Catalogue de l’exposition présentée à la Bibliothèque d’agglomération de Saint-
Catalogue de l’exposition présentée à la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer du 03 juin au 31 août 2016 Commissariat : Rémy Cordonnier, responsable des fonds anciens de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer (BASO) Directeur de la publication : François Decoster, Président de la Communauté d’agglomération de Saint-Omer Coordination et médiation : Françoise Ducroquet, directrice de la BASO Textes et notices : Rémy Cordonnier Relecture et corrections : Laurence Bacart (BASO), Julie Ballanfat (BASO), Mélissa Minet (BASO) Choix des illustrations : Rémy Cordonnier Conception graphique : Hélène Dilly, service Communication de la CASO Crédits photographiques : BASO, Bibliothèque Municipale d’Autun et Wikimedia Common Impression : L’Artésienne Remerciements : Caroline Heid (IRHT-CNRS) ISBN : 978-2-9553126-3-6 MAGIE ET VIEUX GRIMOIRES. Les arts occultes dans les collections patrimoniales de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer Régulièrement, les visiteurs de la salle patrimoniale ne peuvent s’empêcher de comparer ses majes- tueuses travées à la bibliothèque d’Harry Potter. Certains se demandent même parfois si l’un ou l’autre de ces vieux ouvrages ne recèle pas quelques secrets magiques… Ces réactions sont assez compréhensibles car dans la culture occidentale, le livre est étroitement lié à la notion de connaissance, d’érudition, et par extension, de mystère et de révélation. On doit cette assimilation à l’influence majeure du Christianisme, religion du livre, sur l’Occident médiéval. C’est la sacralisation des livres bibliques, qui a donné une telle aura à ce support (encart 1). Dans l’imaginaire collectif occidental, un livre ancien est potentiellement le réceptacle de mystères à déchiffrer et de savoirs occultes… De plus, ces volumes sont souvent écrits dans une langue ancienne que beaucoup ne savent plus lire, cela rend leur contenu encore plus étrange, pour ne pas dire suspect ! Depuis le Moyen Âge en effet, le latin est perçu comme la langue des savants, inaccessible aux illettrés, au sens stricte du terme : n’ont pas de culture littéraire. C’est d’ailleurs de ce constat qu’est né le mot « grimoire » au XIVe siècle, par une altération du mot gramaire (forme ancienne de grammaire), parce qu'au Moyen Âge les gram- maires, écrites en latin, sont incompréhensibles aux non-latinistes. Du savant au mage, il n’y a qu’un pas vite franchi. De nos jours encore, c’est en latin que s’exprime notre imaginaire lorsqu’il évoque les sciences occultes et les formules magiques. Que l’on pense aux consonances latines du Higitus, figitus, migitus mum, prestidigitorium du Merlin l’Enchanteur de Walt Disney ou aux formules des sortilèges d’Harry Potter. Mais finalement, y-a-t-il oui ou non des grimoires dans la salle du patrimoine !? Pour répondre à cette question, nous avons décidé d’en explorer les rayonnages afin d’y dénicher des volumes consacrés aux sciences dites « occultes ». Le fruit de ces recherches vous est présenté suivant la classification mé- diévale des différentes sortes de magie proposée par l’évêque Isidore de Séville dans ses Étymologies (Livre VIII, chap. 9) composées au VIIe siècle, afin de mieux saisir ce que l’on entend à cette époque par « magie ». Nous avons ajouté à cette classification deux autres domaines souvent assimilés de nos jours aux arts occultes, à savoir l’alchimie et les différentes variantes de la radiesthésie. Encart 1 : Dans le monde gréco-latin, les textes inscrits ne sont pas aussi bien perçus. L’écriture est un travail d’esclave, méprisé par les hommes libres qui lui préfèrent l’expression orale, les rouleaux et codex n’ont qu’une utilité pratique. Dans les sociétés germano-celtes, c’est aussi la parole qui prime, druides et ovates (poètes) transmettent leurs savoirs oralement tout comme les scaldes (poètes) et autres vitkar (sorciers). Introduction 3 L’origine de la magie Le mot « magie » est entré au XVIe siècle dans le vocabulaire français. Il nous vient du grec mageia latinisé en magia et désigne un « art qui est censé don- ner le pouvoir de faire intervenir des puissances occultes afin de modifier le cours de la nature ou d’agir sur la des- tinée des hommes ». Quant au mot grec mágos, il vient du touranien magouch qui désigne un prêtre héréditaire du peuple Touran originaire du Turkestan, qui s’est ré- pandu aussi en Europe et notamment au Nord de l’Iran actuel, appelé Mada (Médie en grec) qui signifie pays, terre. La magie est donc la religion des Mèdes touraniens. Elle résulte d’un syncré- tisme (mélange d’influences) entre le mazdéisme des Perses et des Mèdes et le chamanisme touranien. Le mazdéisme aurait été fondé par le prophète Zarathoustra ou Zoroastre (628-551 avant notre ère). Il proclame l’exis- tence d’une divinité unique, Aboura-Mazda ou Ormuzd, identifiée au bien ou à la lumière, dont la création a soulevé contre lui des forces malfaisantes représentées par l’esprit du mal, Angro-Maïnyous ou Ahriman. L’homme a peu de place au sein de ce combat cosmique, il ne peut que prier et cultiver la terre. Le culte n’admet ni temples ni statues, on se contente de chanter et d’offrir quelques sacrifices, le rite principal étant l’entretien du feu sacré, symbole du bien, qui ne doit jamais s’éteindre. Les Touraniens pratiquent pour leur part une forme de chamanisme, mé- diation entre les humains et les esprits de la nature, dont les prêtres pré- tendent par leurs rites plier les puissances malfaisantes à leur volonté. Sous cette influence, Ahriman devint, pour les Mèdes, un dieu redoutable qu’il faut combattre et faire fléchir par toutes sortes de rites. C’est ainsi que la caste touranienne des magouch s’impose et devient une des six tri- bus constituantes de la nation perse. On comprend mieux comment, par la suite, le mage est devenu un terme générique pour évoquer des rites connus des seuls initiés et destinés à ob- tenir des faveurs surnaturelles. Ce n’est d’ailleurs pas si surprenant dans la mesure où les arts magiques ont finalement le même objectif que les religions : apporter des réponses aux questions existentielles et insolubles que l’homme se pose. Ainsi, les domaines d’application traditionnels de la magie s’inscrivent tous au sein de la dualité primordiale que constitue la vie et la mort. Les arts magiques cherchent en effet à l’améliorer la vie par l’obtention d’un pouvoir financier ou social, et à éviter ou retarder la mort. Carte de la Perse, St-Omer, BASO, inv. 3262 L’adoration des mages, St-Omer, BASO, inv. 23 4 Hermès Trismégiste, De Potestate et sapientia Dei, traduit par Marsile Ficin, Paris, [Johannes Higman, pour ou avec] Wolfgang Hopyl, 31 VII 1494 Ce texte appartient au corpus hermétique, c’est-à-dire l’ensemble des traités gnostiques attribués à Hermès Trismégiste. Ce dernier est considéré comme le plus ancien prophète de l’humanité, initiateur de la gnose tant dans le monde chrétien que païen. Il a influencé les plus grands penseurs et mystiques, de Moïse à Platon en passant par Orphée et Pythagore. Il faut attendre l’analyse de l’humaniste protestant Isaac Casaubon (1559-1614) pour que soit remise en question l’authenticité du « Trois fois grand ». Mais ce dernier est encore perçu comme le plus grand des mages de l’histoire. Marsile Ficin (1433-1499) est l’un des grands penseurs de la Renaissance du Quattrocento italien. Il est connu notamment pour ses traductions et commentaires platoniciens, ainsi que pour ses recherches sur les sciences occultes (son enseignement aurait notamment inspiré la réalisation de la première version du tarot de Marseille). Protégé par le banquier florentin Cosme de Médicis, il lui a dédié cette traduction. Son travail sur les textes hermétiques va énormément influencer sa philosophie qui est toujours plus ou moins ésotérique, au point qu’il est accusé de sorcellerie par le Pape en 1489 et échappe de peu à l’emprisonnement. Il a eu comme élève Pic de la Mirandole qu’il a initié à la Kabale. Cet incunable (livre imprimé au XVe siècle) appartenait à la Chartreuse du Val de Sainte-Aldegonde. Saint-Omer, BASO, inc. 31 Francesco Patrizi, Nova de universis philosophia libris quinquaginta comprehensa : Quibus postremo sunt adiecta. Zoroastis oracula CCCXX ex Platonicis collecta. Hermetis Trismegisti libelli... Mystica Aegyptiorum..., Venise, Robertus Meietti, 1593 Francesco Patrizi (1529-1597) est un célèbre savant, militaire, philosophe platonicien et bibliophile italien. Après un début de carrière itinérant, il obtient la chaire de philosophie platonicienne à Padoue, puis à Rome. Fervent dé- tracteur d’Aristote, il cherche toute sa vie à démontrer que le Stagirite (autre nom d’Aristote) n’est qu’un plagiaire, qui a puisé les principaux éléments de sa philosophie dans celle de ses prédécesseurs ! Contre la philosophie péri- patéticienne, il s’efforce de remettre à l’honneur le platonisme alexandrin, allant jusqu’à faire de Platon un crypto chrétien qui annonce la venue du Christ. À ce titre, il étudie et commente les textes du corpus hermétique : Zoroastre, Orphée et Hermès Trismégiste dont il a donné la meilleure édition scientifique de son époque. Elle est présentée ici sous la seconde édition de 1593, mais qui est en fait un réassemblage de celle de 1591. Les deux éditions sont rarissimes et valaient déjà au XIXe siècle le prix d’une petite bibliothèque ! Saint-Omer, BASO, inv. 1309 Ce volume a été acheté en 1690 par les chanoines de Notre-Dame avec la rente léguée par l’évêque Jacques Blase pour l’entretien de la Bibliothèque Blaséenne, qu’il a fondé par testament uploads/Religion/ catalogue-expo-magie-bdef.pdf