Biblica 83 (2002) 153-174 [153] Le statut de l’Église dans les lettres paulinie

Biblica 83 (2002) 153-174 [153] Le statut de l’Église dans les lettres pauliniennes Réflexions sur quelques paradoxes Les dernières études en date sur l’ecclésiologie paulinienne relèvent plusieurs étapes correspondant plus ou moins à la distinction entre proto-, deutéro- et tritopauliniennes. Dans les premières lettres, le modèle ayant servi comme point de référence serait celui du «peuple de Dieu»(1), car l’apôtre devait situer le groupe chrétien --- en particulier les croyants venus de la gentilité --- par rapport aux promesses et à l’alliance, et donc par rapport au peuple d’Israël(2). Dans les secondes (Col et Ep), le modèle serait constitué par l’agencement des métaphores de la tête et du corps, et témoignerait d’une christologisation drastique de l’ecclésiologie paulinienne(3). Dans les Pastorales enfin, le modèle serait l’oi=koj qeou/, empruntant lui- même ses traits à l’oi=koj de la société d’alors(4). [154] Sans nous prononcer ici sur la pertinence de la reconstitution qui vient d’être sommairement décrite, nous nous interrogerons seulement sur la première étape(5), celle des protopauliniennes --- que l’on nommera de préférence homologoumena ---, en essayant de mettre en évidence le ou les modèles à partir (duquel ou) desquels Paul décrit l’Église, afin de voir s’il en est un plus englobant et les raisons qui l’ont fait préférer à d’autres. Chemin faisant, nous serons amenés à nous situer par rapport à des positions jusqu’à présent considérées comme fermes par la critique. 1. Les énigmes du vocabulaire ecclésiologique paulinien 1() La thèse de W. Kraus, Das Volk Gottes. Zur Grundlegung der Ekklesiologie bei Paulus (WUNT 85; Tübingen 1996), suit cette orientation. 2() Sans considérer cet aspect heilsgeschichtlich, mais plutôt la manière dont Paul voit les relations intra-ecclésiales, d’autres mettent en évidence une évolution du groupe Église qui serait plus ou moins parallèle à celle relevée plus haut. On aurait ainsi, dans un premier temps des rapports de fraternité (et d’égalité), et, progressivement, avec les deutéro- et les tritopauliniennes, les rapports ecclésiaux seraient calqués sur ceux de la maisonnée (oi=koj), avec une insistance grandissante donnée à la hiérarchisation des statuts. Voir D.G. Horrell, «From avdelfoi, to oi=koj qeou/: Social Transformation in Pauline Christianity», JBL 120 (2001) 293-311. De ce dernier type d’approche, qui ne sera ni étudié ni discuté ici, on trouvera d’autres représentants en K. Schäfer, Gemeinde als »Bruderschaft«. Ein Beitrag zum Kirchenverständnis des Paulus (Frankfurt a.M. 1989), et H. Doohan, Paul’s Vision of Church (GNS 32; Wilmington, DE 1989). 3() Voir principalement les travaux de H. Merklein. 4() Voir surtout 1 Tm 3,15 («l’ oi=koj qeou/, qui est l’Église du Dieu vivant»). Outre et avant D.G. Horrell, déjà mentionné, on pourra consulter les publications de l’exégèse féministe, en particulier Ulrike Wagener, Die Ordnung des „Hauses Gottes”. Der Ort von Frauen in der Ekklesiologie und Ethik der Pastoralbriefe (WUNT 2. Reihe 65; Tübingen 1994). Avec raison Wagener reconnaît que les Haustafeln de Col/Ep ne supposent pas une ecclésiologie basée sur les liens de la maisonnée, car en ces lettres c'est la métaphore de l'Église corps du Christ qui y domine --- l'ecclésiologie de l’ oi=koj qeou/ n'est en effet présente qu'à partir des Pastorales. Selon le même auteur, les directives des codes domestiques ne sont pas le signe d'une influence grandissante des valeurs païennes dans l'Église, mais d'une réflexion sur l'autorité dans la communauté, sur laquelle est projeté le modèle de la maisonnée, où la femme a un rang inférieur. Mais, en retour, la structuration hiérarchisée de la communauté permet de justifier et renforcer la structure familiale. Toujours selon Wagener, c’est parce que le modèle ecclésiologique des Pastorales est celui de la maisonnée et implique une structuration socialement hiérarchisée, que 1 Tm demande aux femmes de rester à l'intérieur du modèle, autrement dit d'avoir un statut subordonné, lequel leur interdit les ministères de leadership. 5() Réservant pour plus tard l’examen des deux autres. 1 Biblica 83 (2002) 153-174 1.1 L’Église, peuple de Dieu? Pour décrire l’Église, les homologoumena utilisent plusieurs métaphores, appartenant à différents champs sémantiques: sw/ma du Christ (1 Co 12,12-27), gew,rgion, oivkodomh, (1 Co 3,9), lao,j (2 Co 6,16b; Rm 9,25-26) et nao,j de Dieu (1 Co 3,16-17; 2 Co 6,16a). Ces métaphores n’étant guère plus fréquentes les unes que les autres, il est difficile, au seul vu de leurs occurrences, d’en conclure que l’une d’entre elles est plus fondamentale ou décrit de manière plus décisive le groupe chrétien. Si les exégètes donnent plus d’importance à l’attribution lao.j tou/ qeou/, c’est parce que l’Église fut obligée de se situer d’abord à l’intérieur du judaïsme, et ensuite par rapport à lui, lorsque les liens se firent plus lâches. Il est en effet probable que les disciples de Jésus se sont très tôt --- voire depuis le commencement --- posé la question de leur rôle et de leur place à l'intérieur d'Israël, et que, comme groupe juif ayant cru en son Messie, ils ne se sont pas seulement compris comme une partie du peuple de Dieu, «mais comme sa plénitude en germe et le représentant [155] de sa totalité»(6). Lorsque de plus en plus de païens crurent en l'Évangile, la question de leur statut se posa également en rapport à la descendance d'Abraham et/ou au peuple élu. Avant le mouvement chrétien, le judaïsme avait répondu par le prosélytisme (lequel incluait évidemment la circoncision), et il est probable que la même solution fut adoptée pour les premiers païens qui entrèrent dans l’Église. En refusant la circoncision et l'obéissance intégrale à la loi mosaïque comme condition d'appartenance à la descendance d'Abraham, Paul ne pouvait pas ne pas être amené lui aussi à s’interroger et à se prononcer sur les caractéristiques du «peuple de Dieu». Très probablement même, toujours selon Kraus, la thématique du «peuple de Dieu» est au point de départ de la théologie de l’apôtre(7), et c'est à l'aide des traits donnés par les Écritures à Israël, «peuple de Dieu», qu’est principalement et continûment décrit, de 1Th à Ph, le groupe des croyants, comme le montrent les appellatifs égrenés au long des épîtres: a[gioi, evklektoi,, spe,rma Abraam, ui`oi. qeou/, klhrono,moi, avdelfoi,(8). Kraus discerne une évolution de 1Th à Ph(9), indiquant bien que l’apôtre a réélaboré la thématique(10), en insistant sur le fait que les conditions d'appartenance et le statut sont les mêmes pour tous les membres, Juifs et Gentils, du «peuple de Dieu»: l’extension et la compréhension de l’expression sont ainsi changées. Kraus note aussi avec raison que, dans les homologoumena(11), la description de l’Église comme «corps» ne vise pas à déterminer, comme l’expression «peuple de Dieu», l’identité du groupe chrétien en [156] rapport au groupe juif (à la Synagogue, ou encore à Israël), mais à insister sur la complémentarité et la nécessaire unité des membres --- le problème est alors intra-ecclésial ---; voilà pourquoi «eu égard au point de départ de l’ecclésiologie paulinienne, voir une alternative entre les concepts «corps du Christ» et «peuple de Dieu» est tout à fait inapproprié»(12). Cette observation semble confirmer 6() W. Kraus, Das Volk Gottes, 351. 7() Avec W. Kraus, Das Volk Gottes, 124-126, 184 (à propos de 1 Co 12-13: «Le fondement de son [Paul] ecclésiologie est la conviction que l’Église représente le peuple de Dieu de la fin des temps»), etc. 8() Pour une liste plus complète, voir W. Kraus, Das Volk Gottes, 111-119. 9() Si, au départ, Paul dit que les croyants d’origine païenne sont dans la même situation que ceux d’origine juive, il laisse ensuite entendre que «le peuple de Dieu» est formé par l’Église, composée de Juifs et de Gentils, car la circoncision, qui marquait la différence entre les deux groupes, est désormais devenue inutile pour déterminer l’appartenance au peuple de Dieu (1 Co 7,17-24), et il montre en Ga que, pour appartenir au «peuple de Dieu», il n’est plus nécessaire d’être sujet de la Loi (mosaïque) ou membre du peuple d’Israël, mais seulement de croire en Jésus Christ et d’être baptisé. Avec Rm, on irait même vers une nouvelle définition du peuple de Dieu (dit à propos de Rm 4; W. Kraus, Das Volk Gottes, 276). 10() Voir W. Kraus, Das Volk Gottes, 352. 11() Il le dit à propos de 1 Co 12-13, mais l’affirmation vaut pour tous les homologoumena. 2 Biblica 83 (2002) 153-174 l’itinéraire proposé par Kraus, selon lequel l’ecclésiologie de Paul part du concept de «peuple de Dieu» et consiste en sa réélaboration progressive, jusqu’à en changer drastiquement l’extension et la compréhension. 1.2 Difficultés et questions Les énigmes ne manquent cependant pas, et Kraus en soulève plusieurs, dont on verra plus loin qu’elles sont décisives. Il remarque en effet que de lui-même l’apôtre ne dit pas des croyants d’origine païenne qu’ils sont «le peuple de Dieu», sinon en citant la parole divine, rapportée par les prophètes, comme le montrent 2 Co 6,16b et Rm 9,25. Si la thématique du peuple de Dieu est pour lui si importante, pourquoi est-elle aussi peu explicitement traitée et discutée en ses lettres? Et s’il est vrai qu’en certains passages, tel Rm 4, Paul «décrit le fondement d’une nouvelle définition du peuple de Dieu»(13), comment expliquer qu’il insiste sur la filiation (par uploads/Religion/ 2002-ecclesiologie-paul-biblica-2019-03-25-23-39-06-utc.pdf

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  • Publié le Nov 02, 2022
  • Catégorie Religion
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