COMPTE A REBOURS Simon Maixan 2 LA FOULEE « Qu'est ce que la vérité, En matière

COMPTE A REBOURS Simon Maixan 2 LA FOULEE « Qu'est ce que la vérité, En matière de religion, c'est l'opinion qui a survécue. » O.Wilde – Critic as an artist La pénombre brumisait le souffle encore frais du Rub al Khali sur la ville de l'émirat du Saïf Raml. Ruisselant des eaux du Golfe Persique, le soleil de ce trentième jour de juin effleurait déjà la frise de lames tranchantes, disposée au faîte du mur d'enceinte du camp de résidence. Celui-ci était destiné aux cadres expatriés embauchés par les compagnies étrangères, parmi quatorze disséminés à l'intérieur où à proximité de la capitale. « Compound 10 », un nom qui à lui seul évoquait des commodités modernes en son sein et une enceinte austère de place fortifiée. Ainsi que chaque matin, sauf le dimanche, Baptiste Larouse s'apprêtait à franchir le portillon piétonnier que surveillait un vigile à l'œil torve, abrité de l'humidité du matin dans l'aubette aux vitres blindées. Bien que celui-ci reconnut l'européen qui se présentait chaque jour à la même heure, il n'actionnerait pas le système de verrouillage électromagnétique sans que lui soit présentée la carte d'identité par le sabot-pass en aluminium brossé du guichet. Avec cette lenteur calculée, énervante pour celui qui doit s'y soumettre, le planton scruta le visage du quidam pour le comparer avec la photographie du document, avant de la glisser dans la fente du terminal relié au PC Sécurité du complexe. De son menton en galoche, il fit signe à l'homme de taper son code confidentiel. Au dessus du check-point, l'objectif d’une caméra n'en perdait pas une miette. Après avoir fourré l'identifiant dans la poche de son survêtement, Baptiste releva l'heure au dixième près sur sa montre de prix. Il entama dans un trot d'échauffement la vingtaine de mètres de parcours entre les chicanes de béton disposées sur la voie des véhicules, avant d'accélérer dans une foulée altière. Ce déploiement de précaution ne correspondait pas à une réalité menaçante dans cet émirat, mais nombre de ses voisins étaient régulièrement la cible d'activistes, ce qui avait incité à la prévention. De l'avis de la majorité des décideurs politico-économiques locaux et investisseurs étrangers, il y avait quelques bonnes raisons de croire qu'aucun événement malheureux ne se produirait en Saïf Raml. Tout d'abord,il y avait les forces de sécurité adoubées par tout ce qui se faisait de plus professionnel en matière de service de renseignement U.S., cantonné dans un camp militaire à une trentaine de kilomètres de là. Elles ne reculaient devant aucune extrémité pour contenir toute velléité qui gâcherait la réputation d'endroit sûr pour les affaires, ainsi que la stabilité d'un gouvernement autocratique à la tyrannie bienveillante. Ensuite, cet Eldorado pétrolier au taux de huit virgule deux pour cent de croissance cette année attirait de gros investisseurs, avec lesquels les autorités régaliennes ne se montraient pas le moindre du monde regardantes quand à la provenance des fortunes, en échange de quoi ces braves entrepreneurs plaçaient leur fonds dans un immobilier pléthorique, grandiose jusqu'à l'ostentatoire, conçu pour des tours de passe-passe financiers imposant une sérénité totale. Il était tout à fait remarquable de constater que les potentats locaux, quoique le front au sol cinq fois par jour, se montraient d'une remarquable complicité avec l'infidèle quelque fût sa confession. Tous louaient avec une réelle dévotion le dieu Bicentenaire Capital, qu'ils aimaient à croire être chargé par l' Autre de travailler au concept du « Paradis sur la Terre ». Enfin la population du pays était composée d'une 3 importante et influente minorité chi'ite1. Cette communauté, non moins pieuse que son pendant sunnite2, ne tenait absolument pas à ce que se développe un extrémisme orchestré par ces derniers, lequel s'avèrerait aussi dommageable pour les adeptes d’Ali3 que pour le käfir4. Aussi faisait-elle œuvre discrète de vigilance et de collaboration avec l'autorité sunnite légaliste afin que des manifestations violentes n'entachent pas le calme de l'endroit. La peau du coureur commença à excréter une fine pellicule de transpiration qui le fit délicieusement frissonner à l'adan5 du sobh6. Le chant était voluptueux, phrasé intemporel, fondu d'enlaçantes syllabes. C'était là le moment où sa course s'enfonçait dans les rues étroites et tortueuses de la médina. Depuis les entrailles des murs de pisé blanchis à la chaux trépignaient les degrés de bois qu'on dévalait, claquaient les serrures multi centenaires, grinçaient les vantaux desséchés par l'air anhydre. Ce qui n'était l'instant auparavant que silencieuses artérioles, s'emplissait en un éclair d'un flux concentré de niqab, hijab jilbab, ghutra, igal, shashiya, Kamis, bisht et autres abbayya7 qui s'écoulait bourdonnant vers les édifices de prières. La foulé se réduisit à un trottinement de maintien : le minimum nécessaire pour que les jambes et le souffle ne fussent pas réduit à rien par un arrêt brutal, le maximum possible pour ne pas risquer de heurter une de ces formes, qui par ailleurs ne lui accordait qu'indifférence en dépit d'un sourire constant et figé qui se voulait aimable de sa part. A dire vrai, il n'y avait eu jusqu'à présent que deux types de situation pour lesquelles les relations avec l'autochtone dépassaient ce qu'il nommait ironiquement le « syndrome du vitrier ». La première était le marchandage avec le boutiquier du souk, parfois agrémenté d'un thé à la menthe très sucré dans une arrière-boutique pleine à craquer de produits importés de contrés lointaines, loin du giron du Dar al Islam8. Une autre situation d'échange verbal se trouvait dans un de ces clubs ou autre cercles dévolus au plaisir et à la détente de l'expatrié occidental. La direction ainsi que le service étaient assurés par un personnel local qui vous rassasiait d'amabilités douces et sucrées, écœurantes comme des loukoums. Leur formalisme vous ramenait quelques dizaines d'années auparavant, à l'époque du colonialisme anglo-saxon. Il y avait observé avec un agacement muet, certains de ses coreligionnaires se prendre au jeu avec un plaisir évident, trouvant là, sans doute, matière à s'illusionner sur leur statut social. Il était un fait que dés qu'une relation s'affranchissait d'un but commercial pour devenir un rapport sur des valeurs humaines authentiques, le roumi9 Larouse savait avoir à faire à un travailleur immigré venu de quelque contrée musulmane déshéritée, afin de ramasser les miettes d'un miracle économique 1 De l'arabe « shi'a ». Courant religieux musulman dont l'idée principale est que les leaders spirituels doivent être de la même lignée familiale que le Prophète Mohämed 2 De Sunna : Ensemble des paroles et des actes du Prophète. Ils estiment que les successeurs spirituels de Mohämed ne doivent pas être choisis selon leur lignage mais leur spiritualité. 3 Neveu du Prophète et quatrième khalife ( chef suprême de la communauté islamique). A sa mort en 661, fut fondé le shiîsme. 4 apostat 5 Appel de la prière faite par le muezzin 6 Prière juste avant le lever du soleil « lorsqu'un fil blanc ne se distingue pas d'un fil noir » 7 Énumération de vêtements – Les pluriels de ceux-ci sont à la vérité différents. 8 Terre originelle où conquise par les arabes de longue date. 9 Étranger – nom par lequel on désignait les gens de l'empire romain d'orient, à l'aube de l'islam 4 dispendieux. Bien que partie intégrante de la uma10 et à ce titre en droit de concevoir quelques respects de la part de leurs employeurs au titre de l'amam11, ils étaient considérés seulement en tant qu' êtres de sous-classe corvéables à merci. Contraints dans les métiers les plus ingrats, ils recevaient souvent moins de considération qu'un animal domestique ou une belle automobile, quoiqu'ils fussent des acteurs indispensables de l'économie. En effet, les employeurs du cru ne pouvaient compter que très modérément sur des actifs autochtones. Ceux-ci trouvaient dévalorisant le travail manuel et étaient enclins à se reposer sur les largesses d'un état assez riche pour ne pas devoir s'y contraindre. Descendant en droite ligne d'Ismaël12, l'autochtone maîtrisait au quotidien l'arabe littéral, outil dont s'était servi le Prophète pour exprimer les concepts spirituels et phénoménaux depuis la création. Cela conférait aux héritiers de la péninsule une supériorité non reconnue explicitement par le Coran13. Elle s'avérait cependant un fait du quotidien, quoique la population sémite musulmane ne fusse que de vingt pour cent de la totalité de la uma. Néanmoins, en cas de situation conflictuelle avec un non- croyant était unanimement adopté cet adage « Secours ton frère, qu'on lui fasse ou qu'il fasse tort. ». L'occidental déboucha sur le parvis d'une mosquée. Il maintint sa course sur le côté opposé à celle-ci. La foule dense semblait aspirée par le double vantail majestueux de cette construction aux aspects classiques tel qu'ils sont codifiés, bien qu'elle ne fut vieille que de quelques années seulement. L'espace de quelques enjambées il se retrouva à peu près seul. Il se dirigea au rythme de croisière vers une aire entourée de hautes clôtures. Derrière s'y épanouissait une végétation luxuriante, contrepoint anthropique à la nature de cette contrée hostile à toutes formes d'exubérances. Au delà de ce parc, s'élevait à la gloire des affaires une débauche de réalisations verticales qui abritaient bureaux, résidences de uploads/Religion/ compte-a-rebours.pdf

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  • Publié le Mai 12, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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