber, un aspect irrationnel et mécanique. Il s'agit de types idéaux, et ces rationalités se chevauchent pour l'acteur lui- même quand il agit et pour l'observateur quand il interprète une action. Ces actions sociales engendrent des formes de relations sociales. Ces relations se pérennisent autour d'activités et d'institutions différenciées. ہ ce moment de l'analyse, il est nécessaire d'introduire le concept de légitimité. La légitimité est une qualité qui confère une valeur sociale à une action sociale et qui donc justifie, aux yeux de tous, l'existence d'une activité. Par exemple, l'activité religieuse existe, si existe la croyance en la légitimité de la religion. A l'occasion de cette activité, les acteurs sociaux agissent selon différentes rationalités: emportés par l'émotion, conditionnés par la tradition, orientés par des valeurs ou par la recherche de moyens les plus adaptés aux buts poursuivis. Il semble que Weber établisse une échelle de valeurs entre les actions et qu'il privilégie la rationalité en finalité. Elle représente le degré le plus conscient, le plus maîtrisé et le plus responsable de l'action humaine. Ainsi, il est clair que, pour Max Weber, la modernité, qui trouve son lieu d'élection en Occident, se caractérise par un processus approfondi de rationalisation des activités sociales qui se traduit par l'importance croissante de la rationalité en finalité dans les actions sociales. Ce processus présente un double visage. D'une part, aux valeurs, liées aux questions les plus angoissantes que se posent les hommes en société, se mêlent des intérêts en termes de ressources matérielles et immatérielles qui se développent avec la différenciation des activités: religieuses, économiques, politiques, scientifiques, culturelles... Cette trans- formation correspond aussi à une mise à distance des dimensions émotionnelles, irrationnelles peut-on dire, des actions sociales et donc à une intellectualisation croissante de la vie en société. D'autre part, ces intérêts donnent lieu à des cal- culs de plus en plus précis des moyens adéquats pour les satisfaire. Le principe de la rationalité par finalité ou rationalité instrumentale qui conduit au principe du moindre effort et qui trouve son terrain d'élection dans la sphère économique tend à devenir le principe dominant des actions. Ce processus de rationalisation conduit à différencier les activités et les institutions qui les incarnent: églises, entreprises, communautés scientifiques. Etats, système formel de droit... II reste à expliquer comment les hommes en sont arrivés au cours de leur histoire, dans une certaine partie du monde, à adopter ces types de conduites rationnelles qui rendent légitimes l'accumulation organisée de biens matériels, la formalisation des normes juridiques, l'acceptation de contraintes politiques et l'émergence de disciplines scientifiques. Il subsiste aussi une énigme, que Max Weber ne résout d'ailleurs pas : elle tient dans le processus de désenchantement ou de perte de sens qui intervient au moment où la rationalisation formelle des activités et la prédominance de la recherche de l'efficacité dans les actions, supposées rendre plus maîtrisable la société, semble atteindre un point cul- minant [4]. En effet, le processus de rationalisation formelle conduit à un processus de désenchantement du monde qui nécessite, lui aussi, d'être défini. Le processus de désenchantement présente un aspect presque technique. Il désigne ainsi la manière dont s'opère, sur la longue durée, l'élimination de la magie comme moyen de répondre aux questions et aux souffrances humaines. Cette élimination, dans le cadre des activités religieuses, suit un long chemin historique, qui mène du judaïsme antique au puritanisme pro- testant. Ce processus gagne d'autres activités sociales à mesure que celles-ci se rationalisent formellement. Les moments forts de l'histoire de l'Occident comme les révolutions religieuses, politiques ou artistiques, la problématique du droit naturel, celle du progrès économique semblent converger pour individualiser de plus en plus les acteurs sociaux. La rationalisation des activités sociales est inséparable de la généralisation de l'individualisme, bien que le mot individualisme demeure, pour Weber, difficile à définir. Il désigne, entre autres changements sociaux, dans l'esprit de Weber, une plus grande maîtrise des émotions et une mise à distance des déterminismes sociaux. Cependant, une seconde définition se superpose à la première. Celle d'une perte de sens, selon les deux dimensions du mot : signification et direction, qui caractériserait la modernité. C'est au moment où l'individu se libère de la tradition et de toute référence à un ordre supérieur qu'il apparaît comme le plus en danger, danger d'asservissement à des organisations anonymes, danger de sou- mission aux biens matériels, danger lié à l'incapacité de choisir entre le bien et le mal... Cette fragilité est liée au processus de rationalisation et d'intellectualisation. La complexité des sociétés actuelles ôte à chaque individu la maîtrise sur son environnement [5]. Par ailleurs, la démocratie, processus de rationalisation formelle des moyens pour contenir la violence, propose comme principe de régulation de cette violence la négociation qui transforme les conflits irréductibles, selon Weber, entre les valeurs, en compromis entre intérêts divergents. La part émotionnelle de l'action ne trouve plus d'exutoire et les oppositions entre systèmes de valeurs se transforment en «guerre des Dieux». La matrice religieuse du processus de rationalisation C'est dans la genèse des grandes religions (judaïsme, christianisme...) que le processus de rationalisation prend naissance. Il s'agit d'abord de définir les notions utilisées avant d'aborder la problématique uploads/Politique/ max-weber 3 .pdf

  • 43
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager