ERNST CASSIRER Muriel van Vliet Picard | « Revue Française d'Histoire des Idées
ERNST CASSIRER Muriel van Vliet Picard | « Revue Française d'Histoire des Idées Politiques » 2014/2 N° 40 | pages 285 à 312 ISSN 1266-7862 ISBN 9782708409859 DOI 10.3917/rfhip.040.0285 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees- politiques1-2014-2-page-285.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Picard. © Picard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Pourtant, peu de philosophes ont été confrontés autant que lui personnellement aux atrocités que peut occa- sionner une politique totalitariste désastreuse 2 en défendant si vigoureusement, pour y réagir, l’impératif enjoignant le philosophe en particulier, et tout indi- vidu en général, à réinventer les formes justes du vivre-en-commun à venir. * Muriel Van Vliet est docteur en philosophie (CEPA, Paris I). 1. Notons toutefois trois articles centrés sur Le mythe de l’État : I. Kajon, « La philosophie, le Judaïsme et le mythe politique moderne chez E. Cassirer », p. 277-292 et M. Tripp, « Mythe, technique et l’État moderne selon E. Cassirer », p. 293- 303, in E. Cassirer, de Marbourg à New-York, sous la dir. de J. Seidengart, Paris, Éditions du Cerf, 1990 ; Marc de Launay, « L’État, le mythe, les totalitarismes », in Revue de Métaphysique et de Morale, n°4/1992, p. 553-558 ; ainsi que les ouvrages plus généraux de Joël Gaubert, La Science politique d’Ernst Cassirer, Paris, Kimé, 1996 et de Bertrand Vergély, Cassirer – La politique du juste, Paris, Éditions Michalon, 1998. Le spécialiste français F. Capeillères esquisse très tôt sa philosophie politique, montrant le rôle qu’y joue une approche pédagogique, « Cassirer and Political Philosophy », p. 129-142, in Kulturkritik nach E. Cassirer, dir. par E. Rudolph et B.-O. Küppers, Éditions Meiner, 1995. Plus récemment, on appréciera la mise en perspective dynamique proposée par C. Maigné: E. Cassirer, chapitre 6, « éthique et politique », Paris, Belin, 2013, p. 137-161. 2. Pour le détail des difficultés de l’exil, voir Toni Cassirer, Aus meinem Leben mit E. Cassirer, Hildersheim, Gerstenberg Verlag, 1981 ; et la riche correspondance, qui fait état des condi- tions critiques dans lesquelles il fut plongé au cours de son long exil, de 1933 à sa mort en 1945, sur le sol américain, peu de jours après la mort de Roosevelt, qui l’affecta beaucoup : Nachgelassene Manuskripte und Texte, Band 18, Ausgewählter wissenschaftlicher Briefwechsel, Hambourg, Éditions Meiner, 2009. © Picard | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.218.2.117) © Picard | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.218.2.117) RFHIP No 40 – études 286 / Ses ouvrages de philosophie de la culture, même quand ils ne se sont pas préoccupés exclusivement de politique, comme par exemple La philosophie des Lumières, dont un seul chapitre porte sur « Le droit, l’État, la Société » 3, comptent pourtant parmi les plus audacieusement engagés qui soient. Com- ment s’opposer en effet plus clairement aux velléités nationalistes fascisantes des années 1930 qu’en publiant en 1932 une généalogie paneuropéenne des Lumières et en montrant qu’on n’a pensé juste et bien qu’à partir du moment où les forces vives spécifiques à chaque nationalité ont collaboré pour résoudre un même problème, reconnu par elles toutes, selon un idéal cosmopolitique, comme leur tâche commune, j’ai nommé le devoir de sortir chaque individu de l’état de minorité où il se tient avant qu’il n’accède à l’autonomie 4 ? Sa participation à la revue Logos, dont les intentions étaient explicitement de construire une Europe intellectuelle, témoigne également en ce sens. Sans certes réserver un ouvrage « séparé » conséquent à l’histoire des idées politiques, Cassirer a écrit longuement sur le républicanisme 5, l’État, la loi, le droit 6, et, enfin, sur le rapport complexe de la politique du xxe siècle à une technicisation du mythe et du langage conduisant au totalitarisme 7, ainsi que sur le rapport particulier du judaïsme à la politique 8. Pourquoi n’est-il donc pas plus souvent cité en France comme historien des idées politiques, voire, au même titre que Sartre, comme un des grands moralistes politiques du xxe siècle ? 3. E. Cassirer, La philosophie des Lumières, trad. par P. Quillet, Paris, Fayard, 1966, p. 239-273. Le chapitre regroupe : 1. L’idée de droit et le principe des droits inaliénables ; 2. L’idée de contrat et la méthode des sciences sociales. Ce dernier passage se termine par un hommage à Rousseau, qui, même en « s’élevant contre la Philosophie des Lumières, même en l’emportant contre elle, reste un vrai fils de cette Aufklärung qu’il combat ». Rousseau est loué comme celui qui, par son sentimentalisme particulier, a permis de définir une « force morale et une nouvelle volonté morale » qui a pu gagner et entraîner des « esprits foncièrement non sentimentaux comme Lessing et Kant » (p. 272). Kant a pu « s’appuyer sur Rousseau, se réclamer de lui pour la construction systématique de son propre monde intellectuel » (p. 273). 4. P. Favuzzi donne pour preuve de la conscience européenne de Cassirer son essai intitulé « Deutschland und Westeuropa im Spiegel der Geistesgeschichte ». Cf. sa thèse, « Kultur und Staat – Quellen und Kontext des politischen Denkens E. Cassirers » (soutenue le 4 avril 2013, en voie de publication), p. 164-167 ; 288-289. Nous profitons de cette note pour remercier très vivement P. Favuzzi pour sa relecture et ses avis critiques constructifs sur cet article. 5. E. Cassirer, « Die Idee der republikanischen Verfassung. Rede zur Verfassungsfeier am 11. August 1928 ». 6. Voir « L’unité de l’œuvre de Rousseau » (ECW 18, Aufsätze und kleine Schriften 1932- 1935, Hambourg, Éditions Meiner) et Rousseau, Kant et Goethe, trad. J. Lacoste, Paris, Belin, 1991. Les personnalités opposées de Kant et de Rousseau se rejoignent selon Cassirer par leur défense enthousiaste de « l’idée pure de droit », p. 87. 7. E. Cassirer, Le Mythe de l’État, trad. B. Vergely, Paris, Gallimard, 1993, abrégé MDÉ. 8. E. Cassirer, « Le Judaïsme et les mythes modernes », Revue de Métaphysique et de Morale, Paris, A. Colin, 1991, n°3. Voir sur ce point le récent article d’A. Schober, « L’opposition de Cassirer à la barbarie », in Sciences et philosophie de la culture chez E. Cassirer, Revue L’art du comprendre, 2013, n° 22, Deuxième série, p. 179-190. © Picard | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.218.2.117) © Picard | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.218.2.117) ERNST CASSIRER 287 / Michel Foucault s’en étonne déjà, lors de la parution de la première traduction de Cassirer en français, La philosophie des Lumières, dont il fait la recension élogieuse 9 l’année même où paraît sa propre archéologie des sciences humaines. Dans Les mots et les choses (1966), Foucault aborde en partie les mêmes thématiques que dans la Logique des sciences de la culture de Cassirer, engageant des prémisses épistémologiques similaires, avec un style toutefois radicalement nouveau 10. Foucault pose, dans cette recension, une question « nietzschéenne », à laquelle nous pouvons donner un tour plus « dérangeant » qu’il ne le fit, pour en accentuer les enjeux politiques : qui a eu intérêt en France à ce qu’on ne reconnaisse pas en Cassirer un des principaux historiens des idées politiques ? Est-ce d’un côté la désinvolture heideggérienne et, de l’autre, l’analyse que des penseurs comme Horkheimer et Adorno firent d’un certain héritage de la philosophie des Lumières, qui ont occulté la pensée politique de Cassirer ? Une des raisons de cette quasi-absence de prise en considération actuelle de Cassirer comme penseur des idées politiques en France, par contraste avec l’intérêt qu’on lui porte en Allemagne sur ce point 11, provient de la difficulté à situer sa pensée, dès lors que l’on a pris acte qu’il n’est pas seulement un néo-kantien membre de l’École de Marbourg et que sa conception des Lu- mières, du rôle de l’individu dans l’histoire et de la nature de l’État, l’éloigne de Kant et de Hegel autant qu’elle le rapproche d’eux. Sa pensée relèverait-elle encore d’une philosophie de l’histoire idéaliste, téléologie dérisoire menaçant de refermer la réflexion politique sur un uploads/Politique/ muriel-van-vliet-ernst-cassirer-historiens-des-idees-politiques.pdf
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- Publié le Jui 23, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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