Sondages d’opinion et communication politique Lionel Marquis Institut de scienc
Sondages d’opinion et communication politique Lionel Marquis Institut de science politique, Université de Berne, Suisse Janvier 2005 / 38 Sondages d’opinion et communication publique Cahier du CEVOPOF n° 38 2 Sommaire Vox populi, mass médias et leaders politiques Place des sondages dans la communication politique ____________________________________________ 3 Résumé _____________________________________________________________________3 1. Introduction _____________________________________________________________3 2. Sondages et campagnes électorales _________________________________________5 3. Sondages et politiques_____________________________________________________7 4. Sondages et médias _______________________________________________________15 5. Sondages et systèmes démocratiques _______________________________________22 6. Conclusion______________________________________________________________28 Bibliographie ______________________________________________________________30 L’influence des sondages sur les préférences électorales Modalités et mécanismes psychologiques__________________________________________43 Résumé ____________________________________________________________________43 1. Introduction ____________________________________________________________43 2. La signification sociale des sondages d’opinion______________________________45 3. L’acceptation sociale des sondages d’opinion________________________________49 Acceptation sociale des sondages : l’influence perçue ____________________________________ 50 Acceptation sociale des sondages : la fiabilité perçue ____________________________________ 53 Assimilation des résultats de sondages ________________________________________________ 54 Le vote stratégique _______________________________________________________________ 57 L’heuristique du consensus _________________________________________________________ 57 La cohérence cognitive ____________________________________________________________ 61 La rationalisation anticipée ________________________________________________________ 62 L’identification sociale ____________________________________________________________ 63 5. Et l’effet “underdog” ? ___________________________________________________65 Mécanismes psychologiques ________________________________________________________ 66 Certains ne veulent-ils pas plutôt “humilier le vainqueur” ou “snober le perdant” ? ___________ 67 6. Conclusion______________________________________________________________69 Bibliographie ______________________________________________________________72 Sondages d’opinion et communication publique Cahier du CEVOPOF n° 38 3 Vox populi, mass médias et leaders politiques Place des sondages dans la communication politique Résumé Depuis plus de cinquante ans, les sondages d’opinion jouent un rôle primordial et controversé dans le déroulement des compétitions électorales, et plus largement dans le développement de la communication politique au sein des sociétés démocratiques. Malgré les fréquentes prises de position sur la fonction souhaitable des sondages, leur rôle empirique reste relativement méconnu du public non-averti. Ce chapitre se propose d’analyser les interactions entre, d’une part, les sondages et le secteur d’activité qui s’y rapporte, et d’autre part le personnel politique et les mass médias qui s’en servent abondamment pour les besoins les plus divers. On verra que, loin des objectifs de la connaissance des opinions, et même de la “prévision électorale”, les sondages peuvent parfois servir à des fins d’instrumentalisation, voire de manipulation de l’opinion publique. De plus, bien que de nombreux usages et habitudes vis-à-vis des sondages n’interviennent pas directement dans le processus électoral à proprement parler, leur influence indirecte est considérable. En substance, parce que les leaders politiques, les journalistes et les commentateurs de tout poil donnent à voir leur avidité et leur dépendance à l’égard des résultats d’enquêtes, il en résulte une validation sociale des sondages, et une croyance généralisée (bien que contestée de manière rituelle) dans leur fiabilité et dans leurs effets. En fin de compte, cette croyance sert de support à deux effets directs et incontestables des sondages sur le jeu électoral. D’une part, au cours des pré-campagnes, en particulier pour les élections présidentielles françaises, les sondages contribuent à opérer une première sélection parmi les prétendants. D’autre part, au cours des campagnes officielles, mais parfois bien avant, ils exercent un effet de “clôture” intellectuelle sur la perception des scénarios possibles parmi les leaders politiques, les journalistes, ou les militants. Or cette mainmise des sondages sur l’anticipation des résultats exerce des conséquences potentielles sur les tactiques de campagne, sur les efforts de mobilisation des partis, sur les stratégies de coalition, et sur l’intérêt général pour la campagne. 1. Introduction Pour qui s’intéresse à l’influence des sondages dans nos sociétés contemporaines, l’élection présidentielle française d’avril-mai 2002 est en passe de devenir un cas d’école. Après le “cataclysme” du premier tour, c’est-à-dire l’éviction de Lionel Jospin par le candidat du Front National Jean-Marie Le Pen, le second tour déboucha sur un “moindre mal” (du moins pour la grande majorité de Français ayant précédemment voté pour d’autres candidats que le leader nationaliste ou que le futur vainqueur Jacques Chirac). Toutefois, avant même que fût connu le résultat final du scrutin, une véritable chasse aux “coupables” s’était ouverte, sur fond de polémiques et de règlements de compte. Accepte-t-on de jouer ce jeu, alors au moins cinq suspects potentiels se profilent pour tenter d’expliquer la présence surprise du candidat d’extrême droite au second tour : le système électoral ; les mass médias ; les élites politiques ; les instituts de sondage ; le corps électoral lui- Sondages d’opinion et communication publique Cahier du CEVOPOF n° 38 4 même. Mais comme souvent depuis quelques années, la critique se focalisa essentiellement sur l’influence des enquêtes d’opinion dans la campagne électorale. Influence jugée le plus souvent néfaste, en ceci que les sondages auraient contribué à dessaisir les citoyens français de leur volonté souveraine et à orienter leurs préférences vers des candidats qu’ils n’auraient “normalement” pas choisis — ou tout bonnement vers l’abstention. Comme l’écrivait Roland Cayrol dans un article publié quelques jours après le premier tour de l’élection, le bon peuple se coucha au soir du scrutin avec le sentiment d’avoir été trompé : « voici que des électeurs, qui se sont abstenus le 21 avril ou ont dispersé leurs voix, regrettent tout haut : “si j’avais su, ah si les sondages m’avaient dit…!” »1. En substance, en n’ayant pas prévu un score si élevé pour Le Pen, les sondages auraient favorisé l’abstention et le vote pour les “petits candidats” de gauche comme de droite, détournant ainsi de nombreux électeurs d’un choix plus “raisonnable” — celui d’envoyer les deux ténors Jospin et Chirac s’affronter au second tour. Mais sans doute aura-t-on repéré l’ironie dans la phrase de Cayrol… En effet, que peuvent “dire” les sondages, ou même que doivent-ils dire et ne pas dire ? Ont-ils réellement une emprise sur les choix électoraux, peuvent-ils inhiber ou fausser le “libre arbitre” des électeurs ? Enfin, même si les sondages étaient identifiés comme la cause de certains mouvements d’opinion au cours d’une campagne, devraient-ils pour autant en être tenus pour responsables ? En somme, si longtemps que se pressent d’aussi nombreuses et cruciales questions, la négligence de n’avoir pas “su” prédire un résultat comme celui du 21 avril ne saurait être endossée par les seules imprécisions et erreurs des sondages — et pour autant que celles-ci soient clairement avérées. Dans cet article, je me propose de définir plus précisément les contours du débat sur l’influence des enquêtes d’opinion, en caractérisant le contexte général dans lequel les instituts de sondage interagissent avec leurs publics et “partenaires” plus ou moins agréés — politiciens, stratèges électoraux, médias, simples citoyens, etc. Nous verrons notamment que les hommes politiques et les instituts de sondage entretiennent des rapports aussi étroits que houleux, où cependant la logique souvent décriée de la “manipulation” ne résiste que rarement à l’observation empirique. En revanche, en resserrant la problématique à la question des compétitions politiques, je tenterai de montrer comment l’extraordinaire validation sociale des sondages les conduit à assumer un rôle de pré-sélection de l’offre électorale et entraîne une “clôture intellectuelle” sur la perception générale de l’issue probable des élections. Cette contribution est la première d’une série de textes, qui me conduiront ensuite à mettre en évidence les différentes formes que peut revêtir l’influence des sondages sur les électeurs, les mécanismes psychologiques impliqués, ainsi que les conditions sous lesquelles cette influence tend à s’exercer en priorité. Il apparaîtra que, si les modalités et les mécanismes d’influence sont multiples, en revanche ceux-ci se manifestent sous des conditions relativement restrictives, de sorte que l’impact des sondages sur les électeurs ne constitue en rien une donnée acquise, mais une question devant être sans cesse reposée. Au préalable, il est nécessaire de montrer quelle place occupent les sondages dans le contexte général de la communication politique au sein des sociétés modernes. Ce faisant, je n’entrerai pas en matière sur la méthodologie des sondages — sauf quand cela est nécessaire pour comprendre les enjeux abordés par ma discussion. Il ne s’agit pas non plus de retracer l’historique du développement de l’industrie sondagière, ce qui a déjà été fait dans de nombreuses et excellentes contributions, en particulier dans une série de monographies parues depuis une dizaine d’années aux Etats-Unis ou en France (e.g., Blondiaux 1998). Enfin, sans adopter une approche comparée au sens strict, je tenterai d’intégrer les recherches menées dans différents contextes géographiques et à différentes époques. Une perspective plus large permet probablement de mieux apprécier le rôle effectif des sondages dans la communication politique, au-delà des querelles de chapelle sur leur fonction normative. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite encore dissiper un malentendu possible au sujet des sources empiriques présentées dans ce travail. Je me dois de préciser que les résultats de sondages mentionnés dans cette contribution ont une valeur avant tout illustrative et heuristique ; en aucun cas 1. R. Cayrol, “Sondages et regrets”, Le Monde du 26 avril 2002 (voir aussi sous : http://www.csa-tmo.fr/fra/dataset/ data2002/actu20020522.htm). Sondages d’opinion et communication publique Cahier du CEVOPOF n° 38 5 ceux-ci ne doivent-ils être pris au pied de la lettre et considérés comme des acquis définitifs, précisément quantifiés, de la recherche sur l’influence des enquêtes d’opinion. C’est pourquoi je ne m’entourerai pas ici des précautions usuelles relatives à la présentation de résultats de sondages (taille de l’échantillon, marge d’erreur, formulation exacte des questions, etc.). A toutes fins utiles, uploads/Politique/ sondages-dopinion-et-communication-polit.pdf
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- Publié le Jul 24, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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