Term L, histoire-géographie LMA, 2012-2013 Thème 2 – Idéologies, opinions et cr

Term L, histoire-géographie LMA, 2012-2013 Thème 2 – Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux Etats- Unis de la fin du XIXe siècle à nos jours Question 2 – Médias et opinion publique Cours Médias et opinion publique dans les grandes crises po- litiques en France depuis l’affaire Dreyfus I L’âge d’or de la presse, de l’affaire Dreyfus à la crise du 6 février 1934 1. Médias et opinion publique à la fin du XIXe siècle : la presse dans l’affaire Dreyfus • Lorsque Le Figaro révèle l’affaire en 1894, la presse est en plein essor en France. L’en- racinement de la République dans la dernière partie du siècle s’est accompagné de la conquête des libertés individuelles - d’expression, de publication et de la presse, avec les lois de 1881 et 1889. Les innovations techniques et les progrès de l’alphabétisation, dans le même temps, font de la presse un média de masse. Le prix des journaux a consi- dérablement baissé, le journalisme s’est professionnalisé et le nombre de publication a augmenté : 322 journaux se vendent quotidiennement à 2 millions d’exemplaires au tournant du siècle. La photographie, les illustrations et les caricatures rendent les jour- naux plus attrayants, et de nombreux hommes politiques, comprenant l’importance de ce média, se font journalistes à l’occasion. Les plus fortes ventes sont réalisées par des quotidiens populaires mais difficiles à classer politiquement, comme Le Petit Journal. Mais des journaux d’opinion émergent également, comme le quotidien radical L’Au- rore, Le Figaro, de centre-droit, L’Action française, d’extrême-droite, etc. • Pendant plus d’un an et demi, le procès pour espionnage du capitaine Dreyfus, accusé de trahison au profit de l’Allemagne et condamné à la prison à perpétuité, est traité comme un feuilleton judiciaire par la presse, polarisant l’opinion publique en deux camps bien tranchés. Massivement, les journaux sont antidreyfusards : ils invoquent la raison d’État et la défense de l’armée française. Moins nombreuses, les publications favorables à la révision du procès d’Alfred Dreyfus demandent la réparation d’une erreur judiciaire, au nom de la justice et du droit. La presse antisémite, de son côté, accable Dreyfus parce qu’il est juif. Les passions se cristallisent surtout à partir de la publication, en 1898, de la lettre ouverte de l’écrivain Emile Zola au président de la République, "J’accuse", dans le quotidien L’Aurore, à l’initiative de Georges Clemen- ceau. L’édition se vend à près de 300 000 exemplaires, soit dix fois plus que les tirages habituels du journal. • Par journaux interposés, les intellectuels - le terme naît pendant l’Affaire - se mobi- lisent et mobilisent l’opinion publique. Dans Le Journal, le nationaliste Maurice Barrès écrit : "Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race", Charles Maurras et Edouard Drumont multiplient les attaques contre Dreyfus et "l’anti-France" tandis que les caricatures antisémites se multiplient dans la presse d’extrême-droite - et au-delà. Dreyfus est finalement gracié en 1899 et la fièvre qui a accompagné l’affaire retombe, mais la presse a contribué à forger une opinion publique en France : jusqu’à la Première Guerre mondiale et le retour de la censure et de la propagande, les Français, premiers lecteurs de quotidiens au monde, s’habituent à la diversité des publications et à l’exis- tence d’une presse d’opinion aux côtés de grands quotidiens populaires plus prudents Jean-Christophe Delmas 1 1 MÉDIAS ET OPINION PUBLIQUE DANS LES GRANDES CRISES POLITIQUES. . . sur le plan politique. 2. La crise du 6 février 1934 : la presse, lieu d’expression des affrontements idéolo- giques • A certains égards, on peut dire que la crise du 6 février 1934 est en quelque sorte une fa- brication de la presse d’opinion. Depuis les années 1930, la presse quotidienne abreuve les Français d’articles sur les scandales politico-financiers, en particulier l’affaire Sta- visky, une escroquerie compromettant plusieurs ministres et députés radicaux alors au pouvoir. Ce n’est pas un fait nouveau, puisqu’une affaire de corruption, le scandale de Panama, en 1892, avait suscité l’indignation de l’opinion publique. Mais la crise éco- nomique qui frappe la France au début des années 1930, la montée des ligues nationa- listes et la crispation des partis politiques de la gauche communiste à l’extrême-droite nationaliste contribuent à créer un contexte de crise politique - antiparlementarisme, de droite comme de gauche, rupture du consensus démocratique, remise en cause des institutions et contestation des valeurs dominantes. • C’est à travers la presse politique qu’est relayé l’appel des ligues pour la manifestation du 6 février, place de la Concorde, le jour où Daladier se présente devant la Chambre des députés. La manifestation dégénère et fait quinze morts et plusieurs centaines de blessés - les manifestants ont tenté de se rendre à l’Assemblée nationale. En aucun cas il ne s’agit d’un coup d’État, mais la presse d’opinion réagit avec violence : à l’extrême- droite, on dénonce les "assassins" qui ont fait tirer sur le peuple tandis que le quotidien socialiste Le Populaire dénonce "une tentative de coup d’État fasciste". L’Humanité condamne également le gouvernement, qui est contraint à donner sa démission. Une campagne de presse aura donc fait chuter un gouvernement, mais bien plus encore, aura contribué à forger dans l’opinion de gauche l’idée selon laquelle la France était menacée par le fascisme, contribuant ainsi à la formation l’année suivante du Front populaire. • A l’époque de cette crise, le nombre de publications est en diminution et la presse est concurrencée par de nouveaux médias, la radio - 10% des Français sont équipés d’un poste de TSF en 1932 - et les actualités cinématographiques, projetées dans les cinémas avant le film. Toutefois, ces nouveaux médias n’ont pas eu d’influence sur l’opinion publique dans la mesure où la radio est étroitement contrôlée par l’État et où les actualités filmées sont tournées en décalage avec l’actualité politique. Ces dernières conservent d’ailleurs un ton prudent, à l’écart de toute polémique. C’est donc bien à partir de la presse que s’est encore cristallisée la bipolarisation de l’opinion publique au cours de la crise de 1934, dans la droite ligne de l’affaire Dreyfus. II L’État et les débuts de la révolution audiovisuelle (jusqu’en 1968) 1. L’instrumentalisation de la presse et de la radio sous Vichy et la "guerre des ondes" • Seul moyen d’information au moment de la débâcle en France, la radio s’impose comme le média dominant, doté de la plus grande capacité de retentissement dans l’opinion. En 1940, plus de 60% des foyers français possèdent un récepteur. En 1939-1940, la radio allemande Radio-Stuttgart, émet en français des nouvelles destinées à saper le moral de la population. C’est le début de la guerre des ondes. C’est par la radio que Pétain s’adresse aux Français le 17 juin 1949, tandis que de Gaulle appelle à conti- nuer le combat dans un message transmis par la BBC, très peu écouté à l’époque, mais qui restera symboliquement fondateur de l’appel à la résistance. Par radio interposée, Jean-Christophe Delmas 2 II L’État et les d´ ebuts de la r´ evolution audiovisuelle (jusqu’en 1968) l’occupant et le régime de Vichy, d’une part, la France Libre, de l’autre, tentent de mobiliser ou d’influencer l’opinion publique. Radio-Paris est un organe de collabora- tion entièrement contrôlé par les Allemands, alors que Radiodiffusion nationale relaie la propagande de Vichy. La BBC, à Londres, diffusent des émissions en français à partir de juin 1940, "Les Français parlent aux Français" et "Honneur et Patrie" - ces émissions expliquent que la BBC soit communément appelée " Radio-Londres3. En Afrique, Radio-Brazzaville, gaulliste, puis Radio-Alger, relaie la propagande gaulliste et alliée. Le simple fait d’écouter Radio-Londres est passible de déportation pour fait de résistance en France, mais une partie toujours plus importante de la population l’écoute, malgré le brouillage. Vichy perd finalement la guerre des ondes. • De nombreux journaux de l’entre-deux-guerres disparaissent du fait de l’interdiction allemande de 1940. Pendant l’occupation, la propagande allemande soutient des pu- blications collaborationnistes comme Je Suis Partout ou L’Œuvre, et en zone Sud, des quotidiens favorables à la Révolution nationale soutiennent le régime de Vichy. D’une façon générale, les tirages sont en baisse et le grand public n’adhère pas à ces publi- cations dont le but est manifestement la désinformation. Face à la presse collabora- tionniste, les publications clandestines issues de la Résistance se multiplient - plus de 1000 titres sont publiés entre 1940 et 1944. Les titres les plus diffusés sont Libération, Combat, Le Franc Tireur, L’Humanité, Témoignage chrétien, etc. On constate égale- ment que l’ensemble des sensibilités politiques est représenté. En 1943, la Fédération nationale de la presse clandestine est créée pour coordonner ces publications. • On peut se demander quel rôle les médias ont exactement joué dans le basculement de l’opinion publique française, majoritairement favorable à Pétain en 1940 mais de plus en plus hostile au régime de Vichy au cours des années suivantes, malgré l’intense pro- pagande déployée par le régime. Les médias de la Résistance ne peuvent l’expliquer à eux seuls, ce qui prouve que l’opinion publique a une réelle autonomie vis-à-vis de ces derniers. Certains travaux montrent par ailleurs que cette opinion uploads/Politique/ terml-h04-t2-q2-medias-et-opinion-publique-dans-les-crises-politiques-en-france.pdf

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