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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 1997 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 21 sep. 2020 08:27 Philosophiques François Leroux, Figures de la souveraineté. Nietzsche et la question politique, Montréal, Hurtubise HMH (coll. « Brèches »), 1997, 341 p. Frédérique Doyon Volume 24, numéro 2, automne 1997 URI : https://id.erudit.org/iderudit/027461ar DOI : https://doi.org/10.7202/027461ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Doyon, F. (1997). Compte rendu de [François Leroux, Figures de la souveraineté. Nietzsche et la question politique, Montréal, Hurtubise HMH (coll. « Brèches »), 1997, 341 p.] Philosophiques, 24 (2), 431–435. https://doi.org/10.7202/027461ar P H I L O S O P H I Q U E S , VOL. XXIV, N 0 2, AUTOMNE 1997, P. 431-446 COMPTESRENDUS François Leroux, Figures de la souveraineté. Nietzsche et la question politique, Montréal, Hurtubise H M H (coll. « Brèches »), 1997, 341 p. Entre l'engouement surtout politique que les écrits de Nietzsche suscitent en Amérique ces dernières années et la lecture philosophico-littéraire que les Européens proposent depuis le milieu du siècle, ce nouvel ouvrage fait le pont. L'auteur y rappelle en effet l'intrication profonde chez Nietzsche, voire la subordination, du procès de la culture (qui ouvre la voie au politique) à celui de l'écriture. Non seulement c'est la perversion du style chez les écrivains contemporains de Nietzsche (en l'occurrence David Strauss) qui déclenche sa critique politique dans les Considérations intempestives, mais c'est encore l'écriture profondément allégorique de La naissance de la tragédie et du Fragment de Lugano qui permet l'incursion jusqu'aux origines de l'Etat et aux conditions de sa formation. Sans fournir de cadre principal à l'ouvrage de Leroux, ce rapport du politique à la langue, réitéré sporadiquement au gré des chapitres, remet les pendules de la critique nietzschéenne à l'heure juste : si la question du style est omniprésente dans l'œuvre de Nietzsche, c'est qu'elle masque d'autres enjeux cruciaux dont se dégage, entre autres, une réflexion politique fondamentale. C'est à travers l'analyse des trois écrits nietzschéens mentionnés ci-haut que Leroux récupère cette réflexion politique. Toute fragmentée, disséminée et camouflée sous sa plume féconde et convulsive, la pensée politique de Nietzsche converge néanmoins vers une souveraineté, qu'elle concerne l'homme isolé ou la nation que ce dernier doit constituer. Se refusant à toute exposition doctrinale, cette souveraineté prend la forme de diverses figures au gré du texte nietzschéen (le génie, le surhomme, Nietzsche lui-même). Trois figures — mais il y en a d'autres ! — qui appellent autant d'avenues incontournables pour parvenir à une interprétation fidèle de la souveraineté : la généalogie, l'utopie, l'autobiographie. Car la souveraineté ici en question n'a rien à voir avec un quelconque désir de puissance comme l'ont souvent pensé les commentateurs. Au contraire, elle s'inscrit en faux contre cette avidité de puissance qui définit justement la société moderne — et sa politique — à laquelle Nietzsche s'en prend. La souveraineté à laquelle il convie les hommes passe par l'assomption d'une souffrance inhérente à l'existence qui permet l'élaboration de l'Etat, contexte nécessaire à l'émergence du génie qui assure et renouvelle la mémoire collective d'un peuple. Ce réajustement crucial de l'interprétation de la souveraineté nietzschéenne s'inscrit dans le mouvement même qui amorce et cadre la lecture politique de Leroux. En effet, avant de s'engager sur le terrain glissant de l'analyse des écrits de Nietzsche, l'auteur s'arrête au problème d'interprétation que pose leur lecture, qui verse plus souvent qu'autrement dans le discours d'imputation, et dont il tient à se dégager. Ainsi, consacrant un premier chapitre à la confrontation des œuvres de Marc Sautet [Nietzsche et la Commune, 1981) et de Philippe Lacoue-Labarthe [L'imitation des Modernes, 1986), Leroux peut mettre en relief les mérites et les lacunes respectifs de ces ouvrages qui guident sa propre démarche et la prémunissent alors des imputations abusives auxquelles invite presque le langage imagé et provocant de Nietzsche. Si les 432 PHILOSOPHIQUES deux auteurs adoptent des approches bien différentes, ils reconnaissent pourtant tous deux l'enracinement politique des tout premiers écrits de Nietzsche. Or, Leroux récupère, voire radicalise cette tendance en abordant le Fragment de Lugano . Ce texte préparatoire à la rédaction de La naissance de la tragédie livre en quelque sorte à Leroux la clé de son interprétation du politique chez Nietzsche. De la même façon, le commun écueil de Sautet et Lacoue-Labarthe révèle à Leroux le point de mire du discours politique nietzschéen : la souveraineté, dénaturée d'une part par Sautet qui y voit une prise de parti anti-prolétarienne et réactionnaire, et d'autre part par Lacoue-Labarthe qui, à l'instar de Heidegger, l'interprète en termes de pouvoir et puissance, alors que c'est exactement en ces caractéristiques que Nietzsche diagnostique le mal moderne. Ce diagnostic, Nietzsche le pose dans ces Considérations intempestives dont Leroux fait l'analyse dans son second chapitre. La première de ces Considérations annonce le cadre général de la critique nietzschéenne de la culture moderne : c'est sous la bannière du style que cette critique se déploie, plus spécifiquement dans le décalage entre la forme, laissée pour compte, et le contenu, en quelque sorte hypertrophié. En effet, l'homme moderne se gave des connaissances, des mœurs, des arts, des religions du passé, des autres, contenu qu'il s'empresse de rapporter, de répertorier sans se préoccuper du contenant qui lui est pourtant indissociable. Manie encyclopédique (ou journalistique) qui le dépouille d'une identité propre et des moyens d'exprimer cette identité. Pour Leroux, cette vaste « question du style s'annonce d'emblée comme interrogation fondamentalement politique » (p. 84) puisque c'est l'unité de style traversant toutes les activités d'une nation qui en définit la culture selon Nietzsche. Or, l'exemple de David Strauss en est un de faiblesse du style, foyer propice à la multiplication des styles. Ici, la nation est à distinguer du nationalisme d'Empire (ou de l'État-nation) que Nietzsche dénonce par ailleurs avec virulence. En ce sens, l'enjeu de la critique nietzschéenne déborde largement le groupe social circonscrit par la figure de David Strauss, franchit même la frontière nationale de l'Allemagne. Cette facture profondément politique apparaît peut-être davantage dans la seconde des Intempestives. Nietzsche fait de l'historicisme, qu'il dénigre, l'idéologie moderne qui conduit la nation à sa perte. L'avidité de connaissance objective est la lunette perverse où le paysage nihiliste d'une nation qui s'oublie se fait optimisme. Et si le foisonnement des styles affiche une certaine unité, c'est parce qu'ils forment un « groupe cohérent de négations » (nous soulignons) selon l'expression de Nietzsche. Par la critique du style d'une part et de l'historicisme d'autre part, Nietzsche met respectivement en cause la parole et l'action mêmes d'un peuple qui n'en mérite presque plus le nom, et tente donc de rétablir l'authenticité de ces deux composantes sociales. Une fois le diagnostic posé, les conséquences s'imposent : violence et culte de la puissance stimulés par la répression d'une culture axée sur l'intériorité (contenu), d'une part ; prééminence (voire vénération) de l'État découlant de la lecture historiciste de YEgoismiis machiavélien, d'autre part. C'est d'ailleurs en réaction à cette suprématie de l'État que Nietzsche élabore son « programme » politique, jamais de façon systématique, à travers la métaphysique du génie que présentent les troisième et quatrième Intempestives. Les figures de Schopenhauer et Wagner y constituent en quelque sorte la dramatisation de l'interrogation sur le lien social. La consolidation de ce lien social passe nécessairement par le génie qui devient l'horizon de l'activité politique, et qui mène à bien la tâche de toute culture : assouvir la souffrance qui siège au fond de l'être et en faire une pulsion de vie, de création plutôt que de destruction. En fait, toute la critique de la culture porte le sceau de ce programme parce qu'elle s'énonce constamment en termes d'avenir. Les forces à l'œuvre que Nietzsche désigne dans le présent sont celles-là mêmes qui précipiteront la nation vers son COMPTES RENDUS 433 déclin. Enraciné dans le présent et dans le sujet le plus ponctuel (dans sa critique d'un auteur contemporain), il projette sa pensée hors du temps et du contexte. Et il parvient à mettre la société dans tous ces états alors qu'elle ne jure que par sa réussite. D'où son indéniable intempestivité. Une fois le mal moderne identifié par les Intempestives, Leroux engage son troisième chapitre dans l'étude de La naissance de la tragédie, dont la progression généalogique révèle une agonistique devant se trouver au fondement de toute politique. La dynamique des forces apollinienne et dionysiaque que présente cette œuvre et qui définit le tragique, constitue en fait l'allégorie de la tension qui doit constamment régner entre le peuple et ses génies afin de créer une communauté. uploads/Politique/ question-politique-montreal-hurtubise-hmh-coll-breches 1 .pdf

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