Philippe Capelle Comment Dieu entre en philosophie et en théologie In: Revue Ph
Philippe Capelle Comment Dieu entre en philosophie et en théologie In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 99, N°3, 2001. pp. 408-421. Abstract Through establishing a solidarity between the God of classical metaphysics and the God of Christian theology, Heidegger opened a historical debate, the very terms of which have doubtless not been radically ques- tionned. The strategies tending to liberate the Christian God from a so-called theological enclosure, are themselves not independent of a procedure which the author of this article seeks to attack from behind. In this undertaking he seeks to open a new field of rehabilitation of philosophical theology and to provide a new foundation for a thinkable articulation between the god of metaphysics and the God of Christian Revelation. (Transl. by J. Dudley). Résumé En solidarisant Dieu de la métaphysique classique et Dieu de la théologie chrétienne, Heidegger a ouvert un débat historique dont les termes mêmes n'ont pas été, sans doute, radicalement questionnés. Les stratégies tendant à libérer le Dieu chrétien d'un soit-disant enfermement théologique, ne sont pas elles-mêmes indemnes d'un dispositif que l'auteur du présent article cherche à prendre à revers. Dans cette épreuve, il s'efforce d'ouvrir un nouveau champ d'habilitation de la théologie philosophique et de refonder une articulation pensable entre le dieu de la métaphysique et le Dieu de la révélation chrétienne. Citer ce document / Cite this document : Capelle Philippe. Comment Dieu entre en philosophie et en théologie. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 99, N°3, 2001. pp. 408-421. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_2001_num_99_3_7370 Comment Dieu entre en philosophie et en théologie1 La question de l'entrée de Dieu en philosophie telle que la formule le présent intitulé fait explicitement référence à la façon dont Heidegger l'a organisée. Toutefois, en introduisant le vocable de «théologie» dans la séquence, nous commettons une hérésie heideggerienne sur laquelle il faut d'emblée nous expliquer. Dans la constitution de la métaphysique occidentale et le dévoilement de son impensé que Heidegger entend mettre au jour, le vocable de «philosophie» gouverne celui de théologie: que la question de dieu vienne à la philosophie rend compte à la fois du destin de la philosophie et, aussi bien, du destin de la théologie chré tienne. Le trait de Dieu (re)dessiné en théologie chrétienne prolonge et fait passer jusque dans la configuration «moderne», la détermination onto-théologique. Ce n'est que de ce point de vue, plutôt pauvre que, selon Heidegger, «la culture moderne, même là où elle se fait incroyante, reste chrétienne»2. Là contre, nous n'entendons pas seul ement faire valoir une trajectoire propre à l'entrée de Dieu en théologie de la Révélation, c'est-à-dire la théologie en tant que mise en discours systématique du dépôt révélé et de son expression dogmatique, mais sur tout en articulation avec celle-ci soutenir la prétention d'un accès de la pensée à la question de Dieu. Deux objections semblent se présenter à l'entreprise, (a) Tout en séparant radicalement dans la conférence de 1927, les deux champs phé noménologique et théologique, Heidegger n'a-t-il pas garanti à la théo logie chrétienne, sur la base de la christianité (Christlichkeit), un espace propre de légitimation théorique? Le traitement heideggerien de la ques tion de l'entrée de dieu en philosophie n'autorise-t-il pas du même coup un traitement potentiellement adéquat de la spécification de la question de Dieu en théologie chrétienne? (b) A partir des années 1934-36, notamment dans les Beitràge zur Philosophie, Heidegger a déployé une réflexion originale sur la question de dieu, der letzte Gott, rivée à la 1 Reprise d'une communication donnée dans le cadre du séminaire de métaphys ique de 3e cycle de la Faculté des sciences philosophiques de l'Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). 2 Nietzsche II p.427; trad. fr. p. 342. Comment Dieu entre en philosophie et en théologie 409 seule pensée du Seyn et de VEreignis, autrement dit a ouvert à partir de son propre effort de dépassement de la métaphysique classique, un pro jet théo-logique. Cette seconde objection prend la forme suivante: notre auteur n'a pas enfermé le destin de la question de dieu dans sa seule entrée en philosophie; il lui a reconnu une originalité de déploiement dans le pli originaire de la pensée de l'être. (a) La réponse à la première objection est assez aisée. Car, en dépit de ses affirmations répétées sur la légitimité de l'adhésion croyante, sur son respect moral de l'appartenance chrétienne, la proximité «foi évan- gélique»/«philosophie grecque»3 et la possibilité d'une élaboration théologico-chrétienne4, Heidegger a disposé les termes d'une disqualifi cation sans appel: participant de la dimension ontique dans sa référence au Dieu crucifié, la foi chrétienne ne peut se déployer sur l'horizon onto logique de l'attente disponible du dieu divin. Lors de la session de décembre 1957 de l'Académie évangélique à Hofgeismar, Heidegger déclarait, sans équivoque: «A l'intérieur de la pensée, rien ne saurait être accompli, qui puisse préparer ou contribuer à déterminer ce qui arrive dans la foi et dans la grâce. Si la foi m'interpellait de cette façon, je fermerais mon atelier. — Certes, à l'intérieur de la dimension de la foi on continue encore à penser; mais la pensée comme telle n'a plus de tâche»5! De façon plus catégorique et lapidaire, un paragraphe du Cours Qu'appelle-t-on penser? dit: «Ce destin de notre être occidental, histo rique par destin, se montre en ceci que notre séjour au Monde repose 3 «Une vie chrétienne n'a pas nécessairement besoin du christianisme. Voilà pour quoi un dialogue fondamental avec le christianisme n'est nullement, ni absolument une lutte contre ce qui est chrétien, pas plus qu'une critique de la théologie n'est du même coup une critique de la foi». Holzwege, Klostermann, Francfort A/M p.203. «Ce défaut de Dieu, éprouvé par Hôlderlin, ne nie cependant pas la persistance d'un rapport chrétien à Dieu chez les individus et dans les églises ; il ne juge pas ce rapport de façon déprédat rice» (ibid, p.248). «La parole de l'Evangile — et il (Heidegger) entendait par là la Synopse, bien qu'il nous soit arrivé d'écouter ensemble la Johannes-passion, qu'il suivait ce jour-là à travers le grec — est bien plus proche de la parole grecque que celle des phi losophes qui au Moyen-Age, en ont tenté l'interprétation grâce à un matériel de concepts dérivés et déviés du grec». (Propos confié à J. Beaufret un jour de l'été 1960 à Todnauberg et rapporté in J. Beaufret, Dialogue avec Heidegger, Paris, Ed. de Minuit, t.IV, p.59). 4 Cf la conférence de 1964: «Einige Hinweise auf Hauptgesichtspunkte fiir das theologische Gesprâch iiber 'Das Problem ein nicht-objektivierenden Denkens und Sprechens in der heutigen Théologie'» in Wegmarken, Francfort/Main, Klostermann, GA 9, pp.68-77. 5 Session de Hofgeismar. Texte cité dans Heidegger et la question de Dieu. Recueil préparé sous la direction de R. Kearney e. a., «Dialogue avec Martin Heidegger». Tr. J. Greisch, Paris, Grasset, 1980, p.335. 410 Philippe Capelle dans la Pensée, même là où ce séjour se détermine par la Foi chrétienne qui ne se laisse fonder sur aucune pensée, dont elle n'a d'ailleurs pas besoin en tant qu'elle est une Foi»6. La foi en tant que telle, honore certes un Dieu et se dispose auprès de lui dans le sacrifice et la louange, mais parce qu'elle ne parcourt pas le chemin auquel appelle le mystère de l'Etre, fait écran à la divinité même du Dieu attendu. Mais un double problème s'impose de lui-même: 1 celui d'une autre spécification de l'exercice d'une théologie de la Révélation; 2. celui d'un autre rapport possible entre le dieu métaphysique et le Dieu chrétien. (b) La seconde objection, plus redoutable, revient à soutenir l'idée selon laquelle la pensée du «dernier dieu» est seule conséquente avec l'expérience de la pensée. A tout le moins, sont ici préalablement exigés un travail herméneutique à partir de la plurivocité même de la théologie chrétienne et, du même coup, une clarification sur la particularité de l'épistémologie théologique en christianisme. Or ce point, qui détermine le chemin de résolution de la question, n'est jamais pris en compte par Heidegger. La tâche se définit donc selon une triple interrogation: 1. Quelle pertinence accorder au diagnostic heideggerien de l'entrée du dieu en philosophie et en théologie? Est-il possible sinon de le congédier, du moins d'en marquer les limitations? 2. La figure du «dernier dieu» est- elle conséquente, ou la seule conséquente avec l'expérience de la pen sée? Comment confronter sa thématisation avec la théologie de la révé lation? 3. L'articulation entre une théologie de la Révélation et une théologie philosophique est-elle pensable? I. Topique heideggerienne Pour un traitement adéquat de ces questions, nous prendrons comme point de départ la topique que Heidegger et son itinéraire intellectuel ont dessinée, et engagerons, chemin faisant, un débat critique avec ses déter minations fondamentales. Nous l'avons montré ailleurs7, cette topique 6 Was heisst Denken? , Tubingen, Niemeyer, 1954, pp.103-104. 7 Pour une présentation détaillée de cette thèse, voir notre ouvrage Philosophie et théologie dans la pensée de Martin Heidegger, Paris, Ed du Cerf, 1998, spécialement la première partie, pp. 15- 136. Comment Dieu entre en philosophie et en théologie 411 s'énonce sous la forme de trois uploads/Religion/ comment-dieu-entre-en-philosophie-et-en-theologie.pdf
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- Publié le Aoû 26, 2022
- Catégorie Religion
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