INTRODUCTION Frédéric Gros et al. Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2

INTRODUCTION Frédéric Gros et al. Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2013/4 - N° 52 pages 5 à 11 ISSN 1291-1941 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-4-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Gros Frédéric et al., « Introduction », Raisons politiques, 2013/4 N° 52, p. 5-11. DOI : 10.3917/rai.052.0005 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. 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C’est le seul moment où Foucault interroge l’histoire du 20e siècle et se situe à la verticale de son actualité contemporaine, parfois même la plus immé- diate (par exemple la politique économique de Valéry Giscard d’Estaing, lors de la séance du 7 mars). Le titre général qui avait été donné (Naissance de la biopolitique) prête cependant à confusion. La « biopolitique » est devenue, avec l’usage intense et diversifié qu’on lui connaît dans l’école italienne (Agamben, Negri, Esposito, etc.), un concept central de la pensée politique contemporaine. Foucault, qui invente l’expression, lui donne, dans ce cours, un sens relativement circonscrit : la prise en compte par un gouvernement politique d’un nouvel objet, la « population », entendue comme l’ensemble des gouvernés considérés sous l’angle de leur existence biologique, et posant par là une série déterminée de problèmes (santé, natalité, hygiène, maladies, etc.). Mais cette prise en compte, toujours plus insistante dans les États européens au cours des 18e et 19e siècles, est contemporaine de l’élaboration d’une nouvelle technique politique : un art libéral de gouverner, que Foucault entend étudier à la fois dans son émergence et ses développements les plus lointains. Or cet examen du libéralisme, qui devait servir de simple introduction au problème de la biopolitique, va occuper Foucault tout au long des douze séances de son enseignement. S’il convient de reposer la question du libéralisme pour pouvoir décrire correctement l’émergence de la biopolitique, ce n’est pas seulement que les deux phénomènes seraient contemporains. La prise en compte de la population fait apparaître en effet un noyau de naturalité dont les processus internes de fonctionnement soit relèvent difficilement d’une législation positive dès que l’on se donne pour tâche de les modifier, soit appartiennent à une sphère d’intimité qui fait apparaître les règle- mentations étatiques comme intrusives. C’est cette saisie réflexive d’un ingouvernable qui va susciter le questionnement libéral. Tant que l’on considère en effet que l’on gouverne un peuple, constitué de sujets de droit, les instruments classiques (ceux de la raison d’État, de la police et de l’armée) demeurent adaptés, puisqu’il s’agit d’informer la volonté poli- tique des citoyens par des lois, des règlements, et de maximiser l’existence 1 - Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France. 1978-1979, éd. par Michel Senellart, sous la dir. de François Ewald et Alessandro Fontana, Paris, Gallimard- Seuil, coll. « Hautes Études », 2004. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 163.239.121.49 - 11/12/2014 03h09. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 163.239.121.49 - 11/12/2014 03h09. © Presses de Sciences Po de l’État au moyen de cette information. Mais le propre d’une « population », au sens que l’on a déjà défini, est de se présenter comme un bloc de naturalité, un ensemble constitué de processus qui ont leur règle interne de fonctionnement, présentant des mécanismes de régulation spontanée. La « population », objet de la biopolitique, pose donc à l’art de gouverner une série de questions inédites, infor- mulables auparavant, qui trouveront leur élaboration dans et par le libéralisme. Il faut aussitôt noter que Foucault n’étudie pas le libéralisme comme doc- trine (corps de propositions théoriques), ni même comme idéologie (ce même système de pensée en tant qu’il servirait de justification au maintien d’un rap- port de production). On ne trouvera, dans ce cours consacré au libéralisme, aucune présentation systématique ou même problématisante d’un courant de pensée qui irait d’Adam Smith à John Rawls. Le niveau d’analyse est celui de la « gouvernementalité », et même, plus précisément, de la gouvernementalité politique. Par « gouvernementalité », il faut entendre un art de conduire la conduite des autres. C’est ainsi qu’il existe des gouvernementalités domesti- ques, pédagogiques, érotiques, etc. (celles que Foucault étudiera plus tard chez les Anciens, dans le cadre de sa nouvelle histoire de la sexualité). La gouver- nementalité politique, elle, pose le problème des techniques qu’une adminis- tration étatique doit se donner pour conduire ses gouvernés, et du style général de rationalité auquel ces techniques peuvent se référer. Le libéralisme donc, moins comme doctrine, corps théorique, que comme rationalité pratique immanente aux gouvernements qui s’en réclament. À partir de là, il convient de distinguer dans le cours de Foucault deux grandes perspectives sur le libéralisme. Lui-même ne trace à aucun moment de séparation claire entre ces deux déterminations, mais sa prise en compte est indispensable pour désamorcer des malentendus possibles. Le libéralisme est donné à penser, dans sa définition la plus générale, comme un opérateur critique, un principe d’inquiétude, une « question posée » au gouvernement politique, toujours sous la même forme : est-ce que l’État ne gouverne pas « trop », est-ce que la gouvernementalité politique ne doit pas se donner des principes de limitation interne, est-ce qu’un bon gou- vernement ne doit pas être toujours un gouvernement « frugal » ? Pour que la question puisse être entendue, mesurée dans toute sa pertinence critique, le libéralisme est évidemment amené à constituer et dénoncer un champ d’adversité composé par une série d’exemplarités historiques, toutes propres à incarner l’horreur d’un « excès » de gouvernement, d’une inflation catastro- phique de l’État, d’une démesure irrationnelle. Démesure d’un État de police qui veut tout gouverner, multiplie les règlementations, encourage l’adminis- tration tatillonne, favorise une police intrusive, censure, s’attache à tout sur- veiller, à tout contrôler pour s’assurer que ses desseins sont bien respectés et réalisés. S’acharnant à augmenter ses forces en infiltrant la conduite de ses administrés, cet État finit par décourager les initiatives. Horreur de l’expé- rience nazie, d’un État totalitaire qui planifie l’économie, enrégimente les indi- vidus, contrôle les opinions, entraînant la totalité d’une population dans des politiques monstrueuses et criminelles de puissance. Irrationalité du New Deal 6 - Frédéric Gros, Daniele Lorenzini, Ariane Revel et Arianna Sforzini Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 163.239.121.49 - 11/12/2014 03h09. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 163.239.121.49 - 11/12/2014 03h09. © Presses de Sciences Po ou d’un État-providence qui, par une politique volontariste de reconstruction, de plein emploi et d’aide sociale, vicie les régulations économiques élémen- taires et nourrit une mentalité d’assistés. Ces trois exemples (auxquels il faudrait encore ajouter le dirigisme sovié- tique) sont évidemment extraordinairement différents, et même contesta- bles. Car après tout, comme Foucault le reconnaît lui-même, il n’est pas sûr que le nazisme puisse être lu comme une surcroissance monstrueuse de l’État – ses instances étaient systématiquement redoublées par des appareils de parti qui constituaient les vrais centres de décision. L’alignement parfait de ces adversaires ne peut se situer que sur une ligne d’horizon de la critique libérale, ligne d’horizon dessinée à partir d’une récusation abstraite d’un interventionnisme d’État. Cette dénonciation systématique (que Foucault appelle « phobie d’État »), permettant de penser comme relevant d’une même logique d’étatisation monstrueuse les camps de concentration et des procé- dures administratives, la sécurité sociale et des plans quinquennaux de pro- duction démentiels, est du reste si confuse et vague qu’elle rassemble, autour d’un même refus (ou plutôt d’une même diabolisation), des militants gau- chistes qui devinent l’État fasciste derrière des insistances administratives et des ultra-libéraux qui repèrent l’État stalinien derrière des mesures de sou- tien économique. Il demeure que le libéralisme, depuis ses premières formulations, a ouvert pour Foucault la question du « trop gouverner », ce qui amène au moins deux conséquences générales. La première consiste en une reformulation de la ques- tion de la légitimité politique. Classiquement, le pouvoir politique est interrogé à partir d’une problématique du fondement. Qu’est-ce qui autorise certains hommes à en diriger d’autres ? Une hiérarchie ordonnée de la Création cau- tionnée par son Créateur, obligeant les uns à une obéissance humble et res- pectueuse et les uploads/Politique/ frederic-gros-et-al-foucault-et-neoliberalisme-intro-raisons-politique-2013.pdf

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