Ovidiu Sferlea La dynamique de la vie spirituelle chez saint Jean Climaque: un

Ovidiu Sferlea La dynamique de la vie spirituelle chez saint Jean Climaque: un bref regard comparatif avec saint Grégoire de Nysse Abstract: This article aims to make a comparison between the teaching of St. John Climacus and that of St. Gregory of Nyssa, with a specific focus on the complex of ideas related to perpetual progress. While one must proceed with caution, a number of close and significant parallels can nevertheless be indi- cated: a dynamic concept of spiritual perfection, the definition of virtue as li- mitless, the idea of a perpetual growth in love, and the inclusion of the angels in this progress. I suggest that the best way for explaining these analogies is to admit a (direct) influence of Gregory on John. As a consequence, John Climacus must be counted with a group of Eastern authors holding similar views that includes (Pseudo‐)Macarius, Maximus the Confessor, Symeon the New Theolo- gian, Gregory of Sinai, Gregory Palamas and Kallistos Angelikoudes. These aut- hors appear in fact to be witnesses of a tradition of thought that stems back to Gregory of Nyssa. Adresse: Assist. Dr Ovidiu Sferlea, University of Oradea, Faculty of Orthodox Theology «Episcop Dr Vasile Coman», str. Remenyik Sandor 2, 410167 Oradea, Romania; ovidiusferlea@gmail.com 1. Grégoire de Nysse et sa postérité La conception de la perfection spirituelle comme un progrès sans fin, ici-bas et dans l’au-delà (epektasis),¹ fut sans doute un des aspects qui ont le plus suscité Je remercie chaleureusement Alain Le Boulluec pour ses observations. C’est dans ce sens, délibérement plus large, que j’utiliserai par la suite le mot épectase. Pour les besoins de la présente recherche, il ne m’a pas semblé indispensable d’entrer dans le détail des débats dont il fait l’objet parmi les spécialistes de Grégoire. Voir, par exemple, J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse. Paris 1944, surtout 291–307; W. Völker, Gregor von Nyssa als Mystiker. Wiesbaden 1957 , surtout 202–215; D.L. Balas, Metousia theou. Man’s participation in God’s perfection according to Saint BZ 2017; 110(1): 149–168 l’intérêt des chercheurs s’étant penchés sur l’œuvre de Grégoire de Nysse. En revanche on peut affirmer avec tout autant d’assurance que la postérité de cette théorie n’a pas eu droit aux mêmes égards jusqu’à présent. C’est un fait que l’on ne peut que regretter: autant les études sur l’épectase grégorienne abondent,² autant les recherches sur l’écho que sa théorie a pu susciter chez les auteurs patristiques postérieurs restent encore peu développées. Tant et si bien qu’il n’y a pas si longtemps on pouvait être enclin à croire que la théorie de Grégoire n’avait pratiquement pas eu de réception notable chez ses héritiers grecs. Ainsi n’était-il pas étonnant de voir, par exemple, le P. Placide Deseille écrire dans un article de référence consacré à la question: «Assez rares sont ceux qui, […] sous son influence directe ou indirecte, ont admis l’existence d’un progrès dans la par- ticipation aux biens divins au sein même de la béatitude». De fait, les seuls auteurs cités à l’appui sont Jean Scot Érigène et Guillaume de Saint-Thierry. En essayant d’avancer une explication pour cet état des choses, le P. Deseille estimait que «la thèse du progrès sans fin se heurtait […] aux affirmations de Gregory of Nyssa. Rome 1966; E. Mühlenberg, Die Unendlichkeit Gottes bei Gregor von Nyssa. Gregors Kritik am Gottesbegriff der klassischen Metaphysik. Göttingen 1966, 152–196; R.E. Heine, Perfection in virtuous life. A study in the relationship between edification end polemical theology in Gregory of Nyssa’s De Vita Moysis. Cambridge, MA 1975; Th. Böhm, Theoria–Une- ndlichkeit–Aufstieg. Philosophische Implikationen zu De Vita Moysis von Gregor von Nyssa. Leiden 1996; W. Smith, Passion and paradise. human and divine emotion in the thought of Gregory of Nyssa. New York 2004. J’ai proposé une discussion de quelques unes de ces mo- nographies dans l’article: On the Interpretation of the theory of perpetual progress (epektasis): taking into account the testimony of eastern monastic tradition. Revue d’histoire ecclésiastique 110 (2014) 564–587 . En plus des ouvrages déjà cités, on peut lire également J. Daniélou, Mystique de la té- nèbre chez Grégoire de Nysse. Dictionnaire de spiritualité ascetique et mystique II.2. Paris 1953, 1182–1186; G.S. Bebis, Gregory of Nyssa’s ‘De Vita Moysis’: a philosophical and theological analysis. Greek Orthodox Theological Review 12 (1967) 369–393; E. Ferguson, God’s infinity and man’s mutability: perpetual progress according to Gregory of Nyssa. The Greek Orthodox The- ological Review 18 (1973) 59–78; idem, Progress in perfection: Gregory of Nyssa’s Vita Moysis, in: Studia Patristica 15. Berlin 1976, 307–314; V.E.F. Harrison, Grace and human freedom accor- ding to St. Gregory of Nyssa. Lewiston 1992, 61–131; F. Dünzl, Braut und Bräutigam: Die Aus- legung des Canticum durch Gregor von Nyssa. Tübingen 1993; A. Lévy, Aux confins du créé et de l’incréé: les dimensions de l’épectase chez Grégoire de Nysse. Revue des sciences philosophiques et théologiques 84 (2000) 247–274; L. Karfiková, Die Unendlichkeit Gottes und der unendliche Weg des Menschen nach Gregor von Nyssa. Sacris erudiri 40 (2001) 47–81; R. Williams, The wound of knowledge. Christian spirituality from the New Testament to St. John of the Cross. Cambridge, MA ²2001, 62–77; K. Rombs, Gregory of Nyssa’s doctrine of epektasis: some logical implications, in: Studia Patristica 37 . Leuven 2001, 288–293; M. Laird, Gregory of Nyssa and the grasp of faith. Union, knowledge and divine presence. Oxford 2004; M. Ludlow, Gregory of Nyssa –ancient and [post‐]modern, Oxford 2007 , 125–134; L.-F. Mateo-Seco, Epektasis, in L.F. Mateo-Seco/G. Maspero (ed.), The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa. Leiden 2010, 263–268. 150 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung l’Écriture qui orientent vers une conception plus statique de la béatitude: celle-ci est un repos, un »sabbat«, un »achèvement«. Par ailleurs, il remarquait qu’une conception comme celle élaborée par Grégoire avait été critiquée par Maxime le Confesseur en Orient et par Augustin en Occident à partir d’arguments sem- blables: alors que dans cette vie on peut toujours davantage s’approcher de Dieu, la béatitude des bienheureux sera un état final que rien ne pourra plus enrichir. Le P. Deseille était ainsi amené à conclure: »cette conception restera classique parmi les auteurs spirituels, qui s’accorderont à voir dans le progrès incessant la loi de la perfection ici-bas, mais ici-bas seulement«.³ Il renvoyait enfin pour illustration aux Chapitres théologiques, gnostiques et pratiques de Syméon le Nouveau Théologien (949–1022). Sans aller jusqu’à nier tout bien-fondé à cet argumentaire, le lecteur de Grégoire ne pourra se résoudre à considérer la théorie de l’épectase comme une simple curiosité dans l’œuvre de l’évêque de Nysse. En particulier, l’exemple de Syméon le Nouveau Théologien n’est pas bien choisi: loin d’être un tenant de la conception que le P. Deseille appelle «classique», Syméon envisage au contraire l’état eschatologique sous un mode épectatique. D’ailleurs, le passage même que le P. Deseille cite à l’appui ne va pas dans son sens. Syméon y parle en effet de «l’inhabitation de la divinité en trois personnes dans les parfaits, qui se produit d’une manière perceptible à la conscience». Or il décrit ainsi cette inhabitation, qui survient grâce à l’observance des commandements évangéliques (cf. Jn 14, 21–23):⁴ [Elle] n’est pas la satisfaction du désir, mais l’origine et la cause d’un désir plus vif et plus grand; désormais cette présence ne laisse plus un instant de repos à celui qui en jouit; elle le pousse, comme dévoré et consumé par le feu, vers la flamme d’un désir de plus en plus fort de la divinité. L’esprit humain ne peut trouver une limite dans l’objet poursuivi, ni le saisir entièrement; il ne peut non plus fixer une limite à son désir ni à son amour, mais dans son effort pour atteindre et posséder cette fin sans limites, il nourrit en soi un désir toujours insatisfait et un amour inassouvi.⁵ P. Deseille, Epectase. Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique IV.1. Paris 1960, 785, suivi par M. Canévet, Saint Grégoire de Nysse. Dictionnaire de spiritualité ascetique et mystique VI, Paris 1967 , (971–1011) 1008, ainsi que par Th. Špidlík, La spiritualité de l’Orient chrétien 2: La Prière. Roma 1988, 227–228. Capita practica et theologica I, 6 (SC 51, 41). Capita practica et theologica I, 7 (SC 51, 42): Ἡγνωστῶς καὶεὐαισθήτως γινομένη ἐνοίκησις τῆς τρισυποστάτου θεότητος ἐν τοῖς τελείοις οὐπλήρωσις πόθου ἐστίν, ἀλλὰμᾶλλον ἀρχὴκαὶ αἰτία σφοδροτέρου καὶμείζονος πόθου. Ἔκτοτε γὰρ οὐκ ἐᾷτὸν ὑποδεξάμενον αὐτὴν ἠρεμεῖν, ἀλλ’ ὡς ὑπὸπυρὸς ἀεὶἐκκαιόμενον καὶπυρούμενον ἐπαίρεσθαι εἰς φλόγα πόθου θειοτέρου ποιεῖ. Κατάληψιν γὰρ καὶτέλος τοῦποθουμένου εὑρεῖν ὁνοῦς μὴδυνάμενος οὐδὲμέτρον τῷπόθῳκαὶ τῇἀγάπῃδύναται δοῦναι, ἀλλὰτῷἀτελέστῳτέλει φθάσαι καὶκαταλαβεῖν βιαζόμενος ἀτέλεστον O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 151 Ce texte témoigne d’une conception qui comporte des ressemblances frappantes avec celle de Grégoire de Nysse. La perfection dans la vie spirituelle est à comprendre comme un progrès incessant dans la vertu et dans la jouissance de la présence divine. Pourtant, rien ici ne permet d’affirmer que Syméon réserve ce progrès à la vie présente. On serait au contraire enclin à supposer qu’il sera plus encore la loi de la béatitude future. Or c’est précisément de cette manière que uploads/Religion/ bz-sferlea.pdf

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  • Publié le Jul 28, 2021
  • Catégorie Religion
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