QUE SAIS-JE ? La théologie THIERRY BEDOUELLE Deuxième édition 2e mille Avant-pr
QUE SAIS-JE ? La théologie THIERRY BEDOUELLE Deuxième édition 2e mille Avant-propos a théologie est susceptible d’approches multiples. Entendue en un sens large, comme l’ensemble des discours que toutes les religions produisent sur leur(s) dieu(x), la théologie ne serait le propre d’aucune d’entre elles en particulier ; et elle appellerait une étude s’ouvrant aussi bien aux rites qu’aux dogmes, aux prescriptions et aux interdits qu’aux textes énonçant quelque chose de ce(s) dieu(x) (récits, chants, poèmes, etc.). Mais la théologie n’est pas la science des religions : une chose est de parler à Dieu ou de parler de Dieu, une autre est de chercher à comprendre ce qu’on dit quand on lui parle ou quand on en parle ; une chose est de croire, une autre, de tâcher de comprendre ce qu’on croit. De ce point de vue, la théologie désigne le mouvement par lequel la foi se met en quête de sa propre rationalité. Historiquement, cette quête s’est puissamment développée à l’intérieur du christianisme, et c’est sur elle que se concentrera de manière quasi exclusive ce livre. Il ne s’agit évidemment pas de nier que d’autres discours sur Dieu aient été et soient encore possibles : le philosophe peut légitimement avoir son mot à dire sur Dieu, et il ne s’en est pas privé ; le judaïsme et l’islam ont, eux aussi, élaboré des retours réflexifs sur leurs propres croyances. Et le christianisme n’a pas rechigné à faire appel aussi bien à ces discours philosophiques sur Dieu, dont il a, d’ailleurs, reconnu la valeur et la légitimité, qu’aux approches juives ou musulmanes de Dieu. Il reste que le ferment du logos grec a soutenu, dans le christianisme, un effort original de compréhension rationnelle de la foi. En se tenant globalement à l’écart de la philosophie grecque, le judaïsme a compris sa propre foi sur la base du commentaire de la Torah ; quant au kalam islamique, initialement dépendant du droit canonique (fiqh), puis principalement représenté par l’école de Al-Ash‘ari (xie siècle), son développement, centré sur le Coran et réglé de manière spécifique, ne permet pas qu’on le désigne par le mot de théologie. Mais, surtout, l’articulation chrétienne du divin sur l’humain n’est pas étrangère à la naissance de la théologie : à la différence de celle du judaïsme et de l’islam, la révélation du christianisme ne porte pas d’abord sur un texte ou sur une loi, transmis par Dieu grâce à un homme, Moïse ou Mahomet. Elle est d’abord L centrée sur un homme, Jésus, reconnu Fils de Dieu, un homme que le Prologue de l’Évangile de Jean présente comme le Logos fait chair. Et c’est de ce Logos, de cette Parole dont nous parlent les textes bibliques, d’un Logos qui, par ailleurs, ne pouvait pas ne pas entrer en résonance avec le logos pensé par les Grecs. Or, par cette affinité avec ce logos, et par cette distance entre un texte et un Dieu fait homme, qui libérait les croyants d’une fascination exclusive pour la lettre des Écritures, le christianisme non seulement reconnut la consistance propre du monde humain, puisque Dieu pouvait y habiter, mais ouvrit aussi l’espace pour une interrogation rationnelle sur le sens d’une Parole annoncée par les Écritures. Si le Logos divin s’est fait humain, alors il n’est pas impossible que le logos humain ait quelque chose de pertinent à dire sur Dieu (theos). À ce titre, la focalisation de ce livre sur la seule question de la théologie chrétienne ne semble pas illégitime. Compte tenu des dimensions de l’ouvrage, il fallait opérer des choix. On s’est d’abord attaché à la signification la plus générale de la théologie chrétienne ; on a donc tâché de se situer par-delà les diverses barrières confessionnelles, souvent plus faibles que les divergences observables à l’intérieur des diverses Églises. Toutefois, parce que nous en sommes les héritiers directs, les relations entre la théologie protestante et la théologie catholique ont retenu davantage l’attention que les apports de la théologie orthodoxe, dont il sera pourtant question dans les deux premiers chapitres. La démarche adoptée est essentiellement historique. Il ne faut pas voir dans ce choix un refus de définir la théologie aujourd’hui, mais plutôt le souci de prendre en compte les diverses strates temporelles qui déterminent notre approche moderne de la théologie, de ses problèmes comme de ses méthodes : dès lors qu’il s’agit d’articuler la raison ou le discours (logos) et Dieu (theos), il convient d’assumer l’historicité des formes de rationalité. Il n’y a pas de theologia perennis, mais, au contraire, une raison qui, dans des contextes différents et selon des modalités variables, tente de tenir un langage adéquat sur Dieu. Dans cette histoire, des problèmes identiques ne cessent de nourrir la réflexion – ainsi des relations de la théologie avec l’exégèse, c’est-à-dire avec l’interprétation des Écritures, ou de la question de la scientificité de la théologie, ou encore des liens du discours théologique avec le discours philosophique ; d’autres surgissent à une période donnée – ainsi du conflit entre la théologie et l’exercice de l’autorité dans l’Église (le magistère). Plutôt que de parler un peu de tout, et de risquer de ne plus parler de rien, nous avons choisi de mettre l’accent sur les problèmes spécifiques des périodes envisagées. Et, au lieu de proposer une histoire de ce que les chrétiens ont cru, confessé et annoncé (l’œuvre de J. Pelikan, The Christian Tradition, le fait déjà excellemment), il nous a paru plus judicieux d’aborder non les objets de la théologie, mais la théologie comme objet : qu’est-ce donc que la théologie [1] ? Dans le même esprit, et pour répondre à une telle question, nous avons dû privilégier tel auteur plutôt que tel autre (Thomas d’Aquin plutôt que Bonaventure, Luther plutôt que Suarez ou que Calvin, Barth plutôt que Bultmann ou que Rahner) : ces choix se veulent seulement l’expression de la volonté de se centrer sur l’essentiel. Espérons, pour finir, qu’ils permettront de mieux comprendre ce qu’il faut entendre par théologie. BAug : Bibliothèque augustinienne, Paris, 1936- PL : Patrologia Latina, éd. J.-P. Migne, Paris, 1841-1864 SC : Sources Chrétiennes, Paris, 1941-Les abréviations utilisées pour les références des textes bibliques sont celles de la Traduction Œcuménique de la Bible, Paris, 1972-1988 Notes [1] Le Dictionnaire critique de théologie, publié sous la direction de J.-Y. Lacoste, (Paris, puf, 2007. ), à l’égard duquel mes dettes sont nombreuses, permettra d’entrer plus avant dans l’exploration du contenu de la théologie chrétienne Chapitre I Naissances de la théologie n regard rétrospectif sur l’histoire de la théologie laisse apparaître que la chose est antécédente au mot. Si les premiers Pères de l’Église sont assurément des théologiens, ils n’emploient pas volontiers le mot théologie pour nommer leur activité. À ce titre, il n’est pas abusif de parler des naissances de la théologie : riche d’une histoire essentiellement grecque, le mot theologia dut être purifié des enjeux qui entourèrent ses premiers usages, et notamment des polémiques des philosophes de l’Antiquité contre la mythologie païenne. Ses reprises, d’abord sporadiques et, chez tel ou tel Père de l’Église, dotées d’un sens spécifique, puis fixées au Moyen Âge en un sens très proche de notre compréhension moderne, sont autant de naissances d’un même mot. I. Théologie et mythologie La première apparition du mot theologia s’observe dans un passage de La République de Platon (379 a 5). Cette unique occurrence du mot dans toute l’œuvre de Platon ne doit pas être traduite par « théologie » : au moment de fonder en paroles la cité qu’il appelle de ses vœux, Socrate examine les discours des poètes et s’interroge sur les modèles que ceux-ci doivent suivre dès lors qu’ils traitent des dieux. Le mot theologia ne désigne pas une connaissance spéculative de la divinité ou des dieux – cette tâche revient à la philosophie et Platon en donne quelques aspects dans ce même passage de La République – mais une partie de la mythologie des poètes, celle qui concerne les dieux. En même temps qu’elle témoigne d’une emprise semblable de la mythologie sur la théologie, l’œuvre d’Aristote élabore une conception des dieux ou du divin, et donc une théologie, faisant droit aux exigences de la raison. D’un côté, en effet, le mot theologia et ses apparentés theologos et theologein renvoient aux poètes. « Les anciens qui se sont appliqués aux discours sur les dieux » (peri tas U theologias, Météorologiques, B, 1, 353 a 34) sont les poètes des premiers âges, Homère, Hésiode, Orphée, auxquels Aristote oppose les physiciens (physikoi, Métaphysique, &Lgr;, 6, 1071 b 27 ; cf. &Lgr;, 10, 1075 b 26) : les premiers considérèrent « les principes [de tous les êtres] comme des dieux ou comme nés des dieux » (Métaphysique, B, 4, 1000 a 9-12) tandis que les seconds réfléchirent d’une manière que le texte des Météorologiques juge plus conforme à la sagesse humaine (cf. aussi Métaphysique, A, 3, 983 b 6 - 984 a 5). Cette théologie mythologique s’oppose cependant, d’un autre côté, à une théologie appropriée à l’activité rationnelle. Examinant au début du livre E de uploads/Religion/ bedouelle-la-theologie-bedouelle-thierry.pdf
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- Publié le Mai 05, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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