1 La spiritualité et l'amour dans l'Islam Il est nécessaire de rappeler quelque
1 La spiritualité et l'amour dans l'Islam Il est nécessaire de rappeler quelques notions de base quant à l’Islam et à son mode de pensée, afin de percevoir son influence en matière de spiritualité et d’amour. Comme nous le dit Henry Corbin, le monde islamique n'est pas un monolithe; son concept religieux ne s'identifie pas avec le concept politique du monde arabe. Il y a un Islam iranien, comme il y a un Islam turc, indien, indonésien, malais, etc.1. Il n'y a donc pas une approche uniforme de la spiritualité et de l'amour en Islam. Nous avons plusieurs types de spiritualité islamique et plusieurs manières de considérer l'amour en son sein. Il existe pourtant un Islam universel par lequel chaque tradition spirituelle se manifeste. Cet Islam universel est symbolisé par le Coran, la Parole de Dieu et son insistance sur l'Unicité divine. Chaque approche spirituelle légitime son champ d'action, en se référant à cette Parole, selon sa disposition dans un espace-temps propre. De plus, la vision coranique est totalisante et a la conviction qu'elle réunit en elle l'essence de toute réalité et de toute connaissance, tant spirituelle que temporelle. Cette double perspective permet à chaque démarche spirituelle de justifier son discours à partir des fragments coraniques. C’est ainsi que différentes opinions peuvent se déployer et conférer à l'Islam civilisationnel son aspect pluriel. Ce rapport entre le constant scripturaire et la variante historique a joué un rôle prépondérant dans l'édification de la spiritualité et, spécifiquement, de la spiritualité de l'amour en Islam. En effet, il lève les éventuels soupçons d'infidélité et légitime les conclusions novatrices et révolutionnaires. Cette méthodologie inhérente à une perspective axée sur l'intangibilité et l'immobilité du texte trouve sa validité dans le Coran même. Il décrète, de manière insistante, l'Unicité de Dieu d'une part et, d'autre part, la création comme manifestation de son Acte et de sa Parole impérative. L'essentiel est donc de se soumettre à l'autorité de la Parole de Dieu.2 1 Henri CORBIN, Islam iranien, Paris 1972, p. 1, vol. 3. 2 Selon le sens étymologique, Islam, c'est l'abandon de soi à Dieu, la remise de tout son être à Dieu. Ce sens étymologique dans la vision mohamadienne de religion signifie se soumettre à Dieu pour avoir la paix de l'âme dont le manque est dû à la désobéissance et à l'oubli. Le Coran étant conçu en tant que Parole de Dieu, l'homme doit s'abandonner à Elle pour distinguer les signes de son seigneur Vrai, des mensonges de l'illusion et de l'erreur. Voir article Parole de l’Islam, p. 2 Le dogme fondamental, irréfragable et intangible dans l'Islam, comme nous le dit Denis Masson, est l'Unité de Dieu. L'essentiel du culte musulman consiste à affirmer, à proclamer, à témoigner qu'Allah est unique et que Mohammad est son envoyé. Cette profession de foi (tawhîd) introduit le croyant dans la Communauté musulmane3. Mais il est nécessaire de dire que cet acte de foi n'est pas un acte sans précédent, car affirmer l'Unicité de Dieu n'est que sortir de l'oubli et de l'erreur et confirmer le Pacte originel. Selon le Coran, ce pacte est intrinsèque à chaque être humain et représente la base de son engagement envers la Vérité. Avec ce Pacte, l'homme s'est déjà lié à Dieu et à sa Parole dans la prééternité. Accepter l'Islam est donc avant tout se soumettre à ce Pacte initial, perpétuellement rappelé à l'homme par les prophètes, les envoyés de Dieu. Par ce Pacte, l'homme a fait un contrat avec le Dieu pour affirmer qu'il n'y a « Point de divinité - si ce n'est Dieu ». Par cet acte de foi, l'homme renouvelle son Islam, redevient musulman et obéit aux prescriptions coraniques à propos des relations des hommes entre eux et des relations de l'homme avec son seigneur Vrai, pour faire régner sur terre « les droits de Dieu et des hommes » définis par le Coran.4 Il nous faut encore définir la double signification de la notion de soumission dans l'Islam. Le premier aspect est la soumission passive à Dieu de la part de l'individu responsable, l’« obéissance interne ». C’est par ce biais que l'homme musulman respecte son engagement envers dieu, par sa conscience intime et sans lien avec les institutions socio-religieuses de l'obéissance. Le second aspect est celui de la soumission active de l'organisation collective et sociale, l’« obéissance externe ». Il permet au premier aspect de se mettre en valeur. Ces deux types d'obéissance sont inhérents à l'Islam coranique et donnent à l'Islam constitué et historique son double aspect religieux et temporel. Ils sont générateurs des divers discours tant jurisprudentiels que philosophiques et spirituels. Nous allons à présent décrire brièvement le point de vue général de la spiritualité islamique, commun à toutes les branches du soufisme. Ensuite, nous relaterons une des variantes de la spiritualité de l'amour, en l'occurrence la spiritualité Éros- Amour, c'est-à-dire le cheminement spirituel à partir de l'éros humain vers l'amour divin. 3 Denis MASSON, Monothéisme coranique et monothéisme biblique, Paris, 1976, p. 41 4 Mohammad ARKOU, Louis GARDET, L'Islam, hier - demain, Paris, 1978, p. 18 3 Chaque unité fragmentaire du Coran, la Parole divine, est considérée par les musulmans comme une unité générique. Elle dynamise les deux obéissances et constitue la référence par excellence à laquelle le multiple universel des phénomènes se doit de répondre. L'obéissance, dans son sens interne, est l'acceptation intériorisée et transcendantale des unités génériques pour capter leur sens authentique et caché. C'est ainsi que, pour un mystique, l'homme musulman doit ressembler à un voyageur, en quête perpétuelle de son seigneur, de la source visible et invisible du monde. Il doit traverser la multiplicité et la relativité du monde observable, ensemble des signes de Dieu, afin d'atteindre leur vérité et, par conséquent, l'Unicité originelle de la Parole. Tous les mystiques, théosophes et ésotéristes musulmans se sont acheminés plus ou moins dans cette voie. De ce point de vue, la soumission, dans son aspect actif, n'est qu'une introduction au voyage vers la Vérité. C'est une manière d'organiser la cité qui prépare l'éthos (correspondant au sentiment de la paix de l'âme) de la société. Ainsi, chaque individu peut se mettre en route pour acquérir l'éthos originel, la paix de l'âme véritable, une religion intérieure et la gnose mystique. Certes, l'histoire de l'Islam dans son interprétation légalitaire de la Parole de Dieu n'a pas toujours accepté cet « ésotérisme », cette intériorité des « âmes intérieures » et ne lui pas donné toute sa place. Une des formes empruntée par la mystique musulmane est la mystique de l'amour. La spiritualité musulmane et la problématique de l'amour dans son sein s'inscrivent donc dans l'acceptation de l'Islam comme une soumission à un pacte d'obéissance de type interne et individuel. Il donne à la Parole de Dieu et à ses unités génériques une dimension onto- existentielle très profonde et à l'homme un éthos de participation à la vie terrestre et de partenariat à la volonté divine. Hossein Nasr, grand savant spiritualiste musulman, déclare : « l'homme, tel que l'envisage le Soufisme, n'est pas simplement « un animal rationnel », ainsi qu'on le comprend habituellement, mais un être qui possède en lui tous les états multiples de l'être, bien que la plus grande majorité des hommes ne soient pas avertis de l'ampleur de leur nature et des possibilités qu'ils ont en eux. Seul le saint réalise la totalité de la nature de l'Homme 4 Universel et, par là, devient le miroir parfait dans lequel Dieu se contemple. Dieu a créé le monde afin qu'il puisse être connu, selon le hadith sacré : « J'étais un trésor caché; J'ai désiré être connu et c'est pourquoi, J’ai créé le monde. »5. Ce texte exprime bien la relation de l'homme soufi avec Dieu. Il y a réciprocité entre le Créateur et la créature, entre la Parole créatrice et impérative de Dieu et le monde créé dont l’homme est le sommet. Ainsi, l'univers ne représente que les signes de cette Parole qui a son double dans l'âme de l'homme. Cette âme n'est que le souffle de Dieu par lequel l'homme a été animé. L'homme donc est le miroir dans lequel les Noms divins et Qualités divines sont pleinement reflétés et à travers lesquels la finalité de la création s'accomplit6. Pour l'Islam mystique, dans le monde, tout est profane, il n'y a pas de sacré surajouté. Mais tout est marqué d'un sacré relationnel par Dieu. Tout porte la « signature » du Créateur7. Cette réciprocité de Dieu et de l'Homme est en rapport intime avec l'anthropologie coranique. Elle suppose que l'homme occupe, dans l'ensemble de la création, une place éminente et tout à fait à part. D'abord, c'est l'affirmation que l'univers, les cieux et la terre, avec tout ce qu'ils contiennent, sont mis au service de l'homme comme représentant et vicaire de Dieu sur la terre (2, 30). Puis, vient la proposition faite à l'homme de se charger de l'amâna (dépôt de la foi et de la responsabilité) : il accepte, alors que les cieux et la terre avaient refusé ce rôle uploads/Religion/ amour.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 30, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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