Trois petits pas… Roger BONIFASSI En Franc-maçonnerie, tout est explicable symb
Trois petits pas… Roger BONIFASSI En Franc-maçonnerie, tout est explicable symboliquement : un « meuble », une « parole », une « action ». Tout est explicable et justiciable symboliquement, le fait en lui-même et son contraire. C’est ce qui a valu à la franc-maçonnerie française en particulier sa faculté d’adapter, de transformer (pour ne pas dire « tripatouiller ») ses rituels au gré du temps, de la mode et de la fantaisie de ceux qui « croient savoir » mieux que les autres. Les rituels du Rite Écossais1 en sont un bel exemple avec les adjonctions successives d’éléments plus ou moins bien incorporés, en deux siècles d’existence, aux rituels initiaux. Le fait n’est pas nouveau, les divulgations « anglaises » décrivaient déjà cette particularité2. La liste de ces diverses innovations aujourd’hui traditionnelles serait longue à énumérer, signa- lons toutefois dans les retraits la suppression des diacres et celle de la transmission des mots et dans les ajouts les quatre éléments lors de l’initiation et la chaîne d’union à la fermeture des travaux. De nombreux éléments traditionnels perdurent toutefois, et c’est heureux, mais même ceux-ci ont été parfois sujets à de nombreuses variations. La façon de procéder pour effectuer les pas du maître en est un bon exemple. Voyons ce que nous apprennent les anciens rituels. En 1730, la première divulgation révélant le grade de Maître, « Masonry Dissected » fut pu- bliée par un dénommé Prichard. Relatant les secrets des “Modernes“ sous forme d’instruction, elle ne contient aucune relation gestuelle et si elle décrit bien les cinq points parfaits par les- quels le maître Hiram fut relevé, elle reste muette au sujet des pas du grade. Aucune autre divulgation « anglaise » ne divulguant les secrets de la marche du maître, ce n’est qu’en 1744 que Léonard Gabanon dans sa divulgation « Catéchisme des Francs-maçons » décrit la marche de maître effectuée par le candidat sur ordre du Très Respectable : Alors, le premier surveillant lui fait faire la double Equerre, qui est de mettre les deux talons l’un contre l’autre : & les deux pointes du pied en dehors au bas de l’Equerre, qui est tracée sur la Loge de Maître. Ensuite, il lui montre la marche de Maître, qui est de faire le chemin qu’il y a de l’Equerre au Compas : en trois grands pas égaux faits un peu en triangle ; c’est à dire qu’en partant de l’Equerre, il porte le pied droit en avant un peu vers le Midi, le gauche en tirant un peu du côté du Septentrion, & pour le dernier pas, il porte le pied droit à la pointe du Compas, qui est du côté du Midi, fait suivre le gauche, & assemble les deux talons de façon que cela forme avec le Compas encore une double Equerre. Notons que, dans cette pratique, les deux pieds ne se posent pas ensemble à chaque pas, et qu’ils ne sont ras- semblés qu’au départ et à l’arrivée de la marche, ce que décrit fort bien la gravure jointe. 1 Ceux du rite français avec leurs diverses “moutures“ le sont également… 2 The Three dinstinct Knocks 1760 en particulier ! 2 En 1745, Gabriel-Louis Pérau reprend, au mot près, dans sa divulgation « L’Ordre des Francs-maçons Trahi et le Secret des Mopse révélé » la même description de la mar- che. Il y ajoute toutefois une gravure la représentant (ta- bleau ci-contre). En 1748, L’Anti-Maçon reprend la même façon d’opérer et présente un tableau présentant les marches de chaque grade avec, pour mieux faire comprendre la particularité de la marche du maître un dessin représentant les pieds totalement remplis de noir lorsqu’ils sont posés à terre et le talon blanchi lorsqu’ils ne le sont pas. Seule fausse note dans ce décor idylique ou tous les au- teurs semblent décrire la même pratique, l’abbé Larudan dans son ouvrage « Le Maçon Démasqué » publié en 1751, indique une marche différente où les deux pieds sont posés l’un à coté de l’autre lors de l’enjambement du cercueil (voir gravure ci-contre). Ainsi, la gestuelle des trois pas découlant des pratiques de la maçonnerie andersonnienne, est décrite en détail dans les divulgations… françaises. Tableau Pérau – 1745 Pourtant, en 1751 apparaît, en Angleterre, une nouvelle pratique, celle des “Anciens“. Le pro- pos n’est pas d’en retracer la genèse, mais puisque son principal animateur, Lawrence Der- mot, se moquait acerbement de ceux qu’il surnommait les “Modernes“, y compris pour le sujet qui nous intéresse, nous pourrions croire à une différence d’usages. Ne dit-il pas : Après plusieurs années d'observation, une manière de marcher, vraiment ridicule, fut adoptée (par les Moderns). Je crois que la première fut inventée par un homme gravement atteint de sciatique, la deuxième par un marin accoutumé au roulis d'un navire et la troisième par un ivrogne qui, pour son plaisir ou par excès de boissons fortes, aimait à danser comme un paysan ivre3. Ce n’est pas le cas, du moins pour la marche du maître, car en 1760, la révélation des usages des “Anciens“ par « The Three distinct Knocks », toujours sous forme d’instruction, du moins 3 Ahiman Rezon (3° édition, 1778) 3 pour la partie du Maître (car celle de l’apprenti comprend les dialogues de la cérémonie d’ouverture de la Loge), fournit la même pratique de la marche du maître : D. Quelles instructions avez-vous reçues du premier surveillant ? R. Il m’a appris, alors que je me tenais à l’ouest, à montrer le due guard ou signe d’apprenti au maître à l’est, à faire un pas sur la première marche d’un carré long, [et à mettre] mon autre pied à l’équerre. Deuxièmement, il m’a appris à faire deux pas sur le même carré long, et à montrer le signe de compa- gnon. Troisièmement, il m’a appris à faire trois pas sur le même carré long. [Ensuite, j’avais] les deux ge- noux ployés, le corps droit, la main droite sur la Bible, les deux pointes du compas ouvert posées sur mon sein droit et sur mon sein gauche. Quoi qu’il en soit, il est clair que la marche de maître consiste, dans les écrits tout au moins, à faire trois pas. Dans les écrits, car dans la pratique, le fait de ne pas poser le pied entre le pre- mier et le dernier pas ramène de facto le nombre de pas à deux. En effet, si la définition du pas au sens donné par le dictionnaire4 est « l’action qui consiste à faire passer l’appui du corps d’un pied à l’autre, dans la marche », la définition maçonnique, non clairement stipulée, mais corroborée par toutes les gravures du XVIIIe siècle qui l’indique, est celle consistant en la double action d’avancer un pied puis de le faire rejoindre par le second. Puisque c’est ainsi que se font et que sont représentés les trois pas de l’apprenti et les deux pas du compagnon, pourquoi n’en serait-il pas de même des pas du maître ? Sur le Continent, en 1763, le rituel de Maître dit du Marquis de Gages relate encore la marche (sans précision aucune) avant le récit de la mort d’Hiram. Le 1er Survt.·. le fait parvenir à l'autel le faisant passer sur le tombeau en partant de l'Occident du pied droit pour aller au Midi. Lors, on applique un grand coup de rouleau de carton ou papier sur l'épaule gauche du récipiendaire puis on le fait partir du pied gauche du Midi pour aller à l'Orient par le Nord ; il reçoit un pareil coup sur l'épaule droite puis il part du Nord pour aller à l'Orient, il reçoit un pareil coup sur la tête à l'Orient. Il tombe à genoux, la main sur la Bible et prête son obligation en ces ter- mes… Les premiers rituels français, suivant la pratique universelle des maçons de l’époque, décri- vent toujours la marche du maître en trois pas. Seules varient les modalités d’exécution. Le rituel de Maître inséré dans les « Secrets et misteres de Plusieurs Grades De La Franche Maçonnerie, Reception de Dames Et Chantier de Cousins fendeurs »5, et décrit une nouvelle variation de la marche : Le 1e Survt qui lui montre la marche le fait partir du pied droit, de l’occident au midi en rapportant le pied gauche en l’air formant le 4 de chiffre puis Le fait repasser du pied gauche qu midi au septentrion rapporte la Jambe droite de même que La gauche repare du pied droit du septentrion a l’orient pose ce pied En face de L’equerre qui est placé par terre raporte la jambe gauche et la joint a la droite et forme la double equerre avec celle qui est atere. Notons que jusqu’à présent, hormis dans le rituel du Marquis de Gages, la marche se situe toujours sur le sol de la Loge et qu’il n’est nullement question de franchissement du cercueil ou d’un quelconque cadavre. Il semble qu’il faille attendre le premier rituel officiel pour que cette disposition soit adoptée. 4 Le Petit Robert 5 uploads/Religion/ g0df-trois-petits-pas.pdf
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- Publié le Jul 22, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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