La Russie et l’Ukraine soviétiques Leurs relations mutuelles et leurs destinées
La Russie et l’Ukraine soviétiques Leurs relations mutuelles et leurs destinées Christian Rakovsky Source : « Soviet Russia », vol. III, n° 24, samedi 11 décembre 1920, pp. 570-573. Traduction et notes pour MIA. La révolution socialiste ne transforme pas seulement la structure économique et politique interne des États, elle modifie aussi radicalement les relations entre eux. Les rapports entre les États soviétiques sont fondamentalement distincts des rapports entre les États bourgeois. L’État bourgeois se distingue de l’État prolétarien jusque dans ses principes élémentaires. L’État prolétarien n’entre en vérité dans aucune des classifications établies par les économistes politiques de la vieille société. Le présupposé de toutes les formes d’administration étatiques – qu’elle soit aristocratique, démocratique, de monarchie absolue, de monarchie constitutionnelle, républicaine, etc. est leur exclusivité et leur caractère discriminant. La plus démocratique des républiques démocratiques place ses propres citoyens dans une sorte d’opposition aux étrangers. Dans la république la plus démocratique, les étrangers ne sont pas admis au sein de la vie politique du pays. Celle-ci est un privilège des classes possédantes nationales ou, au mieux, des seuls citoyens de l’État en question. Dans la constitution des nations soviétiques par contre, aussi bien celle de Russie que d’Ukraine, un principe fondamental est précisément l’abolition de tous les privilèges de race. Ainsi, par exemple, le paragraphe 20, section C, de la Constitution de la République Socialiste d’Ukraine proclame que « Les étrangers appartenant à la classe ouvrière ou à la classe paysanne laborieuse jouissent du droit de vote ». Une telle règle constitutionnelle est totalement incompréhensible pour le juriste bourgeois qui a l’habitude de considérer comme allant de soi l’opposition de son propre État aux autres États et de ses citoyens aux étrangers présents chez lui. Mais cette règle est le résultat logique de la qualité la plus fondamentale du prolétariat. La principale différence entre l’État prolétarien et l’État bourgeois réside dans leurs fondements économiques distincts, qui s’excluent absolument. L’État bourgeois, ainsi que les formes d’organes étatiques qui l’ont précédé, est fondé sur le principe de la propriété privée de la terre et des moyens de production. L’ensemble du droit dit bourgeois, qui règle les rapports entre les propriétaires privés, est fondé sur ce principe. L’État dans son ensemble, avec toutes ses institutions, ses organismes militaires, administratifs et économiques – ainsi que son Église – constitue également un type de propriété, bien sûr pas celle de tel ou tel capitaliste, mais la propriété de toute la classe possédante : les classes bourgeoises et les propriétaires fonciers ou esclavagistes. L’objectif de chaque propriétaire privé est le développement et le renforcement de son pouvoir d’exploitation. La concurrence est un moyen d’atteindre cet objectif. Le résultat de la loi de la concurrence est la destruction ou, au mieux, l’assujettissement des propriétaires les moins riches et les moins compétents à ceux qui ont plus de moyens, plus de capital et plus de compétences. La même loi commande également le développement des États bourgeois. Ils constituent précisément de tels organismes de compétition, en concurrence entre eux, et le résultat de celle-ci est le même ; la destruction complète des États faibles ou au mieux leur soumission aux États forts. Le principe de l’État bourgeois s’exprime précisément dans la création de ces États nationaux individuels 1 mutuellement hostiles. Entre ces États, il peut y avoir des traités commerciaux, des accords postaux, télégraphiques et ferroviaires ; selon la conjoncture internationale, il peut y avoir des alliances défensives et offensives entre eux, mais ces arrangements ont un caractère temporaire, occasionnel et inachevé. De tels arrangements ne peuvent éliminer l’antagonisme singulier et profond qui existe entre ces États et dans l’ensemble de la société capitaliste. Dès que le danger qui unit les différents pays ou que les coïncidences temporaires d’intérêts particuliers sont dépassés, la lutte et la haine s’enflamment à nouveau entre eux avec une force accrue, car ce conflit découle de leur nature même. L’histoire de la coalition des pays de l’Entente [1] et de leurs alliés avant et après la guerre impérialiste est particulièrement caractéristique à cet égard. L’idéologie de l’État bourgeois est le nationalisme. Les intrigues diplomatiques, l’espionnage sous toutes ses formes, les tromperies mutuelles, sont les instruments habituels du pouvoir bourgeois. Lorsque Marx, dans le premier manifeste de l’Internationale, en évoquant la politique étrangère des États capitalistes, leur opposait une politique qui devait être fondée sur les lois de la morale humaine [2], il ne voulait évidemment pas dire que les socialistes de la société bourgeoise devaient soutenir la morale chrétienne par opposition à cette politique d’État : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais point qu’ils te fassent ». Il attirait plutôt l’attention du prolétariat sur le fait que seule la victoire d’une révolution prolétarienne pouvait créer les conditions de relations honnêtes et franches entre toutes les nations. Contrairement à l’État bourgeois, l’État prolétarien, qui rejette la propriété privée en tant que moyen de production, récuse en même temps la propriété privée en tant qu’attribut de l’État lui-même. Dans l’État socialiste, le principe normatif n’est pas l’intérêt de l’exploiteur privé, mais l’intérêt de toute la classe ouvrière. De la même manière que disparaîtront les frontières entre les productions privées individuelles uniquement régies par la loi de la concurrence, les frontières séparant les États socialistes n’auront plus un caractère politique mais seront transformées en simples limites administratives. Au lieu de l’économie capitaliste chaotique, dans laquelle la production la plus massive de produits manufacturés et l’exploitation la plus intense de l’ouvrier alternent avec la crise industrielle et le chômage, il y aura une production organisée et nationalisée, développée rationnellement selon les besoins généraux d’un plan national, et non pas seulement sur une échelle nationale mais aussi sur internationale. [ 1] Bloc de puissances impérialistes (Angleterre, France et Russie) qui s’est définitivement formé en 1907 à la suite de « l’Entente cordiale » entre la France et l’Angleterre de 1904. Ce bloc s’était constitué en opposition aux puissances impérialistes de la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie). Pendant la Première guerre mondiale (1914-1918), l’Italie quitta la Triple Alliance pour se déclarer neutre d’abord, et pour rejoindre ensuite le camp de l’Entente, ainsi que le Japon et les États-Unis. L’Entente fut la principale instigatrice de l’intervention militaire contre la Révolution russe. [ 2] Rakovsky fait référence ici au dernier paragraphe du Manifeste inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs de Marx : « Si l’émancipation des classes travailleuses requiert leur union et leur concours fraternels, comment pourraient-elles accomplir cette grande mission si une politique étrangère, qui poursuit des desseins criminels, met en jeu les préjugés nationaux et fait couler dans des guerres de piraterie le sang et dilapide le bien du peuple ? Ce n’est pas la prudence des classes gouvernantes de l’Angleterre, mais bien la résistance héroïque de la classe ouvrière à leur criminelle folie qui a épargné à l’Europe occidentale l’infamie d’une croisade pour le maintien et le développement de l’esclavage outre Atlantique. L’approbation sans pudeur, la sympathie dérisoire ou l’indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d’Europe ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes-forteresses du Caucase et assassiner l’héroïque Pologne, les empiétements immenses et sans entrave de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main dans tous les cabinets d’Europe, ont appris aux travailleurs qu’il leur fallait se mettre au courant des mystères de la politique internationale, surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu’ils seraient impuissants à rien empêcher, s’entendre pour une protestation commune et revendiquer les simples lois de la morale et de la justice qui devraient gouverner les rapports entre individus, comme lois suprêmes dans le commerce des nations. Combattre pour une politique étrangère de cette nature, c’est prendre part à la lutte générale pour l’affranchissement des travailleurs. » 2 La tendance fondamentale de la révolution socialiste est la centralisation politique et économique, prenant provisoirement la forme d’une fédération internationale. Bien entendu, la création de cette fédération ne peut se faire d’un trait de plume, elle résulte d’un processus plus ou moins long d’élimination des particularismes, des provincialismes, des préjugés bourgeois démocratiques et nationaux, qui découlera de la connaissance et de l’adaptation mutuelles. Ces principes, qui avaient déjà été annoncés par la première Internationale ouvrière, s’appliquent naturellement aux relations entre les républiques soviétiques déjà existantes, en particulier entre la Russie soviétique et l’Ukraine soviétique. Dès le premier moment de l’existence commune de ces républiques, la Russie soviétique et l’Ukraine soviétique ont commencé à jeter les bases de relations économiques et politiques sur le modèle fédératif. Bien que durant cette phase, qui s’étendit jusqu’en juin 1919, les deux républiques disposaient de commissariats indépendants pour toutes les branches de leurs affaires nationales, il existait néanmoins déjà une connexion et un plan de travail commun entre ces commissariats. Au fil du temps, ces deux républiques ont trouvé leur propre mode de structuration dans la création d’organes centraux communs. En juin 1919, le Comité exécutif central de la République uploads/Politique/ rakovsky-russie-et-ukraine-sovietiques-leurs-relations-mutuelles-et-leurs-destinees-1920-ok.pdf
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- Publié le Jan 03, 2021
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