D. CRUISE O’BRIEN Les élections sénégalaises du 27 f6vrier 1983 AS de surprise
D. CRUISE O’BRIEN Les élections sénégalaises du 27 f6vrier 1983 AS de surprise aux élections du 27 février”. Comme on pouvait s’y attendre, le président Abdou Diouf, qui P obtient 83,3 o h des suffrages exprimés à I’élection prési- dentielle, et le Parti socialiste, 79,9 % des voix à I’élection parle- mentaire, remportent une large victoire. Le pouvoir en place se considère, avec quelque raison, renforcé par ce renouvellement démocratique de son mandat. L’opposition, avec également quel- que raison, émet de son côté de sérieuses réserves sur le décompte des voix et se refuse à reconndue des résultats a frauduleux B. Telles sont, en tout cas, les caractéristiques saillantes de ce scrutin. Abdou Diouf a obtenu son investiture présidentielle démocratique. I 1 n’est plus a l’homme de Senghor P, l’héritier de la présidence par le simple jeu d’une technique constitutionnelle. I1 est désormais président de par la volonté populaire, ce que seuls les opposants les plus sectaires peuvent lui contester ; et cette légitimation est largement due à son propre acharnement. La situation du Parti socialiste est plus ambiguë. A l’occasion de ces élections, un certain nombre de cadres se sont sentis menacés aussi bien par la Présidence que par l’opposition. Certes, les socia- listes l’ont emporté sur leurs adversaires, mais désormais ils appa- raissent de plus en plus à la remorque du Président. Abdou Diouf ne cache pas son intention de réformer le parti au pouvoir, de lutter contre la corruption et de développer la démocratie inteme. Grâce à sa double qualité d’élu de la nation et de secré- taire général du Parti socialiste, il dispose des moyens de réorgani- ser une formation à laquelle il ne doit, finalement, pas grand’chose. Les éleciions parlementaires constituaient également un test pour les nombreux partis d’opposition apparus depuis avril 1981, quand fut supprimé le contingentement a idéologique P voulu par * L’auteur remercie la Nuffield Foundation et la School of Oriental and African Stu- dies qui,lui ont permis d’effectuer un séjour à Dakar ¿u 6 f&rier au G mars 1983. 7 ÉLECTIONS SÉNÉGAL~USES Léopold Senghor. Quatorze partis politiques se sont ainsi déclarés, alors que l’ancien régime n’en reconnaissait que quatre. Cela est largement dû à I’émergence officielle des groupuscules gauchistes semi-clandestins de la région de Dakar, encore que cette appari- tion au grand jour ne leur ait guère bénéficié. Le gouvernement avait sans doute prévu, et même organisé, cette déconfiture de la gauche ; la libéralisation du régime ne doit pas pour autant en être sous-estimée. Huit partis politiques ont finalement participé à la compétition électorale ; six d’entre eux ne disposaient pas des ressources financières et organisationnelles nécessaires et cinq se réclamaient d’un programme et d’un comportement de gauche. L’extrême gauche s’est ainsi vu offrir la corde électorale pour se pendre. Les résultats proclamés de I’élection des cent vingt membres de l’Assemblée nationale semblent conforter les attentes gouverne- mentales. Le Parti socialiste au pouvoir obtient cent onze sièges (79,92 % des suffrages). Seuls deux autres partis obtiennent un assez grand nombre de voix pour être représentés à l’Assemblée : le Parti démocratique sénégalais gagne huit sièges avec 13,98 % des voix, et le Rassemblement national démocratique un siege avec 2,62 % des voix. Si l’on s’en tient à leurs programmes, le PDS de Me Abdoulaye Wade pourrait être qualifié de parti cen- triste, et le RND du professeur Cheikh Anta Diop de coalition nationaliste. Les cinq autres partis allaient de la gauche à l’extrême gauche. D’après les résultats officiellement déclarés, ils ont manqué de peu le minimum requis pour obtenir une repré- sentation parlementaire. C’est à dessein que nous employons l’expression c( résultats officiellement déclarés P . C’est en eEet le gouvernement qui contrdait le dépouillement du scrutin. L’oppo- sition était représentée dans tous les bureaux de vote, aux lieux d’expression du sdrage, mais pas au moment du décompte. Celui-ci est désormais centralisé à Dakar, ce qui représente appa- remment un net progrès par rapport aux grossières manipulations qui avaient précédemment lieu au niveau régional : maintenant toute manipulation frauduleuse doit être techniquement plus élaborée. A la proclamation des résultats, l’ampleur de la victoire gou- vernementale apparut telle qu’elle arracha une clameur unanime de falsification à l’opposition. Celle-ci s’était sérieusement divisée pendant la campagne ; elle demeure sillonnée d’âpres rivalités - personnelles, factionnelles et partisanes - mais elle s’est retrouvée à l’occasion d’une manifestation contre les résultats, ,à Dakar, le 8 mars. Le PDS et le RND ont refusé d’occuper leurs sièges parle- mentaires en signe de protestation contre la c( fraude électorde D . De nombreux récits d’abus ont circulé à Dakar. Ils sont, dans í‘état actuel des choses, impossibles à vérifier, mais ils témoignent . 8 D. CRUISE O’BRIEN d’une assez large suspicion à l’égard des résultats officiels et d’un sentiment de désenchantement. En l’occurrence, ce n’est pas forcément un avantage que d’avoir derrière soi, comme au Sénégal, une longue histoire de joutes électorales. L’introduction en 1948 du suffrage universel dans les colonies françaises avait provoqué une multiplication des fraudes électorales en tous genres : corruption, bourrage des urnes, dépouillements faussés, listes électorales truquées. Telle était du moins la tradition rapportée, par exemple, par Pierre Mille dans son article A: The black vote in Senegal > > uozcmal o f the Afn’can Society, 1901). L a vie politique dans les vieilles com- munes coloniales du Sénégal (à l’époque des Blaise Diagne, Galandou Diouf et Lamine Gueye) s’illustrait déjà par les mani- pulations électorales de la part des autorités en place. Au moment d’organiser leurs élections, les élites sénégalaises modernes n’avaient plus grand’chose à apprendre. Sous diverses appellations, c’est un même parti qui a dominé la scène politique sénégalaise pendant ces trente dernières années. Ce parti, principalement créé par Léopold Senghor, commença par rejeter les habitudes corrompues de la politique urbaine séné- galaise. Mais depuis son apparition en 1948 sous le nom de Bloc démocratique sénégalais (devenant par la suite le Bloc populaire sénégalais en 1956 et, edin, le Parti socialiste en 1978), il a pro- gressivement fait siennes nombre de ces pratiques qu’il avait d’abord dénoncées. Dès lors le Parti socialiste abordait les récentes élections avec certaines arrière-pensées héritées de trente ans de domination politique. On peut s’arrêter au fait que de nombreux partis étaient libres de faire campagne, de tenir leurs réunions publiques, de publier leur propagande, que leurs leaders pou- vaient intervenir tous les soirs à la radio et à la télévision nationa- les : ces libertés sont réelles ; elles sont même exemplaires dans le contexte régional. Mais, le moment du scrutin venu, le parti gou- vernemental pouvait-il sérieusement envisager un 6chec ? Des militants socialistes endurcis, avec tout le poids du patro- nage gouvernemental derrière eux, étaient sur le point de perdre les bénéfices longuement mûris de leurs mandats électifs, au nom d’un idéal démocratique. Les modalités juridiques réglementant les élections. ont été particulièrement favorables au Parti socialiste. Les alliances électorales étaient interdites, sous prétexte que ces compromis de circonstance ne dureraient que le temps des élec- tions. Tout observateur connaissant les traditions politiques séné- galaises et les luttes de clans qu’elles recouvrent comprend fort bien les raisons de cette interdiction ; toutefois celle-ci fut un handicap sérieux pour les sept partis de l’opposition. Ensuite, le vote secret n’était pas A: obligatoire D, ce qui concrètement signifie que dans chaque bureau de vote on avait installé un isoloir mais 9 que celui-ci fut ignoré par la majorité des électeurs. Si quelqu’un soutenait le parti au pouvoir, il y avait de grandes chances pour qu’il souhaitât que ce choix fit public, ne fût-ce que pour en ‘tirer plus tard quelque avantage. Si, au contraire, un individu soutenait un parti de l’opposition, il était porté à faire de même, car qui d‘autre qu’un opposant vou$rait utiliser l’isoloir ? Pour toute personne travaillant pour l’Etat, notamment, marquer publiquement son opposition au gouvemement pouvait constituer un acte certes courageux, mais surtout imprudent. Edin, raffine- ment fmal, la carte d’identité n’était pas obligatoire pour voter, mais seulement la carte d’électeur, comme l’avait stipulé la Cour suprême. Notons aussi que les déplacements à l’intérieur de cha- cune des huit régions n’étant pas limités, le vote multiple était tout à fait possible. . I ( Votez tôt et souvent D, slogan bien connu des machines politiques américaines, a pu aussi être à l’ordre du jour au Sénégal, si bien qu’il paraissait inutile de bourrer les urnes. Le Parti socialiste et le président Abdou Diouf seraient de toute manière sortis vainqueurs d’élections tenues dans des condi- tions plus régulières. Diouf est jeune et populaire, honnête et dévoué. On ne peut en dire autant du Parti socialiste, mais il dis- pose de tous les atouts du patronage : argent, organisation, sou- tien des notables et de l’administration. I1 semble cependant que les dirigeants du Parti socialiste se soient sentis doublement mena- cés, non seulement par l’opposition, mais aussi par leur leader et président en personne. Le Parti socialiste connaissait donc des dif- ficultés dues à sa position et à son histoire : sous d8érentes uploads/Politique/les-election-de-1983.pdf
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- Publié le Jan 07, 2023
- Catégorie Politics / Politiq...
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