Saint Benoît aujourd'hui LA VIE MONASTIQUE ET SON AGGIORNAMENTO Ecrire, en ce d
Saint Benoît aujourd'hui LA VIE MONASTIQUE ET SON AGGIORNAMENTO Ecrire, en ce dernier tiers du XXe siècle, un commentaire de la Règle de saint Benoît n'est pas à première vue une entreprise très prometteuse. Passe encore pour la partie historique et critique1 : personne ne verra d'inconvénient à ce qu'un érudit scrute le vieux texte, en appliquant à son élucidation le soin minutieux que dé- ploient les exégètes de la Bible. Mais quand on en vient au commen- taire doctrinal et spirituel2, c'est-à-dire à une interprétation qui tente de rejoindre la vie monastique actuelle, les circonstances ne paraissent guère encourageantes. En effet, les douze dernières années ont été marquées par un recul très net de l'autorité de la Règle dans presque tous les monastères bénédictins ou cisterciens qui s'en réclament. L'office d'abord, puis un bon nombre de pratiques et d'observances qu'elle prescrit, quand ce n'est pas de principes fondamentaux qu'elle a posés, ont été modifiés ou abandonnés. De ce fait, la lecture de certaines de ses parties ou même de sa totalité a été ressentie ça et là comme inopportune ou inutile. On en a fait des traductions tronquées, on a même proposé de la récrire. Est-ce donc bien le moment de traiter comme une norme de vie actuellement signifiante et directive cette Règle que les inté- ressés eux-mêmes paraissent considérer de moins en moins comme leur règle ? En ces quelques années d'après-Concile, on s'est plus éloigné d'elle qu'en des siècles. S'il veut adhérer à la réalité et se faire entendre, le commentateur n'est-il pas voué à demeurer dans de vagues et prudentes généralités, en présentant notre relation à la Règle de façon aussi peu précise et astreignante que possible ? Si cette ligne d'interprétation large, libérale, accommodante, parais- sait se recommander, ce n'est pourtant pas elle que le commentaire en question a suivie. Prenant acte des évolutions récentes, il ne les considère pas indistinctement comme heureuses ou même légi- times. Sans céder à l'idéalisation du vieux texte, dont il relève 1. Là Règle de saint Benoît, t. IV-VI. Commentaire historique et critique, coll. Sources chrétiennes. 184-186, Paris. Cerf, 1971. 2. La Règle de saint Benoît, t. VII. Commentaire doctrinal et spirituel, volume annovo d» la cnllocHnn Sniirims fhrtttifnnuii. Pari», ferf. 1077. Cf. intra. note 24. SAINT BENOÎT AUJOURD'HUI 721 de façon assez neuve les limites et les déficiences, il le prend toutefois plus au sérieux et le serre de plus près qu'on ne l'a fait généralement dans le récent aggiornamento. Au lendemain de la publication de ce commentaire, il peut être intéressant de réfléchir à la question sous-jacente, celle du rapport de religieux vivant aujourd'hui à une législation vieille de près de quinze siècles. Ce faisant, nous ne perdrons pas de vue qu'un problème analogue se pose à toute société religieuse tant soit peu éloignée de ses origines. Si par souci de pertinence nous parlons seulement de cette vie monastique dont nous avons l'expérience, d'autres pourront s'approprier mutatis mutandis ce qu'ils trouveront de valable dans nos réflexions. Pour les moines comme pour tous les religieux, la charte de l'aggiornamento est le décret Perfectae caritatis de Vatican II3. Son double programme, énoncé dès le titre et maintes fois répété, est «rénovation» (ou «retour») et «adaptation». Le premier de ces mots d'ordre (renovatio. reditus} se réfère au passé, ou plus exactement à ce qui, venant du passé, demeure permanent : avec les « sources de toute vie chrétienne », on nomme « l'esprit des fondateurs », « l'inspiration primitive des instituts » 4. C'est cet « esprit » ou « inspiration », né dans le passé, qu'il s'agit de rendre plus pur et plus vivant. Quant au second terme (accommodata), il regarde le présent, auquel il demande qu'on s'adapte en tenant compte des « conditions changées des temps » 5. Ces deux directives peuvent servir de cadre à notre réflexion. Tout d'abord, puisqu'il s'agit de vie monastique bénédictine, l'« es- prit du fondateur » est évidemment celui de saint Benoît, et l'« ins- piration primitive de l'institut » est à chercher dans sa Règle. Jusqu'ici tout est clair, mais la difficulté commence quand on essaie de cerner ou de situer cet « esprit », cette « inspiration ». Le faire consister simplement, comme on le faisait il y a une dizaine d'années, dans une « attitude spirituelle d'ouverture à l'Esprit, d'abandon 3. Promulgué le 28 octobre 1965. Voir Concile œcuménique Vatican II. Consti- tutions, Décrets, Déclarations. Paris, Centurion, 1967, p. 471-490 {Decretum de accommodata rénovations vitae religiosae). 4. Perfectae caritatis, § 2 : continuum reditum ad omnis vitae christianae fontes primigeniamque institutorum inspirationem ; § 2 b : fideliter agnoscanfur et ser- ventur Fundatorum spiritus propriaque proposifa necnon sanae traditiones... 5. Perfecfae caritatis, § 2 : aptationem ipsorum (institutorum) ad mutatas tem- oorum condiciones. 722 A. DE VOGUÉ, O.S.B. total à Dieu, de pauvreté », en contraste avec « des coutumes et un cadre de vie quotidienne décrit jusque dans les détails », nous paraît une description tout à fait inadéquate. Entre cette « attitude spirituelle » très générale et les « coutumes » très particulières dont on fait mention, il y a en réalité un troisième élément d'importance capitale : les grandes observances dans lesquelles l'esprit du mona- chisme se réalise et que les us et coutumes ont pour but de dé- terminer. Ces observances comprennent les renoncements fonda- mentaux du monachisme — au mariage, à la propriété, aux affaires du monde — et d'autres plus particuliers ou plus relatifs, mais non moins nécessaires : privations d'aliments et de sommeil, restric- tion des besoins à l'indispensable, retranchements sur la liberté d'agir et de parler, de paraître et de communiquer. A ces renon- cements qui se nomment célibat et pauvreté matérielle, jeûnes et veilles, obéissance et silence, solitude et clôture, il faut joindre une manière distinctive de se vêtir et des occupations caractéristiques : la prière, tant aux heures fixées qu'au long du jour, la lectio divina alternant avec le travail accompagné de « méditation », le service mutuel entre frères et l'hospitalité envers ceux du dehors. La manière de pratiquer ces choses peut bien varier à l'infini, une ou plusieurs d'entre elles peuvent même faire défaut plus ou moins complètement dans tel cas particulier ", leur ensemble n'en constitue pas moins un genre de vie nettement défini et constant dans ses grandes lignes, une conuersatio qui se reconnaît au premier coup d'œil. C'est dans ce faisceau d'observances que nous paraît consister de façon tangible et permanente l'esprit de la vie monastique, l'esprit de saint Benoît. Et c'est pourquoi nous croyons à la nécessité d'un certain littéralisme dans l'observation de la Règle. Esprit et lettre sont trop intimement liés pour qu'on puisse « aban- donner la lettre et garder l'esprit », comme le voudrait un slogan facile. S'il est vrai que « la lettre tue, mais l'Esprit donne la vie », un récent commentateur de cette maxime paulinienne nous rappelle opportunément que « sans l'Esprit le texte tue, mais sans le texte l'Esprit serait aphone » 7. Ce qui est dit là de l'Esprit de Dieu vaut a fortiori de l'esprit de saint Benoît et du monachisme : sans un texte cet esprit serait sans voix, sans une lettre il n'appar- 6. Notamment quand on passe du cénobitisme à l'anachorèse, ces deux genres de vie n'en appartenant pas moins, aux yeux des anciens, à l'unique profession monastique. 7. Voir 2 Co 3, 6 et le commentaire de la Traduction oecuménique de la Bible. Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 531, note o. Ailleurs (p. 467, note u), on observe que la distinction lettre-Esprit (Rm 7, 6) vise « l'opposition entre la loi écrite de Moïse et la loi de l'Esprit (Rm 8,2) et nullement la distinction entre la ' lettre ' d'une loi et son ' esprit ' ». SAINT BENOÎT AUJOURD'HUI 723 tiendrait pas à notre monde d'esprits incarnés. Hors de la pratique de certaines observances, l'esprit de saint Benoît n'est qu'un mot. Mais peut-être avons-nous tort d'employer le terme « littéralisme •», qui suggère l'étroitesse et l'inintelligence. En parlant ainsi, notre seul propos est de faire entendre que toute vraie fidélité à Benoît doit se traduire par des actes. Mais une telle fidélité ne peut se passer d'intelligence et de prudence, non plus que d'une sérieuse connaissance de la tradition littéraire et spirituelle qui enveloppe la Règle. Pour prendre un exemple, on sera fidèle à ce que prescrit la Règle en matière de vêtement, non point en conservant de façon plus nominale que réelle les articles vestimentaires énumérés dans son chapitre 55, dont en fait la forme, la signification et le rapport au costume civil se sont profondément altérés au cours des siècles, mais plutôt en adoptant une tenue proche du vêtement moderne, qui soit, comme le veut Basile, simple, pauvre, fonction- nelle, unique en toute circonstance, à la fois commune à tous les frères et différente de celle des séculiers. Ce sont ces normes fondamentales de l'habit, formulées dès le principe par « notre saint Père Basile » uploads/Religion/ 1080-saint-benoit-aujourd-x27-hui-la-vie-monastique-et-son-aggiornamento-pdf.pdf
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- Publié le Mai 19, 2021
- Catégorie Religion
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