Monsieur Peter A. Hall Madame Rosemary C. R. Taylor La science politique et les

Monsieur Peter A. Hall Madame Rosemary C. R. Taylor La science politique et les trois néo-institutionnalismes In: Revue française de science politique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496. Résumé On peut mieux appréhender le « néo-institutionnalisme » en science politique comme le développement de trois écoles de pensée distinctes : institutionnalisme historique, institutionnalisme des choix rationnels, et institutionnalisme sociologique. Les auteurs résument les intuitions centrales de chaque école, en portant une attention particulière à la dualité entre les approches « culturelle » et « calculatrice » et évaluent les avantages et les faiblesses de chaque école de pensée en soulevant deux questions clés : comment les institutions influencent le comportement et où se situent l'origine et le changement de ces institutions. En conclusion, ils explorent, pour chaque école, les possibilités d'intégrer certaines de ces intuitions les unes aux autres, de façon à favoriser un dialogue plus fécond entre elles. Abstract Political science and the three new institutionalisms The "new institutionalism" in political science can best be understood as the development of three separate schools of thought : historical institutionalism, rational choice institutio-nalism and sociological institutionalism. The authors summarize the core insights of each school, with particular attention to the duality between a "cultural" and a "calculus" approach and compare the advantages and disadvantages of each school of thought for addressing two key issues : how do institutions affect behavior and how do institutions ori-ginate and change ? They conclude by exploring the potential for integrating some of the insights of each school with those of the others in order to encourage greater dialogue among them. Citer ce document / Cite this document : Hall Peter A., Taylor Rosemary C. R. La science politique et les trois néo-institutionnalismes. In: Revue française de science politique, 47e année, n°3-4, 1997. pp. 469-496. doi : 10.3406/rfsp.1997.395192 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1997_num_47_3_395192 LA SCIENCE POLITIQUE ET LES TROIS NÉO-INSTITUTIONNALISMES PETER A. HALL, ROSEMARY C.R. TAYLOR Le terme « néo-institutionnalisme » est aujourd'hui de plus en plus souvent utilisé en science politique pour désigner une perspective théorique qui attire beaucoup de louanges, mais aussi certaines cri tiques. Toutefois, la plus grande confusion règne concernant le sens précis du terme «néo-institutionnalisme», les différences qui le distinguent d'autres démarches, et le genre d'espoirs et de problèmes qu'il fait naître. L'objet du présent article est de fournir quelques réponses provisoires à ces questions en recensant quelques-uns des travaux représentatifs de cette école naissante. Une grande partie de la confusion qui entoure le néo-institutionnalisme s'évanouira si nous admettons qu'il ne constitue pas un courant de pensée unifié. Au contraire, au moins trois méthodes d'analyses différentes, qui revendiquent toutes le titre de «néo-institutionnalisme», sont apparues ces quinze dernières années. Nous appellerons ces trois écoles de pensée l'insti- tutionnalisme historique (IH), l'institutionnalisme des choix rationnels (ICR) et l'institutionnalisme sociologique (IS) '. Ces différentes méthodes se sont développées par réaction contre les perspectives behavioristes qui furent influentes dans les années soixante et soixante-dix, et elles cherchent toutes à élucider le rôle joué par les institutions dans la détermination des résultats sociaux et politiques. Toutefois, elles dépeignent le monde politique avec des couleurs très différentes. Dans les sections qui suivent, nous exposons brièvement la genèse de chacune de ces écoles, et nous définissons succinctement ce qui distingue leur manière d'aborder les problèmes sociaux et politiques. Nous comparons ensuite les forces et les faiblesses théoriques des ces trois écoles de pensée, en nous intéressant particulièrement à l'attitude adoptée par chacune d'entre elles concernant deux questions qui devraient être fondamentales dans toute analyse institutionnelle, à savoir: (1) comment construire la relation entre institution et comportement, (2) comment expliquer le processus par lequel les institutions naissent ou se modifient. Étant donné les objets qu'elles ont en commun, il est paradoxal que ces trois écoles de pensée se soient développées indépendamment l'une de l'autre, du moins si l'on en juge par la rareté des références croisées dans 1. En principe, il serait envisageable d'identifier une quatrième école, à savoir le «néo-institutionnalisme» en économie. Toutefois, il aurait beaucoup en commun avec l'institutionnalisme des choix rationnels, ce qui explique que nous les traitons sous la même rubrique dans l'espace de ce bref article. Une analyse plus étendue pourrait obser ver que l'ICR insiste davantage sur l'interaction stratégique, tandis que le néo-institu tionnalisme en économie privilégie les droits de propriété, les rentes, et les mécanismes de sélection compétitive. Cf. Th. Eggertsson, Economie Behaviour and Institutions, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 et L. Putterman (éd.), The Economie Nature of the Firm, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. 469 Revue française de science politique, vol. 47, n° 3-4, juin-août 1997, p. 469-496. © 1997 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor la littérature. Jusqu'à une époque récente, elles ont peu échangé. En consé quence, un de nos soucis principaux est de nous demander ce que ces trois écoles pourraient avoir à apprendre l'une de l'autre et, dans notre conclus ion, nous posons la question de savoir dans quelle mesure il serait possible de synthétiser leurs apports respectifs. L'INSTITUTIONNALISME HISTORIQUE L'institutionnalisme historique s'est développé en réaction contre l'ana lyse de la vie politique en termes de groupes en politique et contre le struc- turo-fonctionnalisme qui dominaient la science politique dans les années soixante et soixante-dix1. Il a emprunté à ces deux méthodes tout en cher chant à les dépasser. Ses théoriciens retenaient de l'approche par les grou pes l'idée que le conflit entre groupes rivaux pour l'appropriation de ressources rares est central à la vie politique, mais ils recherchaient de meilleures explications permettant de rendre compte des situations politiques nationales, et, en particulier, de la distribution inégale du pouvoir et des ressources2. Ils trouvèrent ces explications dans la façon dont l'organisation institutionnelle de la communauté politique et les structures économiques entrent en conflit de telle sorte que certains intérêts sont privilégiés au détriment d'autres intérêts. Ils s'inspiraient en cela d'une tradition plus ancienne de la science politique qui accorde de l'importance aux institutions politiques officielles tout en développant une conception plus étendue des institutions qui ont de l'importance et de la façon dont cette importance se manifeste 3. Ces théoriciens furent également influencés par la conception propre aux structuro-fonctionnalistes de la communauté politique comme système global composé de parties qui interagissent4. Ils acceptaient ce principe, mais crit iquaient la tendance de nombreux structuro-fonctionnalistes à considérer les caractéristiques sociales, psychologiques ou culturelles des individus comme les paramètres régissant une bonne partie du fonctionnement du système. Au contraire, ils considéraient que l'organisation institutionnelle de la commun auté politique ou l'économie politique était le principal facteur structurant le comportement collectif et engendrant des résultats distincts. Ainsi, ils pri vilégiaient le «structuralisme» inhérent aux institutions de la communauté politique de préférence au «fonctionnalisme» des théories antérieures qui considéraient les situations politiques comme la réponse aux exigences fonc tionnelles du système. 1. Nous empruntons le terme « institutionnalisme historique» à S. Steinmo et al., Structuring Politics. Historical Institutionalism in Comparative Analysis, New York, Cambridge University Press, 1992. 2. Par nécessité, c'est là un exposé excessivement synthétique de développements multiples et complexes. Pour plus de détails, voir R. Chilcote, Theories of Comparative Politics, Boulder, Westview, 1981 et J. A. Bill, R. L. Hardgrave, Jr., Comparative Polit ics, Washington, University Press of America, 1981. 3. Cf. H. Eckstein, D. Apter (eds), Comparative Politics, Glencoe, Free Press, 1963. 4. Pour une synthèse qui a fait date, cf. G. Almond, G. Bingham Powell, Jr., Comparative Politics. A Developmental Approach, Boston, Little Brown, 1956. 470 La science politique et les trois néo-institutionnalismes Le structuro-fonctionnalisme et les théories des conflits entre les grou pes se présentaient aussi sous la forme de variantes pluralistes et néomarxist es, et les débats concernant ces dernières jouèrent un rôle particulièrement déterminant dans le développement de l'institutionnalisme historique au cours des années soixante-dix [. En particulier, ils conduisirent nombre de ses théoriciens à accorder une attention particulière à l'État, qui n'était plus un agent neutre arbitrant entre des intérêts concurrents, mais un complexe d'institutions capable de structurer la nature et les résultats des conflits entre les groupes2. Peu de temps après, les théoriciens de cette école commencèrent à examiner comment d'autres institutions sociales et politi ques, comme celles qui sont associées à l'organisation du travail et du capit al, pouvaient structurer les interactions sociales de façon à engendrer des situations politiques et économiques propres à chaque pays3. Nombre de ces travaux portent sur des comparaisons transnationales ou sur l'étude compar ée des politiques publiques et soulignent généralement l'impact des institu tions politiques nationales, y compris celles qui structurent les relations entre les législateurs, les intérêts organisés, l'électorat et le pouvoir judi ciaire4. Une importante littérature secondaire dans le domaine de l'économie politique comparative étend de telles analyses aux mouvements ouvriers, aux organisations patronales et aux systèmes financiers de divers pays5. Comment les théoriciens de l'institutionnalisme historique définissent-ils les institutions ? Globalement, comme les procédures, protocoles, normes et conventions officiels et officieux inhérents à la structure organisationnelle de la communauté politique ou de l'économie politique. Cela peut aller des uploads/Politique/ hall-amp-taylor-la-science-politique-et-les-trois-neo-institutionnalismes.pdf

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