1 Le « discours de La Baule » ou les pièges externes de la démocratie en Afriqu
1 Le « discours de La Baule » ou les pièges externes de la démocratie en Afrique* (Pierre Kipré, Professeur émérite des universités ; ancien Ministre ; ancien ambassadeur) ____________________ A l’occasion de la séance solennelle d’ouverture de la 16ème Conférence des Chefs d’Etat de France et d’Afrique, à La Baule le 20 juin 1990, le Président François Mitterrand prononçait une allocution. L’écho de cette déclaration est encore présent dans les esprits, aussi bien comme nouveau fil rouge des relations franco-africaines que comme élément important dans les attendus du débat sur le destin de la démocratie en Afrique. Car, de nombreux analystes y ont vu une inflexion essentielle de la politique africaine de la France1. Pour d’autres, il s’agit d’une simple déclaration de principe d’une grande puissance occidentale à la faveur du « vent de l’Est ». D’autres enfin ont cru voir ici un appel à un parterre de Chefs d’Etat africains qui, peu ou prou, bénéficiaient de l’amitié de la France mais dont les pratiques politiques pouvaient porter préjudice à ses intérêts. Pour la plupart, le discours de La Baule marque comme l’acte de naissance de la démocratisation en cours de l’Afrique au moins francophone. Sans nier l’importance des propos du Président Mitterrand dans la dynamique enclenchée en Afrique en 1989-1990, il nous semble qu’en dernière instance, et parce qu’intimement liée à la souveraineté des peuples, la démocratie est une construction interne et est antinomique avec les injonctions de l’extérieur. A la lumière de l’histoire de la dernière décennie, nous voudrions essayer ici d’évaluer le profit que les populations africaines ont pu ou non tirer d’une telle prise de position et ce que pourrait être l’avenir des rapports franco- africains. 1. Le contexte de la prise de position française : prendre le train en marche La permanence de la demande sociale de démocratie et l’explosion de 1990 En Afrique de l’Ouest, l’idée démocratique ne naît pas avec le discours de La Baule. Au plus près, il faut remonter aux années 1860, lorsque sont constituées les premières quatre communes du Sénégal et, en Gold-Coast, quand est convoquée la célèbre Conférence de Mackensim (1867-1869). Plus largement, au sortir de la seconde guerre mondiale, les aménagements institutionnels dans les colonies britanniques et françaises introduisent le principe électoral, autorisent l’apparition et le développement d’associations, de syndicats et 1 Cf. Albert Bourgi, « François Mitterrand et la démocratie en Afrique : Le discours de La Baule huit ans après », Publications du CERRI, Reims, 2000 2 de partis politiques africains. On sait comment les colonisés d’alors empruntent au colonisateur ses propres thématiques (liberté, égalité, justice, etc.) et commencent à mettre à mal son autorité, soit à travers l’action politique (action parlementaire, syndicalisme) soit par des actes de révoltes ou même des rébellions d’envergure (notamment les luttes de libération nationale). Paradoxalement, le colonisateur aura joué, à son insu, un rôle considérable dans le mûrissement de la conscience politique africaine. La configuration des relations de pouvoir apparues sous la colonisation et aiguisées par les péripéties de la décolonisation joue également ici pour faire des Etats africains du XXe siècle des héritiers du système colonial et des formes de luttes menées contre ce système. Et, au plan institutionnel, tout semblait en place pour voir fonctionner ou améliorer le système démocratique hérité de la colonisation. En fait, dans leur fonctionnement jusqu’à la fin des années 80, la plupart de ces institutions ont été très tôt un leurre qui cachait la tropicalisation du libéralisme politique ou du socialisme. Les circuits de la décision, les réseaux d’influence et de pouvoir excluaient tout contre-pouvoir, instrumentalisent l’administration, les syndicats et associations, les medias et la justice sous l’autorité d’un seul parti en apparence à structure pyramidale mais en fait fonctionnant sur la base d’une multiplicité de noyaux et de réseaux reliés au Chef de l’Etat. Ainsi sont établis depuis les années 60 diverses formes d’autocratie, sinon des dictatures. Dans un tel contexte, la voie privilégiée d’alternance au pouvoir est le coup de force conduit par ou á partir de la section de la société la mieux organisée ou ayant le minimum d’esprit de corps, l’armée entre 1960 et 19902. Ces coups d’Etat successifs, la peur des oppositions politiques internes et le culte de la personnalité n’ont fait que renforcer cette particularité tropicale de l’organisation et de l’exercice du pouvoir d’Etat, dans un contexte de rapports internationaux marqué par la guerre froide. Au nom de quoi, tous ont en fait eu recours á un système de répression et de suspension des libertés publiques qui caractérise le système du parti unique ou du parti-Etat Mais la contestation politique n’a pas pourtant disparue ; et avec elle, la demande sociale de démocratie. Bien que souvent clandestine, elle est permanente avant les années 80. Elle a son lieu de prédilection dans les différents pays ; c’est l’espace scolaire et universitaire, malgré les tentatives de musellement de cette jeunesse. Mais elle caractérise aussi les milieux 2 L’Afrique de l’Ouest a ainsi connu une quarantaine de coups d’Etat militaires, certains pays de la région en subissant plusieurs au cours de ces trente ans: six au Ghana, cinq au Nigeria, cinq au Burkina, quatre au Bénin, trois en Guinée, au Niger et en Mauritanie, deux au Mali , en Guinée-Bissau et au Togo. Lorsqu’elle est sous contrôle, l’armée n’en connaît pas moins de nombreuses tentatives de coups d’Etats ou des mutineries noyées dans le sang. 3 d’intellectuels exilés ou d’experts Africains travaillant dans des organismes internationaux3. En tout état de cause, il s’agit pendant longtemps d’une minorité de personnes. Parfois, par romantisme politique ou par méconnaissance des mutations sociales en cours, certains reproduisent des schémas de pensée en vogue qui tiennent lieu de programmes politiques4. Mais plus souvent aussi, il s’agit d’opposants résolus des systèmes autoritaires de l’époque. La longue dépression économique et la fragilisation continue des Etats par les plans d’ajustement structurelle (PAS) ont peu à peu élargi cependant la base sociale des contestations politiques, principalement dans les villes à partir du milieu des années 80. Et selon les pays, la référence explicite au combat populaire pour la démocratie se situe entre 1988 et 1991, avec des formes variées d’expression5. La rapidité avec laquelle, d’un bout à l’autre de l’Afrique, les manifestations s’enclenchent laissent penser qu’une « dynamique fédérative et transnationale »6 en faveur de la démocratie est en mouvement. L’année 1990 marque le début de « l’institutionnalisation » des transitions démocratiques, avec la Conférence nationale béninoise7 ou, dans un autre style, la décision d’Houphouët-Boigny d’autoriser de nouveaux partis politiques en Côte d’Ivoire. C’est dans ce contexte et à la lumière de ces faits que se tient la 16è Conférence des Chefs d’Etat de France et d’Afrique, le 20 juin 1990, à La Baule. Un discours qui prend le train en marche Après le traditionnel propos « tiers-mondiste » sur le sous-développement du continent et l’action de son pays en matière d’aide publique au développement (A.P.D.), le Président Mitterrand prend à son compte, pour la première fois dans le discours officiel français, la liaison entre crise économique et crise de la pensée et de l’organisation politique (« de même qu'il existe un cercle vicieux entre la dette et le sous-développement, il existe un autre cercle vicieux entre la crise économique et la crise politique. L'une nourrit l'autre.») En fait, ce lien est depuis longtemps établi par les IFI (Banque Mondiale et F.M.I. notamment). 3 Cf. lettre de P. Lissouba, H. Lopès, E. Sathoud et J-P. Thystère-Tchicaya à Massemba-Debat en 1967, en faveur de la démocratie au Congo (cité par Chr. Moukouéké in 30 de révolution pour rien,Edition Condor, 2000, p.69) 4 Cf. les thèses de la célèbre Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France au cours des cinq dernières années d’existence cette organisation 5 Au Sénégal, les élections de 1988 sont un tournant avec l’irruption massive de la jeunesse urbaine (cf. Mamadou Diouf, “Urban youth and senegalese politicis : Dakar 1988-1994”, in Public culture, 8,(2), 1996, pp.225-249). En Côte d’Ivoire, c’est en septembre 1989 que des syndicalistes demandent publiquement le rétablissement du multipartisme ; mais depuis 1980, plusieurs cercles politiques clandestins se sont constitués. 6 Cf. M Ben Arrous, Coalition, dispersion. Un moment démocratique en Afrique de l’Ouest francophone, 1988- 1996, Dakar, CODESRIA, 2003, p.20 7 Selon un document confidentiel du 7 décembre 1989, cette conférence aurait été inspirée par la France (cf. texte publié par M. Ben Arrous, op., p 59) 4 En effet, dans le cadre des PAS, ces organisations financières insistent depuis le milieu des années 80 pour que les gouvernements africains fassent valider les mesures les plus impopulaires par leurs peuples. Le rapport de la Banque Mondiale sur la situation de l’Afrique en 1989 est assez révélateur de ce point de vue. En France même, de nombreux cercles politiques et services techniques s’alignent peu à peu sur l’idée d’un rôle plus accrue des IFI dans le traitement de la crise économique africaine. Même si l’emportent encore les rapports de clientèle dans les relations politiques d’État à État8, la question de la représentativité de dirigeants uploads/Politique/ sur-le-discours-de-la-baule-texte-de-pierre-kipre.pdf
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- Publié le Mar 17, 2021
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