Cours « Géopolitique, géostratégie »/ Documents supports J. E. Tebbaa Document

Cours « Géopolitique, géostratégie »/ Documents supports J. E. Tebbaa Document 2 La géopolitique et ses différentes « écoles » Qu’est-ce que la géopolitique ? C’est à cette première question, si simple en apparence, à laquelle nous tentons de répondre, en faisant référence à l’histoire de cette « science » controversée et pendant très longtemps discréditée. Tout relèverait désormais, à l’appui du discours médiatique ambiant, de la géopoli- tique : au-delà même des relations internationales, celle-ci serait alors censée délivrer une analyse globale des évolutions technologiques, des conséquences du dérèglement climatique et plus généralement des conflits. À l’inverse de la géographie politique cherchant à interpréter « politiquement » les phénomènes géographiques, la géopolitique étudie la politique et ses traduc- tions conflictuelles, pour en donner une lecture de nature géographique. Pour ce faire, cette méthode d’approche fait appel précisément à une démarche interdisciplinaire, au croisement de différents domaines de connaissances : ainsi, en plus de la géographie, elle se réfère aussi aux analyses relevant de l’histoire, de la philosophie ou encore des sciences politiques et sociales. Pour être encore plus synthétique, la géopolitique s’intéresse « aux rapports entre la puissance et l’espace ». Signalons, à cet égard, que la géopolitique a besoin de s’appuyer sur une multitude de données géographiques, avec pour but, précisément, de détecter les ruptures, les continuités et l’ensemble des arguments politiques et idéologiques, ayant une influence directe sur les comportements des acteurs internationaux. Ajoutons alors et en guise d’alerte, à l’instar du philosophe « engagé », Raymond Aron, du Général Gallois ou du géographe Gérard Challian, Fiche 1. • La géopolitique et ses différentes « écoles » les limites de la cartographie, très largement utilisée dans le domaine de la géopolitique et aux effets, parfois, déformants. La lecture d’une carte ne saurait suffire, en effet, pour bâtir une stratégie et pour rendre compte des réalités géopolitiques touchant, à la fois, à l’évolution de facteurs humains complexes, aux ambitions des dirigeants politiques et aux aspirations, parfois contradictoires, exprimées par les populations. Géopolitique et géographie Il est communément admis que l’étude de l’impact de la géographie sur la conduite des politiques des nations renvoie à une discipline historique. Si c’est au cours du XIXe siècle que la géographie devient aussi le « sous- bassement » d’un système explicatif du monde, d’autres auteurs, beaucoup plus anciens, avaient déjà, en effet, exploré cette voie inédite. Et si le climat froid était plus propice à l’installation d’un régime de libertés ? Et à l’inverse, si un climat chaud, favorisait plutôt l’émergence d’un pouvoir despotique ? Autant d’interrogations abordées par Montesquieu, quand celui-ci affirme, précisément, que la monarchie constitue, en effet, un rempart contre de poten- tiels envahisseurs, au sein de contrées riches et de « paysages ouverts ». Dans un temps encore plus reculé, Aristote faisait explicitement le lien entre la nature et le tempérament des citoyens. En clair, il convient alors de recon- naître, selon le philosophe, la corrélation entre l’environnement géographique, les ressources à exploiter et le caractère du régime politique ou les besoins militaires à mobiliser. Au final, ces ensembles théoriques établissent un constat partagé : celui de considérer que les responsables politiques et les États sont contraints, pour survivre et résister, de s’adapter à la nature et à leur cadre environnemental. Les écrits de Rudolph Kjellen Le terme « géopolitique » naît, quant à lui et en tant que tel, en 1905, à partir des premières analyses du professeur suédois Johan Rudolf Kjellen, au moment où deux grandes puissances émergent : d’un côté, l’Allemagne et, de l’autre, les États-Unis. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si ces deux nations abritent les « écoles » fondatrices de la géopolitique, antérieures, aux écrits originels de Kjelllen. Dès lors, de nombreux sujets internationaux ont été éclairés grâce à la « grille de lecture » offerte par la géopolitique. Il s’agira, par exemple, de montrer que posséder des frontières communes n’implique pas nécessairement une alliance ou une rivalité systématique et que, par ailleurs, des événements propres à la situation d’un pays donné peuvent aussi engendrer des conséquences d’ordre international. Citons ici, parmi bien d’autres faits, l’élection de Donald Trump et les évolutions de la politique étrangère des États-Unis, les répercussions du « printemps » arabe sur les équilibres politiques « régionaux », les rivalités entre l’Inde et le Pakistan, le conflit israélo-palestinien… Thème 1. • À quoi sert la géopolitique ? La géopolitique : une méthode d’analyse Au regard de ces propos généraux, la géopolitique peut alors être considérée comme une véritable méthode d’approche et de compréhension des phéno- mènes internationaux. Elle facilitera, par exemple : • la lecture des conflits et des stratégies des États, utile, tant pour le grand public que pour les praticiens et les responsables politiques ; • l’identification des « facteurs clés », jouant un rôle décisif dans la définition des politiques extérieures conduites par ces mêmes États et du poids de l’histoire et des traditions, repère essentiel pour les peuples ; • la reconnaissance, au sein de certains États constitués, de droits linguis- tiques et de courants nationalistes ainsi que de la place de la religion, des Églises et du « fondamentalisme » ; • l’analyse de la diversité des régimes politiques faisant apparaître le maintien de gouvernements spécifiques, tels que celui de la Russie ou de l’Iran d’aujourd’hui, d’oligarchies et de dictatures. Si la géopolitique permet d’appréhender les enjeux du monde, elle a été aussi traversée historiquement par différentes « écoles » de pensée. Le « courant » allemand Au XIXe siècle, l’université de Berlin est un des premiers établissements à enseigner l’histoire et la géographie, sous un angle scientifique. Le géographe, Friedrich Ratzel, enseignant, à partir de 1886, à Leipzig, est considéré, à ce titre, comme le « père » de la « géographie politique ». Cet universitaire privilégie d’abord l’étude de la construction de l’État et de ses frontières et demeure, à cet égard, identifié comme l’inventeur du concept « d’espace vital » (Lebensraum). Selon Ratzel, toute nation doit être appréhendée comme un organisme vivant, doté d’un territoire, d’une morale et d’une culture. À partir de ces critères, l’Allemagne, de par son propre rayonnement, est appelée à dominer l’Europe et à s’étendre, parce que peuple « fort », en conquérant de nouveaux espaces, que ce soit en Europe centrale ou en Russie. Dès lors, l’intérêt de Ratzel portera, d’une part, sur les mécanismes de construction de l’État et de ses rapports avec les espaces voisins, et d’autre part, sur l’idée que la géopolitique pourrait être « rangée » dans la catégorie des sciences naturelles Fiche 1. • La géopolitique et ses différentes « écoles » Le « courant » américain : de Tayer Mahan à Nicholas Spykman « L’école » anglo-saxonne de géopolitique est incarnée, dans les années 1900, par Alfred Tayer Mahan. Ce fils d’un professeur de tactique militaire, légitime, quant à lui, l’expression de rapports de force entre les nations. Mahan, sceptique vis-à-vis du droit international et de ses protections juridiques, admet, en effet, que les relations inter-États relèvent de stratégies spécifiques et qu’à partir de cette logique de pensée, l’emploi de la force peut donc parfaitement, sur la base de vérités morales, se justifier, notamment par l’intermédiaire des grandes puissances navales. À cet égard, « habité » par l’idée de la suprématie de l’Occident et de la civilisation chrétienne, celui-ci demeure convaincu que la « maîtrise des mers » constitue une arme incontournable dans le cadre de la « mondialisation » du commerce. Évoquons, également, en lien étroit avec cette même « école » américaine, la contribution de Nicholas Spykman qui défendra, durant la première moitié du XXe siècle, la nécessité de contrarier « l’expansion communiste » par le biais d’une alliance, autour d’un « anneau des terres » – ou « rimland » –, composé des États-Unis, de l’Europe occidentale, du Moyen-Orient, de l’Asie maritime, de la Chine et de l’Extrême-Orient. Dans cette logique, « celui qui tient le « rimland » contrôle « l’Eurasie » et donc tient le monde ». Nous savons que cette théorie a inspiré la doctrine du « containment », soutenue par le président Truman à partir de 1947. À ce titre, pour vaincre l’URSS, « puissance de la terre », les États- Unis, « tirant leur force de la mer » ont donc l’obligation de maintenir des relations stables avec ces États du « rimland ». Spykman affirme, par ailleurs, que si les États-Unis et l’Inde constituent des grandes puissances mondiales, il indique que l’URSS pourrait devenir la nation dominante en Europe, au même titre que la Chine en Extrême-Orient. Le « courant » anglais : la thèse de Halford Mackinder À la différence de la théorie de Mahan mettant l’accent sur la « maîtrise des mers », la pensée classique anglaise, au travers du géopoliticien, très emblé- matique, Halford Mackinder, privilégie plutôt la notion de « heartland ». Dans un ouvrage, publié en 1904, celui-ci démontre, en effet, que le « heartland » est la source principale des rivalités entre les pays uploads/Politique/ la-geopolitique-et-ces-dufferentes-ecoles.pdf

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