Charles AUGRAIN Moreana Vol. 35, 134 Uuin 1998), 87-94 À PROPOS DU COMMA JOHANN

Charles AUGRAIN Moreana Vol. 35, 134 Uuin 1998), 87-94 À PROPOS DU COMMA JOHANNEUM Charles Augrain, PSS Faculté de Théologie Université Catholique de l'Ouest 49008 Angers Cedex 01 , France L'auteur, en exégète qui a enseigné et traduit des textes bibliques, rouvre le dossier d'une querelle concernant le comma johanneum, c'est-à-dire la phrase d'une épître johannique où sont nommées les trois personnes de la Trinité. Érasme, constatant son absence dans les meilleurs manuscrits et chez des Pères, l'omit dans son édition du Nouveau Testament grec. Devant la levée de boucliers et le soupçon d'arianisme, il l'inséra à partir de 1521. L'auteur remonte à Valla, pionnier de la critique textuelle, et descend jusqu'au 20° siècle, où l'accord est réalisé contre l'authenticité du comma. Mots-clés: dogme trinitaire, S. Thomas d'Aquin, Lorenzo Valla, la Complutensian, S. Augustin. *** The author, as an exegete who has taught and translated Biblical texts, reopens the question of a dispute concerning the comma johanneum, that is the sentence in the jirst letter of St. John where the three persans of the Trinity are named. Erasmus, noting its absence in the better manuscripts and in the Fathers, omitted the sentence in his edition of the Greek New Testament. In the face of attacks and the suspiéion of Arianism, he inserted it from 1521 on. The author goes back to Valla, pioneer oftextual criticism, and cornes dawn to the twentieth century, when an agreement was reached against the authenticity of the Comma. Key words: dogma of the Trinity, St. Thomas Aquinas, Lorenzo Valla, Complutensian Polyglot, St. Augustine. *** El autor, como exegeta que ensefi6 y tradujo textos biblicos, vuelve a abrir el expediente de un a polémica referente al comma johanneum, es decir la frase de una epistola de San Juan en la que estan nombradas las tres personas de la Trinidad. Al comprobas su ausencia en los mejures manuscritos y en los Padres, Erasmo hizo caso omiso de esta frase en su edici6n del Nuevo Testamento griego. Pero, ante la protesta general y la sospecha de arrianismo, la insert6 a partir de 1521. El autor remonta a Valla, precursor de la critica textual, y desciende hasta el siglo 20, en que el acuerdo resulta realizado contra la autenticidad del Comma. Palabras claves: dogma trinitario, Santo Tomas de Aquino, Lorenzo Valla, la Complutense, San Augustin. 88 Moreana Vol. 35, 134 Uuin 1998) Charles AUGRAIN L e Comma Johanneum est le type même du problème qui a opposé les humanistes aux scolastiques dans le premier quart du 16e siècle.' On sait qu'il s'agit du verset de la 1ère Épître de S. Jean 5,7, sur les Trois Témoins: l'Eau, l'Esprit et le Sang. Mais la première partie du verset: Trois qui témoignent dans le ciel, Père, Verbe et Esprit-Saint, et ces Trois sont Un, est-elle authentique, c'est-à-dire originelle, ou a-t-elle été interpolée tardivement ? C'est toute la question du Comma? On en saisit immédiatement l'importance. Ce texte est la plus belle affirmation de !a foi trinitaire dans le Nouveau Testament, supérieure même à S. Matthieu 28,19. S. Thomas d'Aquin, dans la Somme (I, q. 30, art. 2), en fait l'argument scripturaire décisif en faveur des Trois personnes en Dieu. Le déclarer interpolé revient à dire que le dogme trinitaire n'a de formulation claire et explicite qu'assez tard dans les origines chrétiennes. Le problème textuel du Comma ouvre donc une question concernant la foi. Le Professeur Joseph M. Levine commence par la composition du lieu, c'est-à-dire du milieu intellectuel européen du début du 16e siècle. Il y consacre les premières pages de cet important mticle. Ces pages restituent, de façon remarquable, l'atmosphère de l'époque, et plus précisément de que l'on doit appeler le combat humaniste. Jusque-là, la Théologie est reconnue comme la reine des sciences. Or cette Théologie scolastique tardive, qui s'attache essentiellement à commenter les grands maîtres du 13e siècle, et à travers eux Aristote, est abstraite, intemporelle et dogmatisante. Les premiers humanistes sont, eux, des grammairiens, des philologues, des historiens. À la méthode dogmatique, ils opposent la méthode critique. Cette voie a été initiée par Lorenzo Valla (1407-1457), le véritable père de l'humanisme, le plus grand philologue et grammairien de son siècle. Après avoir soumis à l'étude critique les grands textes de l'antiquité classique, il a osé se tourner, selon ùne démarche qu'imiteront Lefèvre d'Étaples et Érasme, vers les textes sacrés, et il compose une Collatio L'article de Joseph M. Levine (Syracuse University), "Erasmus and the Problem of the Johannine Comma," Journal of the His/ory of Ideas, 58.4, October 1977, 573-96, sert comme base de cet essai. Comma, mot grec passé dans le latin: membre d'une période, membre de phrase. .. . DU COMMA JOHANNEUM Moreana Vol. 35, 134 (juin 1998), 89 Novi Testamenti, esquissée dès 1441 ou 42 à Naples, terminée à Rome en 1449-50. Érasme la publiera en 1505 sous le titre Adnotationes in Novum Testamentum, titre sous lequel l'oeuvre est connue. N'admettant pas le caractère intangible de la Vulgate, il la soumet au même traitement que les oeuvres de l'antiquité gréco-latine, principe qui demanderait d'ailleurs quelques nuances. Et il propose de la corriger en la collationnant avec les manuscrits grecs. Le Moyen-Age n'ignorait certes pas ce souci de la recherche du meilleur texte. Mais le respect de la tradition, et par-dessus tout l'autorité de la Vulgate, plus ou moins consciemment identifiée à l'autorité de l'Église/ retenaient l'esprit critique dans ce11aines limites. Érasme a trouvé, incidemment semble-t-il, les Adnotationes de Valla dans la bibliothèque d'une abbaye de Prémontrés proche de Louvain, au cours de l'été 1504. Mais cette découverte n'était pas que le fait du hasard. Depuis son séjour en Angleterre, où il avait fait la fructueuse rencontre de John Colet, Érasme se sentait appelé à l'étude de la Bible, et nous savons, par une lettre de lui à Colet écrite en 1504. que trois ans plus tôt il avait travaillé sur l'Epître aux Romains. Il étudiait le grec avec acharnement, ayant abandonné l'hébreu, "effrayé par la bizarrerie de cet idiome." Erasme était fait pour le Nouveau Testament. Les Adnotationes de Valla allaient féconder un terrain préparé. Il est difficile de préciser à quelle date Érasme a commencé de travailler à sa version latine du Nouveau Testament. Il semble que ce soit dès son second séjour à Londres, en 1505. 4 Les années passèrent, marquées par le séjour en Italie ( 1506-1509) où entre autres choses Érasme accrut sa connaissance du grec et aussi des problèmes de l'édition. Il rentre en Angleterre à l'avènement d'Henry VIII, dont on lui faisait espérer beaucoup plus qu'il ne reçut, et enseigna à Cambridge à l'invitation de John · Fisher. Il ne cessait cependant de Ce que confim1era le Concile de Trente, dans sa quatrième session, en 1546, faisant état de l'usage de la Vulgate "au long de tant de siècles'' C'est le type même d'argument fort peu goûté des humanistes. 4 Albert Rabi!, Jr., Erasmus and the New Testament: the Mind of a Christian Humanist, Lanham, MD: UP of America, 1993, 61. 90 Moreana VoL 35, 134 (juin 1998) Charles AUGRAIN poursuivre son travail sur le Nouveau Testament, à la fois Grec et Latin, car il écrit le 8 juillet 1514 à Servatius Roger: "Durant ces deux dernières années ... j'ai corrigé les Lettres de Jérôme ... J'ai aussi corrigé le Nouveau Testament en le collationnant avec d'anciens manuscrits grecs, et j'ai annoté plus de mille endroits, non sans profit pour les théologiens." Nous retrouvons clairement ici le souci des humanistes de fournir aux théologiens des sources (fontes) aussi sûres que possible. Érasme arriva vers la fin de 1514 à Bâle, où l'imprimeur Frob n le pressa de lui confier son manuscrit. Peut-être Froben avait-il eu vent d'un projet analogue en Espagne--ce sera la Polyglotte d'Alcala, dont nous parlerons plus loin--et le travail d'impression fut hâté. Il commença en septembre 1515, et l'ouvrage parut en février-mars 1516.5 <>@<>@<>@ Ce Novum Instrumentum de 1516 est célèbre à juste titre, car c'était la première édition imprimée du texte grec du Nouveau Testament. Mais il faut observer que le texte latin était celui de la Vulgate, et non la nouvelle traduction d'Érasme, qui ne paraîtrait que dans la seconde édition, en 1519. Cette traduction n'était-elle pas terminée ? ou Érasme ne la jugeait-il pas au point ? ou y avait-il une raison d'opportunité pour la laisser dans l'ombre, et donner la préférence à la Vulgate?6 La polémique avait en effet commencé avant même la publication, dès qu'avait filtré le projet de cette édition. Louvain ouvrit le feu, par un de ses jeunes théologiens, Martin Dorp. Dans une lettre à Érasme datée de 1514, il prenait la défense de la Vulgate contre le grec, mettant en question toute la démarche qu'avait initiée Valla. Naturellement, la parution du Novum Instrumentum amplifia la querelle. Les attaques fusaient de partout: d'Allemagne avec le La pompeuse Dédicace au Pape Léon X est datée de Bâle, le 1er Février 1516. 6 Les Adnotationes renvoient d'ailleurs au texte de la Vulgate, ce qui révèle que le choix d'Érasme pour le texte uploads/Religion/ augrain-a-propos-du-comma-johanneum-moreana-1998.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 22, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1671MB