PASCAL AIMAR/TENDANCE FLOUE POUR "LE MONDE" « Je tremble d’être définitivement

PASCAL AIMAR/TENDANCE FLOUE POUR "LE MONDE" « Je tremble d’être définitivement chassée de ma vocation » : chez les dominicaines du Saint-Esprit, une religieuse dans la tempête Par Ariane Chemin Publié aujourd’hui à 21h34 ENQUÊTEIl y a quelques semaines, mère Marie Ferréol a été renvoyée contre son gré des dominicaines du Saint-Esprit. Elle assure n’avoir aucune idée de la « faute grave » dont l’Eglise l’accuse, qui donne à cette sanction rarissime des relents de procès en sorcellerie. Avec sa guimpe blanche, son voile noir et son rosaire pendu à la ceinture, mère Marie Ferréol semble échappée de La Religieuse (1966), le film de Jacques Rivette . Cette religieuse des dominicaines du Saint-Esprit garde sur son visage les restes de la bonne humeur qui, depuis cinquante-cinq ans, fait sa personnalité, mais elle a perdu 10 kilos en quelques semaines, ses cheveux ont blanchi et elle se dit « terrorisée » depuis le 22 avril. Ce jour-là, le cardinal Marc Ouellet, l’un des hommes les plus influents de la curie romaine, a signé son décret de renvoi définitif de la communauté catholique dont elle est membre depuis trente-quatre ans. Cette sanction, assortie d’une interdiction de toute vie communautaire, est rarissime, on en compte moins d’une dizaine par an dans le monde. C’est encore plus rare quand le motif n’est pas celui de « mœurs scandaleuses ». « Jamais je ne me consolerai de me voir arracher mon habit », confie la religieuse, réfugiée dans une abbaye d’Auvergne où, sur les conseils de son avocate, elle a fini par accepter de rencontrer Le Monde, samedi 22 mai. Je tremble d’être définitivement chassée de ma vocation, qui est ma raison de vivre. » Il ne lui reste, en effet, que quelques jours avant l’expiration du délai d’examen de sa supplique (une lettre de deux pages) et de l’épais recours qu’elle a déposés auprès du pape. Surtout, elle assure n’avoir aucune idée de la « faute grave » dont on l’accuse et qui donne à cette affaire des relents de procès en sorcellerie. « Mère Marie Ferréol sait très bien ce qu’elle a fait. » Dom Nault est un grand homme brun au visage émacié mais toujours souriant, même lorsqu’il lâche ce genre de formules. Il nous reçoit dans la sublime abbaye normande Saint-Wandrille, près d’Yvetot (Seine-Maritime). Les amoureux d’histoire et de littérature savent que c’est ici, au tout début du XXe siècle, que s’étaient installés la comédienne Georgette Leblanc et l’écrivain Maurice Maeterlinck, futur Prix Nobel. Lui traversait le réfectoire et la salle du chapitre à patins à roulettes pour se détendre entre deux poèmes, tandis qu’elle montait des spectacles de théâtre dans les ruines de l’abbaye. Jean-Charles Nault préfère dire « que ce lieu est habité par la prière depuis quatorze siècles et que quarante moines y ont été canonisés ». Avant d’ajouter : « Tout ceci nous oblige. » « Audits externes » Dom Nault s’éloigne régulièrement de son abbaye pour mener des visites canoniques dans diverses communautés monastiques françaises. Et aussi, plus rarement, des visites apostoliques, commandées, elles, par le Vatican. « Des sortes d’audits externes, si vous voulez. Le droit canonique a tout inspiré. » C’est ainsi qu’en 2020 le pape en personne l’a « chargé », explique-t-il, de l’inspection des dominicaines du Saint-Esprit. Cet institut regroupe une centaine de religieuses qui rayonnent autour de la maison-mère de Pontcallec, dans le Morbihan, et de cinq autres communautés. L’ensemble est à la fois « intello » et très « traditionnel » : latin obligatoire dès la 6e, enseignement de préférence philosophique et littéraire (l’école ne prépare pas au bac scientifique), comme à Saint-Pie-X, son école de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), où Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, fut élève et a « trouvé la foi », dit-elle, durant les messes en latin. En 2020, la mission d’inspection que dom Nault partage avec une « collègue », l’abbesse de Sainte-Marie de Boulaur (Gers), est placée sous la responsabilité du cardinal canadien Marc Ouellet. Les vaticanistes connaissent bien ce conservateur proche de l’ancien pape Benoît XVI, qui règne depuis l’été 2010 sur tous les diocèses de la planète. Préfet de la Congrégation pour les évêques, c’est lui qui fait les carrières des uns et des autres. Article réservé à nos abonnés Lire aussiPour le pape François, la difficile réforme de la curie A la fin du mois de juillet 2020, les « visiteurs » – c’est ainsi qu’on appelle ces « chargés d’audits », en l’occurrence dom Nault et sa « collègue » – débarquent donc pour dix jours à l’abbaye de Pontcallec, dans les environs de Vannes. Les dominicaines du Saint-Esprit ont l’habitude de se retrouver chaque été dans ce château austère transformé en couvent. L’endroit, tout de granit et de mousses, est noyé au milieu d’une forêt. Les deux « visiteurs » entendent une à une, pendant une heure, les sœurs de l’institut, auxquelles le cardinal Ouellet a demandé, de Rome, de préparer des réponses à des questions formelles, par exemple sur le bien-vivre-ensemble, l’exercice de la gouvernance, la formation des novices, le rythme de vie à l’heure où les monastères se vident, etc. « Rien à voir, au départ, avec cette sœur », assure dom Nault, toujours aussi souriant. Le poids du soupçon « Cette sœur », comme il dit, c’est mère Marie Ferréol, entendue comme les autres dans le cadre de l’« audit ». Lorsqu’elle est entrée dans la communauté, à l’âge de 21 ans, Sabine Baudin de la Valette, petite brunette issue d’une famille auvergnate de huit enfants, sortait de deux khâgnes au lycée parisien Louis-le-Grand et d’une maîtrise d’histoire médiévale. « Une très bonne latiniste, se souvient son ami l’écrivain et historien de l’art Adrien Goetz. On devinait qu’elle avait toutes les qualités pour devenir une formidable enseignante. » De fait, rebaptisée mère Marie Ferréol, elle est vite devenue l’une des personnalités de la communauté. En 2014, elle enseigne à Pontcallec et vit au plus près l’évolution de la communauté, en particulier l’arrivée, cinq ans plus tard, à la tête de la structure d’une nouvelle prieure générale : mère Marie de Saint-Charles, la sœur de Nicolas Bay, un des dirigeants du Rassemblement national, proche des identitaires. En 2020, Marie Ferréol quitte la maison-mère de Bretagne pour Draguignan, dans le Var, où elle enseigne l’histoire, la géographie, le latin, la littérature et la doctrine chrétienne aux élèves de lycée et aux novices. Article réservé à nos abonnés Lire aussiA Lille, un couvent hors du temps Revenons à la fameuse « visite » de l’été 2020… Lorsque vient son tour de s’exprimer devant les deux « chargés d’audit », la religieuse rappelle sans détour et avec franchise la crise que l’institut a traversée sept ans plus tôt : débats autour de la figure et de la réputation du fondateur (en 1939), le père Berto, querelles autour d’exorcismes illicites et de pratiques d’« intrusion psychospirituelle exercées sur certaines novices » qu’elle avait, à l’époque, « choisi de dénoncer » elle-même auprès de sa supérieure puis de l’évêque de Vannes… Dès ce premier entretien, elle devine qu’un soupçon bizarre plane autour de sa personne : les deux auditeurs se lancent des « œillades » complices, au point qu’elle se met à pleurer. Heureusement, ils s’en vont et personne n’entend plus parler de leur mission. Quinze jours plus tard, pour la fête du 15 août, le cardinal Ouellet, l’homme qui a diligenté l’enquête à distance, vient même passer une petite semaine de repos à Pontcallec. Le décor lui rappelle-t- il le Québec ? A l’évidence, il apprécie l’esprit de cette maison. Depuis plus de dix ans qu’ils ont fait connaissance, il a d’ailleurs noué des liens d’amitié avec l’une des religieuses, mère Marie de l’Assomption, une autre personnalité de l’institut. Deux lectures de saint Thomas d’Aquin Le cardinal canadien admire cette femme de 46 ans, dans la vie civile Emilie de Vigouroux d’Arvieu, intelligente, grande bûcheuse, parfois décrite comme un rien autoritaire ou envahissante, qui enseigne la philo en terminale (elle y est aussi prof principale) et – détail pittoresque – n’est autre que l’arrière-petite-fille de l’écrivain catholique Paul Claudel. Au fil de séjours à Saint-Wandrille, où se tiennent en été des rencontres théologiques, de visites à Rome avec ses élèves ou de sessions linguistiques, elle est devenue la partenaire théologique, la secrétaire, voire la chauffeuse de Mgr Ouellet, le conduisant aussi bien à l’aéroport que chez l’ostéopathe ou au Puy du Fou. Il est même convié à séjourner dans la villa de bord de mer que la famille d’Arvieu possède à Carteret (Manche). Lorsque, le 13 décembre 2019, mère Marie de l’Assomption soutient sa thèse de doctorat sur le thème « Nature et grâce chez saint Thomas d’Aquin », c’est la fête et le cardinal fait le voyage depuis Rome. Dès 7 h 15, il célèbre une messe à l’école Saint-Pie-X de Saint-Cloud, puis bénit la statue de Notre-Dame des Ecoles dans la cour du secondaire, avant le grand raout à Paris. Marie de l’Assomption a choisi une vaste salle uploads/Religion/ article-de-mme-chemin-sur-ma-re-marie-ferracol 1 .pdf

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  • Publié le Oct 13, 2022
  • Catégorie Religion
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