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10/30/16, 7)48 PM Littérature et politique Page 1 of 19 http://pierre.campion2.free.fr/cranciere_fabula.htm RETOUR : Contributions Littérature et politique. Le partage du sensible selon Jacques Rancière © : Pierre Campion. Voir ici, par ailleurs, une réflexion sur J. Rancière et l'écriture de l'histoire. Mis en ligne le 29 septembre 2002. Littérature et politique RANCIÈRE Jacques, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000, 80 p., ISBN 2 913372 05 8. Jacques Rancière poursuit sans relâche une œuvre exigeante qui, même si elle concerne l'esthétique en général, intéresse directement la théorie de la littérature. Depuis le début, il continue à examiner, dans une perspective philosophique, les rapports que les arts (littérature, théâtre, cinéma, photographie, arts plastiques…) et les savoirs entretiennent entre eux, cela à travers les relations qu'ils entretiennent avec la politique. À mesure qu'il avance, il jalonne son itinéraire et formule des mises au point, parfois teintées de polémique : le présent petit livre est l'une de ces stations. Répondant à des questions posées par deux jeunes philosophes, Rancière « [a] essayé de marquer quelques repères, historiques et conceptuels, propres à reposer certains problèmes que brouillent irrémédiablement des notions qui font passer pour déterminations historiques des a priori conceptuels et pour déterminations conceptuelles des découpages temporels. Au premier rang de ces notions figure bien sûr celle de modernité, principe aujourd'hui de tous les pêle-mêle […] » (p. 10). Cela donne cinq textes brefs : 1 - Du partage du sensible et des rapports qu'il établit entre politique et esthétique 2 - Des régimes de l'art et du faible intérêt de la notion de modernité 3 - Des arts mécaniques et de la promotion esthétique et scientifique des anonymes 4 - S'il faut en conclure que l'histoire est fiction. Des modes de la fiction 5 - De l'art et du travail. En quoi les pratiques de l'art sont et ne sont pas en 10/30/16, 7)48 PM Littérature et politique Page 2 of 19 http://pierre.campion2.free.fr/cranciere_fabula.htm exception sur les autres pratiques Pour comprendre entièrement les implications de ces prises de positions, ainsi que la nature et l'unité de la pensée qui s'exprime dans ce livre, il faudrait remonter aux premiers temps de ses travaux, quand Rancière récusait les notions de culture populaire ou de littérature prolétarienne, dans lesquelles on cherche souvent à cantonner la revendication de l'égalité, et qu'il dénonçait les récupérations de l'utopie ouvrière que la pensée savante et la pratique militante tendent à opérer, chacune à sa manière. Sans doute même faudrait-il évoquer les textes où il méditait sur les illusions de certains « courts voyages au pays du peuple », ceux de quelques écrivains (Wordsworth, Michelet ou Rilke, par exemple), des « apôtres » saint-simoniens en mission dans les années 1830, et ceux de sa propre génération. En fait, je me bornerai ici à essayer de mettre en évidence la cohérence et la force de cette pensée, dans la mesure où elle intéresse la théorie de la littérature. Ce travail portera principalement sur le premier de ces cinq textes, replacé dans le contexte des derniers ouvrages de l'auteur. 1 - La « mésentente » Partons du livre de La Mésentente (1995). Remontant bien au-delà de Marx et jusqu'à la relation entre Platon et Aristote, Rancière y mettait en lumière la difficulté que la philosophie éprouve depuis toujours à penser la politique et il exposait l'origine de cette difficulté. Selon Rancière, la nature de la politique réside dans un certain conflit entre les hommes, et ce conflit a trait précisément à leur humanité. Dès que l'on a reconnu avec Aristote que l'homme est un animal politique (zôon politikon) et que, « seul de tous les animaux, l'homme possède la parole », il faut admettre que cet animal sera un être politique en tant qu'il parle. Tout conflit qui met en jeu l'ordre du vivre en commun selon l'humanité revient à un certain litige et, en dernier ressort, ce litige porte sur la définition et sur l'usage des mots et des règles en jeu dans la discussion, et surtout sur l'existence et le fonctionnement de la discussion elle-même, en tant qu'elle inclut telle ou telle catégorie des humains, ou qu'elle l'en exclut. Strictement entendue, la mésentente ne provient donc pas de l'opposition des intérêts, ni d'un mensonge délibéré ou de la mauvaise foi ; elle n'est pas non plus le malentendu ; elle n'est pas la guerre ; elle ne relève pas du judiciaire : « Là où la philosophie rencontre en même temps la politique et la poésie, la mésentente porte sur ce que c'est qu'être un être qui se sert de la parole pour discuter. Les structures de mésentente sont celles où la discussion d'un argument renvoie au litige sur l'objet de la 10/30/16, 7)48 PM Littérature et politique Page 3 of 19 http://pierre.campion2.free.fr/cranciere_fabula.htm discussion et sur la qualité de ceux qui en font un objet » (La Mésentente, pp. 14-15). Telle est la nature de la politique, qui dès maintenant, notons-le, l'associe à la poésie au regard de la philosophie, et dans la même suspicion. Cela notamment dans La République de Platon. La tentation de la philosophie, depuis Platon, consisterait donc à exclure la poésie (qui est le régime même de l'équivoque) et à « rationaliser » la politique, cela en présumant que la mésentente provient d'un usage erroné des mots et qu'elle pourrait se résoudre par les moyens d'une bonne sémantique et d'une critique bien conduite des systèmes politiques en usage : « Ce qu'on appelle “philosophie politique” pourrait bien être l'ensemble des opérations de pensée par lesquelles la philosophie essaie d'en finir avec la politique, de supprimer un scandale de pensée propre à l'exercice de la politique. Ce scandale théorique n'est lui-même que la rationalité de la mésentente. Ce qui fait que la politique est un objet scandaleux, c'est que la politique est l'activité qui a pour rationalité propre la rationalité de la mésentente » (ibid., p. 15). 2 - La rationalité spéciale de la mésentente Qu'est-ce donc que cette rationalité si particulière, que la philosophie tente constamment d'éluder ou de domestiquer ? Dans l'Antiquité classique, mais aussi bien à d'autres moments de l'histoire, ou maintenant, il y a d'un côté ceux des hommes qui peuvent être qualifiés et comptés : qualifiés par leur valeur morale ou/et par leurs biens (sous le nom, par exemple, des aristoi) et comptés comme étant le petit nombre (par exemple, les oligoi) ; de l'autre côté, les gens de rien, la multitude, non ordonnés et non dénombrables, et muets. À vrai dire, justement, on ne saurait parler de l'un et de l'autre côté : car les premiers occupent tout le champ disponible de l'humanité et les seconds ne comptent pas, ni même ne se comptent, comme des humains. Ce qui leur est dénié, mais implicitement et en quelque sorte tout naturellement, par ceux qui se comptent et qui comptent, c'est justement leur appartenance au champ du logos. C'est pour cela que Platon décrit le dèmos comme un gros animal qu'on doit approcher et nourrir avec précautions, une créature capable de manifester des affects par des bruits (phônai, des sons de voix, non des paroles…), mais incapable censément de délibérer. Pour désigner l'ensemble des lois et règlements qui régissent un état social ainsi constitué, où les uns parlent et les autres n'existent pas, Rancière emploie le vieux mot français de police (venu de politeia), sans nuance péjorative particulière, précise-t-il (ibid., p. 51). La philosophie politique décrit, critique et suggère d'améliorer ces polices ; elle en fait aussi l'histoire. Par opposition à ces polices, la politique s'inscrira en rupture dans le cours ordinaire de l'histoire et avec les institutions du moment. Elle surgira donc à l'occasion d'un 10/30/16, 7)48 PM Littérature et politique Page 4 of 19 http://pierre.campion2.free.fr/cranciere_fabula.htm certain coup de force (d'un coup de théâtre…), par exemple celui de la sécession de la plèbe romaine sur l'Aventin, telle qu'elle est racontée par Tite-Live, dans le récit célèbre que Ballanche reprendra et commentera en 1830 (ibid., pp. 45-48). En constituant leur ordre symbolique face à celui du patriciat et en obligeant Menenius à les convaincre par la fiction des membres et de l'estomac, les sans-parole se firent reconnaître, sans coup férir, comme entendant le Sénat et pouvant se faire entendre de lui. Mais ne nous y trompons pas : cet épisode, choisi pour sa valeur démonstrative en général et pour faire comprendre le moment particulier de l'histoire sociale où il reparaît avec Ballanche, ne sépare pas un état de nature d'un état désormais politique, et il ne s'analyse pas dans la problématique du contrat. Car il se renouvelle dans l'histoire, sous diverses formes, à chaque fois que ceux qui ne comptent pas comme des humains (et il y en a toujours…) se posent et s'imposent en acteurs d'une discussion entre égaux. Ainsi se forme une totalité, mais traversée par une incommensurabilité, la totalité paradoxale de la politique qui articule entre elles en son sein, à un moment donné, les parties de l'humanité qui monopolisent le logos et la sans-partie qui en revendique uploads/Politique/ litte-rature-et-politique.pdf

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