QUE SAIS-JE ? Les cathédrales PATRICK DEMOUY Professeur à l’Université de Reims

QUE SAIS-JE ? Les cathédrales PATRICK DEMOUY Professeur à l’Université de Reims Qu’est-ce qu’une cathédrale ? our la plupart de nos contemporains, particulièrement en France, à l’évocation d’une cathédrale, c’est une grande église gothique [1] qui vient tout de suite à l’esprit. Elle est, avec le château-fort, un monument emblématique du Moyen Âge. Effectivement l’un et l’autre, avec leurs flèches et leurs tours, ont longtemps dominé nos paysages. On imagine difficilement aujourd’hui l’impression que produisaient ces masses de pierre sur ceux qui habitaient à leur pied une masure basse, sombre et exiguë. De façon analogique, dans la traditionnelle société d’ordres, les hommes de prière (oratores) et les hommes de guerre (bellatores) encadraient et surveillaient le peuple des travailleurs (laboratores), qu’ils surpassaient par la culture savante et la force, et dont ils tiraient leurs moyens de subsistance. Mais il ne faut pas pousser plus loin la comparaison. Le château se replie sur lui-même, la cathédrale ouvre ses portes. Le premier exprime une domination temporelle ; la seconde, un élan spirituel. Du donjon on déverse des projectiles, le haut clocher invite à regarder le ciel. La cathédrale est la maison de Dieu parmi les hommes, la maison de prière par excellence, habitée au long du jour et une partie de la nuit – jadis – par des dizaines de clercs chargés d’intercéder pour les vivants et pour les morts du diocèse, autour de leur évêque. Celui-ci y rassemble encore périodiquement le peuple dont il a la charge. Pour bien délimiter le sujet, il faut s’attacher aux définitions canoniques – établies par le droit de l’Église – et au vocabulaire. Pour le Cérémonial des évêques promulgué en 1984, « l’église cathédrale (ecclesia cathedralis) est celle dans laquelle se trouve le siège (ou la chaire) de l’évêque (episcopi cathedra), signe du magistère et du pouvoir du pasteur propre à l’Église et aussi signe d’unité des croyants dans la foi qu’annonce l’évêque, pasteur du troupeau ». Il en découle que cette église est normalement le lieu où l’évêque officie aux jours de grande fête, le lieu de la consécration du chrême (les saintes huiles nécessaires aux sacrements), celui des ordinations et, de façon générale, le centre de la vie liturgique du diocèse. Nous reviendrons sur les fonctions propres à l’évêque, attardons-nous sur le vocabulaire. Le document romain emploie l’expression traditionnelle d’église cathédrale. Ce P n’est que très tardivement que l’adjectif a été substantivé en cathédrale tout court. La première acception en français se trouve dans le Journal des Savants du 28 juin 1666 : notre cathédrale ne date que de Louis XIV... Le mot important, c’est ecclesia, emprunté par le latin au grec, où il désigne l’assemblée du peuple. Du peuple des citoyens on en est venu, dans le Nouveau Testament, au peuple de Dieu. Le passage de l’Église-assemblée à l’église-bâtiment a été facilité par le fait qu’aux iie-iiie siècles apparaît souvent l’idée que l’assemblée comme telle est le temple de Dieu. Au début du ive siècle, cette deuxième acception d’ecclesia est attestée pour les lieux de culte. L’orthographe française actuelle permet de distinguer le sens, par l’usage de la majuscule ou de la minuscule. La cathédrale était à l’origine l’unique édifice où le chrétien recevait les sacrements des mains de l’évêque, donc l’église par excellence, celle où se rassemblait la communauté. Toutefois, comme d’autres lieux de culte se sont multipliés, avec des fonctions funéraires puis paroissiales, il a paru utile de préciser. C’est ainsi qu’est apparue l’expression ecclesia mater, « église mère », puis l’adjonction d’un adjectif qualifiant la grande église (ecclesia magna, major, comme on le dit encore à Marseille), ou très spécifiquement l’église de l’évêque, ecclesia cathedralis. La cathedra est le siège d’où l’évêque préside l’assemblée cultuelle et enseigne son peuple. Le mot a donné en français cathèdre (fauteuil à haut dossier) et chaire, dont les prédicateurs et les professeurs ne font plus guère usage. D’autres langues européennes ont fait un choix différent. L’allemand Dom et l’italien duomo renvoient à la domus, « la maison » – en l’occurrence, la maison de Dieu qui y rassemble son peuple. On retrouve la même idée d’unité de la grande famille des croyants. Ce n’est donc pas la taille qui fait une cathédrale. Certes il s’agit souvent d’un édifice vaste, compte tenu de sa fonction, mais il y a des exceptions. Dans les anciens diocèses de la France du Midi ou en Italie, il est des cathédrales bien modestes. À l’inverse, certaines églises paroissiales font illusion. Le cas le plus flagrant est sans doute celui d’Ulm, dont les bourgeois prospères et ambitieux ont bâti de 1377 à 1543 la plus grande église d’Allemagne après la cathédrale de Cologne ; achevée comme cette dernière au xixe siècle, elle est couronnée de la championne du monde des flèches gothiques (161,5 m). Si le titre de « cathédrale » peut être usurpé (Ulm ne s’en prive guère), il ne se perd pas. En France en particulier, dont la géographie ecclésiastique a été bouleversée par la Révolution pour se rapprocher du cadre départemental, nombre de sièges épiscopaux ont été supprimés (ils sont passés de 146 à 83) sans priver les cathédrales de Laon, Noyon, Senlis, Elne, Condom, Maguelone ou Lombez de leur dignité. À l’inverse, Rome, pour tenir compte de l’évolution démographique, peut procéder à des transferts ou érections d’évêchés. Ce qui se passa par exemple à partir de 1966 en banlieue parisienne (Saint-Denis, Pontoise, Nanterre, Versailles, Créteil, Évry) ; dans le premier cas, une ancienne abbatiale et basilique funéraire des rois de France acquit un titre nouveau ; dans le dernier, il fallut construire ex nihilo une cathédrale du xxe siècle. Notre sujet n’est donc pas limité au Moyen Âge, même si cette période sera naturellement privilégiée ; il commence avec la tolérance religieuse et se poursuit jusqu’à nos jours, car les cathédrales sont toujours bien vivantes. Bien sûr, leur place dans la société a changé ; elles ne sont plus uniquement des monuments religieux mais aussi des édifices mémoriaux qui nous permettent de remonter le temps. Notes [1] Le lecteur trouvera en annexe (p. 123), un glossaire illustré des termes d’architecture. Chapitre I L’évêque et son église avant l’an mil I. La fonction épiscopale ès la fin du ier siècle, les communautés chrétiennes apparaissent fortement structurées sous la conduite de leurs évêques, considérés comme les successeurs des apôtres. Institués par une chaîne ininterrompue d’ordinations censées remonter aux origines mêmes de l’Église, les évêques (étymologiquement, les surveillants) exercent un triple pouvoir d’ordre, de juridiction et d’enseignement. Jusqu’à la fin du ve - début du vie siècle, l’évêque, en tant que grand prêtre de son diocèse, était le seul à administrer les sacrements et à instruire les fidèles dans la foi dont il demeure le garant. L’accroissement et la dispersion de la communauté, d’abord essentiellement urbaine, ont amené la délégation à certains prêtres du droit de baptiser et de prêcher, dans le cadre d’une stricte discipline et obédience. L’évêque a gardé le monopole de la consécration aux différents ordres de la cléricature, de la dédicace des églises, de la bénédiction des huiles sacramentelles, du sacrement de confirmation, de l’excommunication et de la réconciliation des pécheurs publics, etc. Ces fonctions spécifiques se traduisent par des attributs qui nous sont encore familiers : la crosse, le bâton pastoral que tient fermement le berger pour défendre le troupeau et rattraper les brebis égarées ; l’anneau marquant l’union mystique avec une Église particulière à laquelle il se donne dans la fidélité (le transfert d’un siège à l’autre étant longtemps inconnu) ; la mitre, apparue au xie siècle par concession du pape qui la portait comme substitut du diadème impérial : elle marque l’autorité juridictionnelle et doctorale. Cette autorité s’exerce dans le cadre délimité d’un diocèse – autrement dit, d’une circonscription empruntée à la carte administrative de la fin de l’Empire ou constituée plus tard avec les progrès de l’évangélisation. Dans la France d’Ancien Régime la plupart des diocèses correspondaient encore aux cités gallo-romaines, cités au sens antique, des villes D entourées de leur plat pays. Ces diocèses étaient regroupés en provinces, qui passèrent aussi dans la géographie ecclésiastique. D’abord doté essentiellement d’une primauté honorifique, l’évêque de la métropole provinciale, le métropolitain, devint à partir de l’époque carolingienne un évêque de rang supérieur, un archevêque, doté d’un pouvoir de juridiction sur les évêques suffragants. Cela dit, les cathédrales métropolitaines ne se distinguent pas systématiquement des autres par leur taille ; l’archevêque de Reims a été battu d’une longueur par son suffragant d’Amiens et l’évêque de Paris a dépassé son métropolitain de Sens. Il faut considérer les cathédrales dans le cadre de leurs diocèses respectifs dont elles sont, nous l’avons vu, les églises mères. Même si l’on ne peut exclure parfois les ambitions démesurées de leurs promoteurs, leurs dimensions ont d’abord été conditionnées par la nécessité de rassembler le peuple de la cité autour de son pasteur, en particulier lors des solennités. D’où des reconstructions ou des agrandissements périodiques et le choix initial de formes architecturales adaptées au grand nombre. II. Le choix architectural 1. uploads/Religion/ demouy-les-cathedrales-demouy-patrick.pdf

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  • Publié le Fev 06, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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