Laura Delavaud Tentative de création d’un nouveau « centre » : La lutte politiq
Laura Delavaud Tentative de création d’un nouveau « centre » : La lutte politique et artistique d’imposition d’une nouvelle référence La politique de la ville de Nantes en matière d’arts plastiques met aujourd’hui l’accent sur une double volonté. D’une part, une politique ambitieuse en matière d’art contemporain, d’autre part une politique en faveur d’autres formes esthétiques qui échappent à la classification d’art contemporain mais qui, pour la plupart, échappent aussi à celle d’amateurisme. On peut demander pourquoi la municipalité fait preuve de cette double volonté et aussi comment elle se manifeste du point de vue de la diffusion, si, à cette segmentation des formes d’art, correspond une segmentation des structures de diffusion et des agents. Une hiérarchie des structures de diffusion est ainsi perceptible : face au galeries « boutiques » (« art mineur »), « art moyen » et « art majeur » se partagent l’espace de manière inégale. Bien que le discours des politiques et notamment celui de l’adjoint à la culture, mette en avant l’importance de soutenir toutes les formes d’art, on constate néanmoins que, plus l’on s’élève dans la hiérarchie, plus l’apport des collectivités locales (en l’occurrence la Commune et l’Etat) est important. De la sorte, le soutien à l’art contemporain doit être replacé dans une politique municipale qui ambitionne une visibilité au niveau européen voire au delà. L’art contemporain dont la définition même inclut des caractéristiques internationales comme le montre Alain Quemin1 est alors perçu comme art légitime, légitimant ceux qui le reconnaissent et permettant l’accès à une visibilité internationale. L’art contemporain existant en région grâce à l’intervention des pouvoirs publics pose ainsi la question des rapports entretenus entre l’espace politique et l’espace artistique ainsi que celle des incidences de ces rapports sur le niveau artistique local. Dans cette optique, il m’a semblé indispensable de décrire les contextes politique et artistique de manière à comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans les relations entre ces deux pôles. Entre décentralisation et internationalisation : la création d’une métropole Si l’art contemporain est longtemps resté l’apanage de l’Etat, on a assisté, ces dernières années, par un processus de décentralisation, à une « municipalisation de la culture » décrite par Philippe Urfalino2. En effet, le pouvoir de l’Etat s’est considérablement estompé au profit des collectivités locales par la décentralisation dont nous rappellerons brièvement les grandes lignes, et, d’autre part, par l’insertion dans des logiques européennes. Le champ politique national a été marqué, depuis la loi Defferre de 1982, par un processus de décentralisation qui a renforcé l’autonomie des collectivités territoriales vis-à- vis de l’Etat. Cette loi, ainsi que l’ensemble des textes relatifs au transfert de compétences et à leurs répartitions entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, a entraîné une interdépendance des collectivités ainsi qu’une réduction du poids de l’Etat par l’amenuisement de sa tutelle administrative. 1 Alain Quemin précise que la définition même de l’art contemporain « sous-entend généralement l’insertion dans des réseaux internationaux, la reconnaissance à l’échelle internationale ». Alain Quemin, L’art contemporain international : entre les institutions et le marché (le rapport disparu), Jacqueline Chambon/Artprice, Nîmes, 2002, p.18. 2 Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle, Hachette, coll. Pluriel, Paris, 2004, chap. 10, pp. 309-334. 191 Regards sociologiques, n°33-34, 2007, pp. 191-202 En 1992, la loi relative à l'administration territoriale de la République (loi ATR) renforce l’interdépendance des collectivités locales en créant de nouvelles structures de coopération entre les communes, les communautés de communes et les communautés de villes. Cette mesure sera ensuite renforcée par la loi Pasqua de 1995 qui entendait coordonner les politiques locales sur un plan national et local par la création d’un schéma national d’aménagement du territoire, de schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire ainsi que l’invention de la notion de « pays ». Cette loi sera elle-même complétée par la loi Voynet de juin 1999 dans laquelle la notion de « pays » est définie comme une entité cohérente sur le plan géographique, culturel, économique ou social, un conseil de développement est constitué dans le but de faire émerger collectivement un projet de développement durable, de plus les schémas nationaux d’aménagement et de développement du territoire seront délaissés au profit de neuf schémas de services collectifs thématiques (enseignement supérieur, transports de voyageurs, culture, énergie, information et communication, espaces naturels et ruraux, sport, services sanitaires), ces schémas, élaborés à un horizon de vingt ans, ont été approuvés en 2002. La loi Chevènement de juillet 1999 renforcera la notion d’intercommunalité en remplaçant les communautés de villes et de districts par les communautés de communes, les communautés d’agglomérations destinées aux zones urbaines d’au moins 50 000 habitants ainsi que les communautés urbaines pour les agglomérations d’au moins 500 000 habitants. En décembre 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (loi SRU) débouche d’une part sur l’attribution aux régions de l’organisation et du financement des services de transports ferroviaires et d’autre part sur la création de nouveaux documents d’urbanisme, les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ainsi que les plans locaux d’urbanisme (PLU) qui ont avant tout pour mission de promouvoir un développement urbain plus respectueux de l’environnement. Forts de ces nouvelles compétences, les différents groupements de collectivités locales se pensent comme des entités relativement indépendantes et en concurrence pour s’imposer au niveau national mais aussi, dans certains cas, au niveau international. D’autant plus que le processus de décentralisation a également permis aux collectivités territoriales de coopérer à un niveau international sans passer directement par l’Etat dans le cadre de la loi de la « coopération décentralisée » du 6 février 1992 qui reconnaît juridiquement le droit aux collectivités locales françaises de "conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France". Nantes et l’ensemble du territoire qui lui est lié, la Métropole Nantes St-Nazaire n’échappent pas à cette volonté d’internationalisation. L’accès à une reconnaissance européenne passe par la nécessité de constituer un territoire socialement et économiquement puissant, un espace géographique attractif par le dynamisme de ses secteurs d’activités (notamment secondaire et tertiaire), et par son accessibilité (développement des voies express et de l’accès par TGV). Les lois de décentralisation ont permis aux différentes communes de ce territoire de se fédérer pour accéder à cette visibilité. La directive territoriale d’aménagement (DTA) de l’estuaire de la Loire de même que le schéma de cohérence territoriale (SCOT) de la métropole Nantes-St-Nazaire mettent l’accent sur « l’affirmation du rôle de Nantes-St-Nazaire comme métropole européenne au bénéfice du Grand Ouest »3. La visibilité européenne de la métropole est perçue comme une condition de son développement : « Plus elle sera visible, plus elle pourra prétendre accueillir les sièges sociaux de grandes entreprises, attirer des chercheurs, développer des activités de conception et de direction qui ont un effet d’entraînement sur les activités de production et de services… »4. L’ambition est donc d’accroître la visibilité de la 3 Directive territoriale d’aménagement de l’estuaire de la Loire, consultation des personnes publiques associées, novembre 2003, pp. 36-40. 4 SCOT Métropole Nantes Saint-Nazaire, Concertation publique : Diagnostic, Novembre 2004, p. 28. 192 ville dans un espace que l’on souhaite le plus vaste possible, national certes mais surtout européen, dans un objectif de développement global. Si la communauté urbaine de Nantes a besoin, pour atteindre cette reconnaissance, du soutien des autres agglomérations ou communautés de communes, elle reste la source d’impulsion et la référence pour l’extérieur. L’idée d’une métropole européenne est fortement mise en avant par la municipalité nantaise. On le constate : dans le magazine de l’information municipale « Nantes Passion » : Jean-Marc Ayrault y affirme l’importance de nouveaux logo et slogan (Nantes, une ville d’impulsion) pour marquer « la dimension européenne »5 de la ville. Il déclare également dans L’Humanité, vouloir « faire de l’agglomération une métropole européenne »6. Cette idée est aujourd'hui un leitmotiv de la politique nantaise qui commence à porter ses fruits puisqu’une « étude conduite pour la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) a estimé en 2003 que Nantes faisait partie des 29 villes françaises qui comptent dans l'Union européenne. » Mais, selon ce même rapport, « la métropole atlantique n'a pas la même puissance, le même rayonnement, la même attractivité que des villes telles que Hambourg, Florence, Barcelone ou Copenhague. Conscient du fait que sa ville souffre d'une situation géographique excentrée par rapport aux grands courants d'échanges avec l'étranger, la municipalité multiplie donc les initiatives pour combler ce handicap »7. L’extension de la sphère d’influence de la ville par l’extension géographique vers l’Ouest et la création d’une métropole en est une, mais d’autres actions sont également menées pour favoriser la visibilité et les échanges internationaux, comme, par exemple, la création d’un nouvel aéroport, le réaménagement de l’île de Nantes pensée comme un pôle de développement, etc. Qu’en est-il de la culture et de l’art contemporain dans cette dynamique d’ouverture à l’international ? La culture comme facteur d’internationalisation A Nantes, la municipalisation de la culture a connu un formidable essor depuis uploads/Politique/ rs-33-34-2007-14-delavaud.pdf
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- Publié le Jan 26, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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