Michel Laroche LA VOIE DU SILENCE LA VOIE DU SILENCE DANS LA TRADITION DES PÈRE
Michel Laroche LA VOIE DU SILENCE LA VOIE DU SILENCE DANS LA TRADITION DES PÈRES DU DÉSERT « Spiritualités vivantes » Collection « Spiritualités vivantes » dirigée par Jean Mouttapa et Marc de Smedt © Éditions Albin Michel, 2010 978-2-226-26507-4 « À la recherche de celui qui se cache dans l’obscurité. » Saint Grégoire de Nysse « Le silence sera le langage du siècle à venir. » Saint Isaac le Syrien In memoriam, mes deux pères spirituels l’archevêque Teofil Ionescu et l’archimandrite Benedict Ghius qui m’introduisirent dans la tradition hésychaste roumaine, l’archimandrite Cléopas qui m’éclaira de ses conseils et la gérontissa Xéné (Grèce) qui partagea avec moi son expérience unique de l’amour du Christ. Je me confie à leurs saintes intercessions. Table des Matières Introduction Les antinomies de la vision divine Les trois degrés de l’inconnaissance divine dans la naissance de l’Esprit L’« Esprit Sainte », la Mère des saints De l’Arbre de la connaissance à l’Arbre de l’inconnaissance Le monachisme est-il l’unique voie pour vivre l’expérience du silence ? Du « Connais-toi toi-même » à « Oublie-toi toi-même » L’Être, l’acte et le temps transfiguré L’amour de Dieu comme seconde source de l’oubli de soi La tunique du silence de l’homme intérieur Le chemin angoissé du Royaume La théologie des larmes et du silence L’empreinte du silence sur le visage du Christ ressuscité Conclusion Glossaire Notes 6 Introduction À la recherche du silence Chaque homme ressent un jour, plutôt vers le soir de sa vie, le besoin de faire un bilan de son existence. Pour un philosophe ou un théologien, un tel bilan existe. Il consiste à rassembler des pensées, des expériences et des réflexions recueillies tout au long de son existence, à leur restituer leur ligne directrice commune et à en établir une synthèse. Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont à la recherche d’un cheminement spirituel qui pourrait les conduire au silence intérieur. Il y aurait beaucoup de choses à écrire sur cette quête, tant sur ses motivations que sur les traditions choisies pour son accomplissement. D’une manière générale, le bruit du monde, le regard des autres qui conditionnent des modes de comportement, sorte de pensée unique à laquelle tous doivent se plier, contribuent à cette recherche. Sans oublier que le rejet général du christianisme dans notre société et sa méconnaissance font rechercher dans d’autres doctrines ce silence que pourtant les Pères du désert, éloignés de toute hiérarchie ecclésiatique et souvent en opposition avec elle, ont vécu dans un christianisme spirituel inconnu de nos contemporains. C’est cette doctrine du silence sur soi, à l’image et à la ressemblance du silence et de l’inconnaissance dont Dieu non seulement s’entoure, 7 mais dont il enveloppe l’âme qui se tourne vers lui, qui constitue le sujet de cet ouvrage. J’ai publié en 1986 Seconde Naissance1, un ouvrage qui abordait le sujet de l’angoisse et des larmes dans l’expérience spirituelle de l’Église d’Orient (le « baptême des larmes »). Tel n’est pas le sujet principal du présent livre même si nous approfondirons, à la fin, des thèmes liés directement à l’expérience spirituelle de celui qui s’engage dans la voie du silence et de l’inconnaissance dont, selon saint Isaac le Syrien, la frontière est définie par la venue des larmes saintes : « Voici le signe qui te révélera si tu es bien entré. Quand la grâce commence à ouvrir tes yeux pour te faire sentir la contemplation (théoriaa) des choses en Vérité, tes yeux se mettent à verser des larmes si abondantes qu’elles arrosent souvent les joues. (…) En dehors des larmes ne cherche pas. Le corps ne te donnera pas de signe plus sûr. Mais quand l’intelligence (nous*) s’est élevée loin des créatures, le corps se trouve au-delà des larmes, de tout mouvement, de toute sensation2. » Pour ceux qui auraient lu Seconde Naissance, les vingt- huit années qui me séparent de ce premier livre sur ce sujet m’ont permis de l’approfondir et de l’enrichir d’autres aspects puisés auprès des Pères qui sont dans ce domaine ma référence. À travers l’expérience spirituelle de la théologie des larmes (le baptême des larmes dont il sera question plus loin) abordée dans ce précédent ouvrage, se profilait la question de l’inconnaissance et du silence se rapportant aussi bien à Dieu qu’à l’homme créé à Son image et à Sa ressemblance. Ce sujet majeur de la 8 théologie byzantine constitue aujourd’hui le thème central de ce livre. Les Pères de l’Église, et parmi eux les Pères du désert, considèrent cette théologie du silence et de l’inconnaissance si importante pour eux qu’ils la placent au sommet de l’expérience spirituelle. Pourtant la voie du silence, si essentielle dans l’expérience mystique de l’Église byzantine, n’a produit que très peu d’ouvrages. Nous trouvons certes, çà et là dans la pensée des Pères, des pages s’y rapportant, mais pratiquement très peu de livres traitant du thème lui-même, alors que celui-ci constitue la trame principale de leur vie spirituelle. La parole de saint Séraphim de Sarov adressée à un jeune moine : « Emmure-toi de silence3 » a trouvé moins d’écho auprès de ses disciples que la nécessaire « acquisition du Saint-Esprit4 » dont parlait également avec tant de ferveur le saint. Pourtant l’un découle de l’autre de telle manière que l’on pourrait aussi bien dire : « Acquiers l’Esprit et tu connaîtras le silence » que : « Acquiers le silence et tu recevras l’Esprit » ou bien encore : « Si tu es dans le silence, alors tu es dans l’Esprit Saint ». C’est dans ce silence au commencement ascétique et qui après un long labeur deviendra charismatique – ce dernier état étant un don gratuit de l’Esprit Saint – que se découvre le mystère de l’inconnaissance et celui du silence se rapportant non seulement à Dieu, mais également à l’homme. En effet, l’homme est créé à l’image de Dieu et possède en lui l’aptitude à la ressemblance divine. L’image est inscrite dans l’homme, alors que la ressemblance est l’action qu’opère l’énergie 9 de la grâce déposée dans l’homme en synergie avec sa volonté humaine lorsqu’il se tourne vers Dieu. L’homme qui « renaît » de l’Esprit recouvre cette ressemblance avec Dieu, en particulier la ressemblance d’un des attributs divins les plus apophatiques* : l’inconnaissance. Tout le monde admet que Dieu est inconnaissable. Plus rares sont ceux qui appliquent à l’homme cette inconnaissance. Au « Connais-toi toi-même » des philosophes, le mystique de l’Église d’Orient répondra : « Oublie-toi toi-même, et rentre ainsi dans l’inconnaissance suprême. » Nous évoquerons les racines incontestablement plotiniennes de cette expérience et de sa théorisation sur le plan de la métaphysique. Tel est donc l’objet de ce présent ouvrage. Écrire sur un tel sujet alors que soi-même on est loin de vivre ce silence n’a pourtant que très peu de justification. Le grand starets* Leonide d’Optimo se plaignait peu avant son trépas, alors qu’il chérissait le silence, de n’avoir vécu toute sa vie « qu’au milieu d’un champ de foire », car même la veille de sa mort, alors qu’il se tenait, depuis plusieurs semaines, allongé sur son lit, sa cellule était remplie de pèlerins venus lui demander des conseils spirituels. Lorsqu’une âme rencontre le silence divin (qui est venu la chercher gratuitement), elle connaît l’ineffable paix du Christ. C’est après seulement, dans ce silence et cette paix, qu’elle entend des paroles ineffables du Christ que l’homme ne peut rapporter5. Quand ensuite l’âme aura – inévitablement – perdu ce silence, elle le cherchera toute sa vie durant, parfois en se trompant de route, en s’égarant du véritable but. Mais la 10 blessure déposée dans son âme par ce silence qui est toujours accompagné « de la paix qui surpasse toute intelligence6 » ne la laissera jamais satisfaite de quelques « bonnes actions », ni de l’accomplissement des buts humains que l’on s’était donnés dans l’Église ou dans le monde, ni de toutes les pratiques ascétiques, même si elle en était capable, de l’ensemble des vertus chrétiennes. C’est à propos de cette expérience que saint Isaac le Syrien écrira : « Aime le silence plus que tout7. » Écrire un ouvrage sur le silence n’a au fond qu’un seul but : se remettre à l’écoute des Pères qui sont les voix du silence, afin d’essayer, à travers eux, d’en entendre sourdement en nous, telle une source souterraine, le mystérieux écho. Nous nous plaçons donc avec le lecteur comme un disciple des Pères qui se sont engagés sur la voie du silence. a Les astérisques renvoient au glossaire p. 170. 11 1. Les antinomies de la vision divine Dieu est inconnaissable et toute tentative de le connaître est vouée à l’échec. L’on raconte qu’un philosophe athée militant avait consacré sa vie à prouver l’existence de Dieu. À ceux qu’étonnait une telle et insolite démarche, il répondait : « Si je prouve son existence, c’est qu’il n’existe pas, car si véritablement un dieu existe, il est forcément au-delà de toute définition ou démonstration. » Les Pères orientaux ont, pour parler de Dieu, défini deux voies, l’une positive, « uploads/Religion/ laroche-michel-la-voie-du-silence.pdf
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- Publié le Mai 08, 2021
- Catégorie Religion
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