SAINT CYPRIEN ET L’ÉGLISE D’AFRIQUE AU IIIe SIÈCLE. COURS D’ÉLOQUENCE SACRÉE FA
SAINT CYPRIEN ET L’ÉGLISE D’AFRIQUE AU IIIe SIÈCLE. COURS D’ÉLOQUENCE SACRÉE FAIT À LA SORBONNE PENDANT L’ANNÉE 1863-1864 PAR MONSEIGNEUR FREPPEL Évêque d’Angers. DEUXIÈME ÉDITION PARIS BRAY ET RETAUX, LIBRAIRES-ÉDITEURS 82, RUE BONAPARTE, 82. 1873 Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. SAINT CYPRIEN ET L’ÉGLISE D’AFRIQUE AU IIIe SIÈCLE. PREMIÈRE LEÇON L’École de Tertullien. — Dans quel sens on doit prendre ce mot. — Situation des esprits dans la première moitié du IIIe siècle. — Le droit romain et la conscience chrétienne. — Conquête de la foi dans les rangs des jurisconsultes, — L’Octave de Minucius Félix. — Idée du dialogue. — Caractère des interlocuteurs. — Date de la composition. - Comment Minucius Félix pouvait remplir à Rome l’offi ce d’avocat ou de jurisconsulte sous Alexandre Sévère. — La mise en scène du dialogue. — Controverse religieuse dans la vie privée. — Deux amis, dont l’un chrétien, et l’autre païen. — Forme toute cicéronienne du dialogue. Modifi cations survenues dans la littérature chrétienne au IIIe siècle, sous l’infl uence de l’art classique. — L’octave ressemble à une action judiciaire, qui se compose d’un réquisitoire, d’une plaidoirie et d’un jugement. Messieurs, Lorsqu’un homme apparaît sur la scène du monde avec ce don supérieur qui s’appelle le génie, il ne peut manquer de laisser après lui des traces profondes. Méconnu de son vivant ou apprécié par ses contemporains, il lègue à l’ave- nir une œuvres qui ne périt point. Car telle est la puissance d’une idée vraiment originale, qu’il suffi t de la déposer dans la conscience humaine pour lui assurer la fécondité. Cet em- pire réservé aux esprits créateurs est l’un des grands faits de 4 L’ÉCOLE DE TERTULLIEN l’histoire ; la science et l’art y trouvent la source principale de leurs progrès. Or, il semblerait à première vue que cette initiative du génie ne dût pas s’étendre jusqu’à la religion. En effet, la religion est un fait divin et une doctrine reçue d’en haut ; dès lors il ne saurait être question pour l’esprit humain, ni de modifi er ce fait, ni d’ajouter à cet enseigne- ment. Devant la foi, tous les degrés de la connaissance s’effacent dans l’égalité d’une même soumission. Cela est vrai ; mais, de même qu’il y a une foi religieuse, il existe une science de la religion. Docile à la voix de Dieu qui lui manifeste sa volonté, l’esprit de l’homme peut et doit s’ap- pliquer à l’intelligence des faits surnaturels et des dogmes révélés ; c’est ici que le talent et le génie retrouvent leur mission. Toute divine qu’elle est, la révélation se produit sous des formes humaines ; et cette enveloppe de l’idée chrétienne emprunte à l’éloquence plus ou moins d’éclat. D’autre part, il s’agit de justifi er les dogmes, de les coor- donner entre eux, de les étudier dans leurs rapports avec les différentes branches du savoir humain : travail d’analyse et de synthèse, où l’originalité du talent peut s’élever jusqu’à la force créatrice. Aussi, depuis Tertullien jusqu’à Bossuet, l’art, et la science ont-ils su prêter de nouvelles formes à un fond immuable et résumer le mouvement théologique dans une série d’œuvres qui réfl échissent le caractère parti- culier d’une époque, en même temps qu’elles formulent la croyance de tous les siècles. Donc, l’énergie créatrice n’est pas sans objet dans la théologie et dans l’éloquence sacrée qui en est l’expression oratoire. Or, comme nous venons de le dire, le propre du génie, c’est d’imprimer aux travaux de la pensée une direction nou- velle, et de s’ouvrir des voies que d’autres suivront après lui. Que la force d’attraction particulière aux esprits supérieurs MINUCIUS FÉLIX 5 ait pour résultat la naissance d’une école proprement dite, formée à l’image du maître et continuant son œuvres, ou qu’elle s’exerce dans une orbite moins déterminée et plus vaste, toujours est-il que cette infl uence se révèle par des imitations sensibles. C’est, Messieurs, ce que nous allons observer pour l’écrivain fécond et original dont les ouvra- ges ont occupé notre attention l’année dernière. Peut-être serait-ce trop élargir le sens des mots que d’appeler « école de Tertullien » ce groupe d’apologistes qui, venus immé- diatement après lui, ont subi son ascendant et profi té de ses œuvres. En s’éloignant de l’orthodoxie, le prêtre de Cartha- ge a lui-même affaibli des rapports qui eussent été plus in- times sans le montanisme, bien que saint Cyprien n’hésite pas à l’appeler le maître, malgré cette déplorable scission. Mais, ce qui ne forme pas un doute, c’est que les ouvra- ges de Tertullien ont servi de modèle aux écrivains dont je parle, à tel point que l’imitation se rapproche quelquefois d’une reproduction littérale. Cette ressemblance dans le style et dans la méthode suffi t pour rattacher au nom du célèbre Africain la série de compositions qui s’ouvre avec l’Octave de Minucius Félix. A mesure que le christianisme se répandait dans l’em- pire, il attirait à lui la science et le talent. Dans le principe, les gens d’esprit, qui marquaient au premier rang de la littérature et de la philosophie païennes, n’avaient accueilli la nouvelle doctrine qu’avec un sentiment d’indifférence ou de mépris. Une religion qui imposait la même croyance à tous, révoltait leur orgueil avide ; de distinctions. Cependant cette hauteur de ton et d’allures ne pouvait pas subsister indéfi niment de- vant les progrès toujours croissants de l’Évangile. On avait vu quantité d’esprits, et des meilleurs, passer du camp de l’idolâtrie dans celui de l’Église. Des apologistes tels que 6 L’ÉCOLE DE TERTULLIEN Justin, Athénagore, Tertullien, déployaient au service du culte persécuté une érudition et une éloquence qu’on aurait cherchées en vain parmi leurs adversaires. Le fl ot montait sans cesse, il était facile de prévoir dés le IIIe siècle que rien ne l’arrêterait. En présence d’une telle situation, les esprits vraiment sérieux se prenaient à réfl échir ; et, concluant ainsi de l’effet à la cause, ils arrivaient à la foi par un examen attentif des faits qui se passaient sous leurs yeux. De là ce phénomène fort curieux à observer : tandis que les lettres païennes déclinent de plus en plus, l’éloquence et la philo- sophie chrétiennes font chaque jour de nouveaux progrès. A partir de l’époque de Tertullien, ce n’est plus seulement la raison ou le droit qui se trouve du côté de l’Église, mais encore le talent. Tout avait changé de face, et le paganisme, j’entends le paganisme scientifi que, se voyait réduit à la dé- fensive, d’agresseur qu’il avait été jusqu’alors. C’est Cha- teaubriand, si je ne me trompe, qui a dit : « Le christianisme a été prêché par des ignorants, et cru par des savants ; c’est en quoi il ne ressemble à rien. » Le mot est juste, et aurait pu se dire déjà au temps où nous sommes arrivés. Tout ce qui reste de science antichrétienne va se réfugier chez les néo- platoniciens de l’école d’Alexandrie, où nous suivrons bien- tôt les représentants du paganisme pour voir s’ils peuvent soutenir le parallèle avec Origène et les Pères de l’Église grecque. Mais bornons-nous pour le moment à l’Occident chrétien. Il y avait une classe d’hommes qui se distinguaient tout particulièrement par leur hostilité contre la doctrine évangélique : c’étaient les légistes. Je n’en suis pas étonné. Le droit romain, tel qu’il a été élaboré sous les empereurs, est tout ce qu’il y a eu au monde de plus oppressif pour la conscience religieuse. Il doit son développement à des stoï- ciens panthéistes ou sceptiques qui retenaient, au nom de la MINUCIUS FÉLIX 7 raison d’État, une religion qu’ils critiquaient comme phi- losophes. On a beaucoup disserté sur la question de savoir jusqu’où Ulpien et Julius Paulus avaient poussé leur haine contre le christianisme. Là-dessus, nous pouvons citer un texte formel de Lactante : « Dans le VIIe livre De offi cio proconsulis, dit l’auteur des Institutions divines, Domitius (Ulpien) recueillit les édits impies des princes pour ensei- gner de quelles peines on devait frapper ceux qui feraient profession de la vraie foi. » Des auteurs récents, comme Zimmern, professeur d’Iéna, dans son Histoire du droit privé chez les Romains, ont fait leurs réserves sur ce passage, mais ils n’opposent que des conjectures à un texte net et précis. D’ailleurs, abstraction faite de tout examen critique, nous pouvons affi rmer qu’il devait en être ainsi. La maxime fon- damentale du droit romain était celle-ci : « Quidquid prin- cipi placuit, habet legis vigorem ; tout ce qui plaît au prince a force de loi. » Dès lors il ne s’agissait plus d’examiner si une religion était vraie ou fausse, mais si elle déplaisait au prince ou non. Il a fallu trois siècles de luttes et le sang des martyrs pour briser cet adage du despotisme. 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- Publié le Mai 22, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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