Du sentiment amoureux au lien d'Alliance. de Xavier Lacroix Conférence donnée l
Du sentiment amoureux au lien d'Alliance. de Xavier Lacroix Conférence donnée lors d'un rassemblement "CANA" pour couples à Tigery(91) en 1996, et transcrite par François de Muizon. Le sentiment amoureux, aussi intense soit-il, ne suffit pas à alimenter le lien spécifique qui unit un homme et une femme au sein du mariage : l'alliance. Il semble alors nécessaire de chercher d'autres ressources, qui, loin de s'opposer au sentiment amoureux, enracinent le lien et lui confèrent sa véritable profondeur, théologale. C'est ce que Xavier Lacroix s'attache à montrer ici. Entre l'alliance et l'amour-sentiment, il est évident qu'il y a une parenté : le sentiment d'amour joue un rôle irremplaçable, dynamisant, catalyseur, de rapprochement, de rétablissement de l'intimité, de l'établissement d'une complicité irremplaçable entre les personnes. Mais est-il pour autant suffisant? Le sentiment a ses limites, il aura ses pannes, il faut le savoir. Et sur quoi tiendra-t-on alors, pendant les périodes de panne, qui peuvent paraître très longues? Inévitables, et nécessaires, les crises sont le signe d'une mutation dans la vie du couple. Dans la crise, on passe d'un état d'équilibre à un autre, d'un palier à un autre. Une conseillère conjugale disait que l'histoire du couple, c'est une histoire de décalages et d'ajustements permanents. Constamment, on se décale, et il faut se réajuster. Sinon, on sait d'avance quelle sera l'issue. Un couple sans histoires serait un couple sans histoire. Si donc le sentiment ne suffit pas, à lui seul, pour alimenter l'Alliance, il est très important de trouver d'autres ressources. Ces ressources me paraissent devoir être cherchées dans deux directions. D'une part, du côté de ce qui, dans le lien conjugal, ne relève pas du sentiment, mais s'inscrit dans la durée, d'autre part, du côté d'un sens renouvelé de l'amour. Les ressources externes de l'Alliance J'ose affirmer qu'il y a autre chose dans la notion d'alliance, de lien conjugal, que la notion d'amour. Je le résumerai en six "termes" qui nous unissent, mari et femme : 1) L'oeuvre : le lien est une oeuvre, une construction, quelque chose qui se construit entre nous, auquel nous donnons forme. Cette oeuvre peut être une maisonnée vivante, une communauté originale de vie, un style de relation absolument inédit, fruit de nos histoires, fruit de nos rencontres, qui s'affirme et qui s'approfondit avec le temps, et qui pourra être une petit chef-d'oeuvre, avec un peu de chance. Mais pas forcément... Il sera ce qu'il sera, avec ses limites. 2) Loyauté envers une parole donnée : une parole a été donnée. Un "oui" a été prononcé, quelque chose de sacré, devant quoi ma liberté elle-même va devoir s'incliner. Le respect de la parole donnée est un des fondements de l'humanité. Que serait l'homme sans le respect de la parole donnée? Paul Claudel écrivait : "Ce n'est pas l'amour qui fait le mariage, c'est le consentement". Je crois que la notion de consentement est encore plus profonde que celle d'amour. Consentement non seulement à son acte, à sa parole, ce qui est assez courant, mais consentement à l'autre. Ce qui est bien davantage. 3) Mémoire : le lien est aussi mémoire, histoire, mémoire d'une histoire commune. Une histoire au cours de laquelle les moments heureux comme les moments malheureux, les joies comme les peines, tissent des liens invisibles, année après année. Les grandes joies, les grandes peines, tout cela nous unit aussi. Avoir vécu ensemble tant de choses, surmonté tant de difficultés, contribue à cette inscription des deux histoires l'une dans l'autre. Et on a beau dire, on a beau faire, se séparer, ce serait se séparer d'une partie de soi. L'alliance, c'est entrer dans une solidarité telle, que si on la rompt, on se sépare d'une partie de soi. 4) Solidarité : parfois on reproche aux chrétiens de parler d'amour, qui est une très haute valeur, et d'oublier des valeurs plus simples, comme la solidarité, ou dans cette catégorie, la justice. Si déjà dans le couple, avant de manier des grands mots comme amour, on était juste l'un envers l'autre. Partage des tâches, par exemple... Quel programme! Ce sont souvent les manques de justice qui font craquer le couple! Autant que les manques de grand sentiment. Et les juifs parfois reprochent aux chrétiens de trop mettre l'amour au dessus de la justice, comme si l'amour éclipsait l'exigence de justice, y compris dans le couple. La solidarité, également, c'est l'impossible indifférence à la souffrance de l'autre, au malheur de l'autre. Comme le dit Lévinas, dans la responsabilité, je deviens otage de l'autre. Le malheur de l'autre sera aussi le mien. 5) Fécondité : je l'ai mis en cinquième position. C'est typique de notre culture, qui a tendance à oublier la fécondité quand on parle de l'amour et du mariage. Ce qui lie, c'est aussi, et même c'est d'abord d'être féconds ensemble, et non seulement ensemble, mais l'un grâce à l'autre. Le couple ne peut pas être lui-même sa propre fin. Cela me paraît de plus en plus évident. Ce qui le lie, c'est ce par quoi il donne et se donne. Ce par quoi il communique sa vie, par lequel il donne le meilleur de lui-même. Être fécond, c'est donner le meilleur de soi. Et la fécondité viendra incarner l'union. Le Talmud là encore, dit : "c'est dans l'enfant qu'ils deviennent une seule chair". L'enfant vient incarner l'Alliance de l'extérieur, lui donner consistance. Si l'amour est don, la fécondité sera le don de ce don, son redoublement, son incarnation. L'enfant sera l'incarnation la plus naturelle de ce don, mais bien sûr il ne sera pas la seule. Il y a d'autres formes de fécondité : sociale, spirituelle, interpersonnelle, communautaire, ecclésiale etc... 6) Institution : se marier c'est accepter que le lien soit institué, c'est-à-dire qu'il prenne une forme sociale, une forme de vie dont nous ne sommes pas, à l'origine. Nous n'avons pas inventé l'alliance conjugale. Nous ne sommes pas les seuls sujets, non plus de notre alliance : le corps social, la communauté, l'Église, elle-même, et Dieu bien sûr, en sont aussi les sujets. Se marier, parmi les définitions essentielles que j'en donnerais, c'est s'ouvrir au tiers, c'est accepter que des tiers soient impliqués. Ce n'est pas se contenter d'une relation duelle. On prend des tiers à témoins, et on engage des tiers avec nous, on s'engage devant eux et avec eux. Les tiers prennent des visages très variés, selon les facettes de l'amour : les témoins, l'officiant, la loi civile, la communauté ecclésiale, et bien sûr, pour les croyants, Dieu Lui- même. Ce qui nous conduit, d'ailleurs, après les ressources ou appuis externes de l'amour, à parler des appuis internes de l'Alliance. Les appuis internes de l'Alliance 1) Volonté et désir : lorsque nous parlons d'amour, nous avons l'intuition d'un mouvement vers l'autre qui est beaucoup plus important et fondamental que les aléas de l'émotion et du sentiment. Avons-nous réalisé ce fait étonnant? Dans la Bible, l'amour fait l'objet d'un commandement : Imaginez qu'un jour on vous demande à brûle-pourpoint : "pensez-vous que l'amour puisse se commander?". Je suis sûr que vous diriez non. Dans ce cas-là, mettez votre Bible au panier, parce que les deux commandements essentiels de la Bible, c'est "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, tu aimeras ton prochain". La Bible fait de l'amour l'objet d'un commandement. Il faut s'en accommoder, et penser l'amour en fonction de cela : Comment l'amour peut-il être l'objet d'un commandement? Cet amour que commande la Bible est un amour actif, et pas seulement un amour passif, passion que l'on subit. Il a une dimension de liberté. Et la liberté, ici, ce sera la volonté. Il faut que la notion d'amour soit compatible avec celle de volonté. Le philosophe Alain, disait : "aimer, c'est vouloir aimer". Cette notion ne nous est pas sympathique. Si aimer, c'est vouloir aimer, où va-t-on? C'est parce que nous sommes tous romantiques sans le savoir, et que donc nous confondons volonté et volontarisme. Mais la volonté n'est pas le volontarisme. Le volontarisme, ce serait la volonté crispée, la volonté qui voudrait ne s'appuyer que sur ses propres ressources : Il faut parce qu'il faut, je dois parce que je dois; Aimer par devoir, aimer par raison. Non, à l'évidence, ce n'est pas suffisant. Mais si l'on remonte plus loin, si l'on prend les auteurs plus anciens que le romantisme, ou le rationalisme, de notre Occident, si l'on remonte par exemple à St Thomas d'Aquin, à St Augustin, aux auteurs fondamentaux de la tradition chrétienne, on se rend compte que la volonté, c'est la mise en oeuvre du désir. Vouloir, c'est désirer vraiment. Et pour St Augustin, amour et volonté sont quasiment synonymes; "La volonté n'est rien d'autre que la puissance d'aimer..." "L'amour n'est rien d'autre que la volonté dans toute sa force". Plus près de nous le philosophe lyonnais Gabriel Madignier avait une très belle définition de l'amour : "Aimer, c'est vouloir l'autre comme sujet". Se réjouir qu'il existe, et vouloir qu'il existe non comme objet, mais comme sujet de son existence. Aimer, c'est mettre en oeuvre les actes, les paroles, uploads/Religion/ du-sentiment-amoureux 1 .pdf
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- Publié le Jul 13, 2022
- Catégorie Religion
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