Revue des Études Anciennes La naissance d'Erichthonios ou de quelques distorsio
Revue des Études Anciennes La naissance d'Erichthonios ou de quelques distorsions dans la Sainte Famille Pierre Lévêque Abstract The Erichthonios case is set out in the general framework of the neolithic and cretan Holy Family analysis (mother goddess, daughter goddess, holy child). Afterwards, we date back to the previous generation with Hephaistos as a child and as a father, so that we are enable to study the syntagma of two children-gods. We still belong to the ancient structure, though some distorsions ensure the specificity of these cases. Résumé Le cas d'Erichthonios est présenté dans le cadre général de l'analyse de la Sainte Famille néolithique et crétoise (déesse mère, déesse fille, enfant divin). On remonte ensuite d'une génération avec Héphaistos enfant et père, si bien qu'on peut étudier le syntagme de deux enfants-dieux. On reste bien dans la structure ancienne, mais avec des distorsions qui font la spécificité de ces cas. Citer ce document / Cite this document : Lévêque Pierre. La naissance d'Erichthonios ou de quelques distorsions dans la Sainte Famille. In: Revue des Études Anciennes. Tome 94, 1992, n°3-4. pp. 315-324; doi : https://doi.org/10.3406/rea.1992.4499 https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1992_num_94_3_4499 Fichier pdf généré le 23/04/2018 LA NAISSANCE D'ERICHTHONIOS OU DE QUELQUES DISTORSIONS DANS LA SAINTE FAMILLE* ** Pierre LEVEQUE Résumé. — Le cas d'Erichthonios est présenté dans le cadre général de l'analyse de la Sainte Famille néolithique et Cretoise (déesse mère, déesse fille, enfant divin). On remonte ensuite d'une génération avec Héphaistos enfant et père, si bien qu'on peut étudier le syntagme de deux enfants-dieux. On reste bien dans la structure ancienne, mais avec des distorsions qui font la spécificité de ces cas. Abstract. — The Erichthonios case is set out in the general framework of the neolithic and Cretan Holy Family analysis (mother goddess, daughter goddess, holy child). Afterwards, we date back to the previous generation with Hephaistos as a child and as a father, so that we are enable to study the syntagma of two children-gods. We still belong to the ancient structure, though some distorsions ensure the specificity of these cases. Le mythe d'Erichthonios a été trop superbement analysé par P. Brulé (La fille dAthènes, \ Paris 1987) pour qu'on ait le besoin d'y revenir de longtemps. Si je m'attarde toutefois à réfléchir à son sujet, c'est que mon intérêt est différent : je voudrais reprendre, sur cet exemple concret, la prise en compte, dans des mythes, d'une grande structure comme celle de la Sainte ! Famille néolithique, les distorsions qu'elle peut subir sans que s'aliène sa signification ; profonde, la péripétie, capitale du point de vue narratif, qu'elle subit et qui lui permet de déboucher sur un bilan nettement positif. I. — L'ATHÈNES ROYALE FONDÉE PAR UNE MÈRE PORTEUSE. l î Le mythe d'Erichthonios nous interpelle doublement. D'une part, on y lit à la fois la j structure que j'ai appelée Sainte Famille néolithique, c'est-à-dire déesse-mère + déesse-fille + * Je remercie mes collègues et amis brésiliens qui ont bien voulu m'accueillir et débattre de ce texte avec moi en plusieurs séminaires. ** Université de Besançon. REA, T. XCIV, 1992, nM 3-4, p. 315 à 324. 316 REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES enfant divin, mais avec des distorsions étranges et sans doute signifiantes. D'autre part, mettant en scène des dieux aussi authentiquement athéniens qu'Athéna et Héphaistos, il conforte le pouvoir qui passe maintenant des dieux aux héros. On connaît les deux lignes de force essentielles du mythe. 1. Héphaistos, saisi d'un violent désir de sa demi-sœur Athéna, cherche à la posséder. En vain, car la vierge se défend contre son agresseur et le repousse, sans pouvoir éviter nonobstant que le sperme ne se répande sur sa cuisse. Dégoûtée, elle le nettoie avec un flocon, qu'elle jette ensuite à terre, et c'est Gè elle-même qui recueille le liquide fécondant et qui, le temps de la gestation passé, mettra au monde l'enfant né du sperme, Érichthonios. Comme si souvent dans le mythe grec, on assiste ici à un raté de la sexualité, corrigé au reste par le succès final de l'opération, grâce à la médiation de Gè : en elle se dissocient sexualité et fécondité, puisqu'elle assure la reproduction, sans être en rien mêlée à l'acte sexuel initial qui ne concernait qu'Athéna. Il y a donc FMA, Fécondation mythiquement assurée, avec fécondation artificielle et mère porteuse. 2. Quelle richesse déjà dans l'imagination ! Mais aussitôt apparaît un second épisode, celui des Aglaurides. Ces trois sœurs, filles de Cécrops, le premier roi d'Athènes, forment un collège de jeunes filles, promotrices de fertilité : elles sont trois, comme c'est généralement le cas. Elles portent des noms bien signifiants : Aglauros (eau claire), Pandrosos (toute rosée), Hersé (rosée), qui ne sont au reste pas sans poser problème : il y a le doublet Aglauros / Agrauros analysé comme virginité et maternité (P. Brulé, p. 34) ; Hersé, qui paraît un double de Pandrosos (peut-être dans une autre langue), était d'abord simplement dotée d'un nom commun, Kourotrophos. Il n'est pas interdit de penser que le collège des trois filles préexiste à leurs noms. L'humidité soutien de la vie est la fonction même de ces trois jeunes filles. Or, il faut rappeler qu'elle peut prendre des formes très diverses, s'appliquant à des écoulements naturels ou biologiques, eau, rosée, pluie fine, urine, lait ou miel, sève..., c'est-à-dire à tout ce qui se retrouvera, enrichi du fruit de la vigne, dans le concept grec de ganos. On a remarqué que l'humidité est le plus souvent féminine, parfois cependant masculine : le mot sanscrit qui est rapproché de Hersé, varsa (pluie), est neutre, les mots grecs uétos et ombros (pluie) masculins. Au surplus la fertilité n'est pas tout à fait exclusive de la fécondité, puisqu'au pluriel drosos et hersé désignent de petits animaux. Or, ces Aglaurides commettent une faute grave. Alors que les adversaires de l'enfant-dieu sont, dans beaucoup de mythes, neutralisés par de bienveillantes Nymphes prenant souvent forme animale, ici ce collège manque étrangement à ses devoirs. Athéna, qui gardait quelque complaisance maternelle — jolie notation psychologique — pour ce nourrisson dont elle eût pu être vraiment la mère, l'avait confié aux Aglaurides. Mais, dévorées par la curiosité (beau thème du folklore universel et de tant de contes bleus), elles ouvrent la ciste où la déesse avait enfermé le bébé ; il en sort deux serpents dont les malheureuses sont épouvantées. Devenues folles, elles n'ont plus qu'à se suicider. . . Or, on en est à un moment-clef de la proto-Athènes. Erichthonios est un créateur génial qui dote sa ville de nombre d'institutions religieuses : les Panathénées, le sacrifice à Gè Kourotrophos, le xoanon d'Athéna, la canéphorie, l'attelage du cheval, les apobates... Il est, d'autre part, réputé, par delà Pandion, son successeur assez falot, être le grand-père LA NAISSANCE D'ERICHTHONIOS 317 d'Erechthée, qui porte un nom si voisin du sien et lui aussi sans explication claire. Cet Erechthée est un héros de grand poids, qui mourra foudroyé par Poséidon, mais ce coup de foudre n'est évidemment pas une punition, c'est une consécration immortalisante. La tradition, en fait, l'identifie à Poséidon, un vaincu certes à Athènes, mais qu'on ne peut négliger, Erechthée donnant même son nom au temple, l'Erechtheion, le premier sanctuaire d'Athéna sur l'Acropole, entouré de vestiges chers au cœur des Athéniens. Ces deux héros passent pour interchangeables. Ils ne le sont point tout à fait. P. Brulé (p. 18) les distingue avec finesse : « Erechthée est un personnage plus politique (si le mot est ici permis) qui habite l'Acropole, comme on l'imagine du wanax mycénien, menant à la guerre les armées de la cité. Son doublet Erichthonios est d'abord le rejeton divin, le divine child disait M.-P. Nilsson, aux fonctions sacerdotales : c'est un jeune prêtre ». Chacun dans ses fonctions, ils sont quasi les premiers rois d'Athènes, des héros cette fois et non plus des dieux. On concédera qu'il reste beaucoup d'ombres dans tout cela, beaucoup de confusion : ainsi Praxithéa est donnée comme la femme d'Erichthonios et comme celle d'Erechthée. D'autres témoignages peuvent être invoqués, notamment celui de la topographie de l'Acropole et de ses abords Nord. On y relève un ensemble étroitement lié à ces premiers mythes royaux : olivier donné par la déesse, enclos sacrés des Aglaurides, tombeau de leur père Cécrops (en partie sous le futur portique des Corés). . . Très riche aussi est l'analyse de l'Erechtheion : du côté consacré à Poséidon, il y avait des autels intérieurs voués à Poséidon-Erechthée, à Héphaistos, à Boutés frère d'Erechthée. L'un des motifs des frises ioniques de l'édifice du Ve siècle comportait sans doute une naissance d'Erichthonios. C'est ici le siège des reliques les plus vénérables de la cité. Il y a une cohérence mythique et topographique dans le mythe d'Erichthonios. Le vocabulaire nous aide au surplus à le replacer dans une atmosphère bien spécifique. Cécrops, Aglaure, Pandrose, Erichthonios et Erechthée n'ont pas d'étymologie grecque acceptable, malgré bien des exégèses fantaisistes1. Ce qui n'empêche que des noms grecs peuvent se mêler à la liste, s'agissant essentiellement de personnages très mineurs : Praxithéa, Pandion... On uploads/Religion/ ericthonios.pdf
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- Publié le Oct 28, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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