Kristofer M. Schipper Le pacte de pureté du taoïsme In: École pratique des haut
Kristofer M. Schipper Le pacte de pureté du taoïsme In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 109, 2000-2001. 2000. pp. 29-53. Citer ce document / Cite this document : Schipper Kristofer M. Le pacte de pureté du taoïsme. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 109, 2000-2001. 2000. pp. 29-53. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_2000_num_113_109_11736 Le pacte de pureté du taoïsme par Kristofer Schipper En la traitant de "voie des cinq boisseaux de riz" (Wudou midao), les opposants confucianistes de Pecclésia taoïste1 relevaient son fondement économique comme étant sa principale caractéristique. Du point de vue de la bureaucratie, cette contribution exigée annuellement de toute famille adhérente et qui, d'après mon estimation, devait correspondre à quelque vingt-cinq kilos de riz décortiqué, a dû être considérée comme une trans gression provocatrice. Au ne siècle de notre ère2 dans la région de Shu (le Nord de l'actuelle province du Sichuan) où naquit la voie du maître céleste, les impôts étaient payés en riz. La contribution imposée par l'ecclésia a donc dû apparaître comme l'usurpation d'une prérogative impériale. Sans tenir compte du fait que cette contribution était destinée à secourir les pauvres et à constituer des réserves pour les années maigres, les lettrés bureaucrates appelaient les chefs religieux de la voie du maître céleste des "voleurs de riz" (mizei)3. La collecte de riz avait lieu chaque année à l'occasion de la troisième assemblée annuelle des fidèles, durant la première quinzaine du dixième mois lunaire. Les trois assemblées (huï) étaient nommées après les trois principes (yuan) de la cosmologie de l'ecclésia. Celle-ci enseignait que l'univers était une création spontanée provenant de l'éclatement de la matrice du chaos original (hundun). Au commencement, trois souffles (qi) principaux, ceux du ciel, de la terre et de l'eau, se seraient différenciés à partir du magma originel pour former les trois étages du monde. En prenant modèle sur cette tripartition, la première assemblée était dédiée au ciel et ses bienfaits en tant que principe du Haut (shangyuan) et elle se 1. Plutôt que de parler d'une « église » taoïste, comme le fit Maspero, nous avons choisi le terme d'« ecclésia », en espérant qu'il prête moins à confusion avec les institutions chrétiennes. 2. La nouvelle parousie du Vieux Seigneur (Lao Zi divinisé) eût lieu en 142 de notre ère. Le Vieux Seigneur apparut à l'ermite Zhang Daoling et le désigna comme « maître céleste », c'est-à-dire son vicaire sur terre. La « voie du maître céleste » (tianshi dao) est la première organisation liturgique collective et salvatrice dans l'histoire de la Chine. 3. Weishu (Sanguo zhi ), 8, biographie de Zhang Lu, troisième maître céleste. Annuaire EPHli. Section des sciences religieuses, T. 109 (2000-2001) 30 Article liminaire tenait au commencement de l'année, au début du printemps, durant la pre mière quinzaine du premier mois lunaire. La deuxième, du principe Médian, se tenait au septième mois et était sous le signe de la terre et des péchés commis par les hommes. La troisième, du principe du Bas et en honneur de l'eau, marquait le moment de se purifier et d'écarter les mal heurs. Les assemblées se tenaient dans les lieux saints appelés zhi, terme que l'on a pris l'habitude de traduire par "diocèse" dans ce contexte. À vrai dire, zhi est un terme de l'administration impériale des Han et désigne un poste de contrôle administratif et militaire établi dans les régions sau vages4. Ce sens peut convenir aussi ici, puisque les zhi de Pecclésia étaient d'abord établis dans des montagnes du Sichuan. Plus tard d'autres apparu rent dans le Sud-est du Shaanxi, pour enfin se répandre dans toute la Chine, d'abord au Nord, puis au Sud, et de façon générale toujours sur des montagnes. Les quelques descriptions dont nous disposons montrent que ces lieux saints comportaient une enceinte fortifiée à l'intérieur de laquelle se trouvait un sanctuaire ainsi que des résidences, des hangars et des silos, tous apparemment assez simples et rustiques5. Les fidèles se réunissaient dans ces lieux non seulement pour y apport er leur contribution et renouveler leur affiliation, mais encore pour des célébrations collectives. Ils y restaient donc plusieurs jours et étaient nourr is sur place. Voici ce que l'un des codes de Pecclésia dit sur le sujet : « Le Code dit : Chaque maison établit une chambre calme pour le culte.6 Elle fournit cinq boisseaux de riz [en gage] de foi (xinmi), afin de fonder ainsi le souffle {gi) de la Création et des Cinq Eléments7. L'enregistrement du destin des membres de la maison [sur le livre de la vie] dépend de ce riz. Chaque année ils doivent participer aux assemblées. Le premier jour du dixième mois lunaire ils se réunissent au diocèse du maître céleste pour remettre leur contribution aux silos célestes et aux pavillons des cinquante lieues8. Ce riz sert à se prémunir contre les carences dans les années de mauvaise récolte, lorsque les gens aff amés se mettent en route sans pouvoir apporter eux-mêmes des provisions. Le Code dit encore : la raison pour laquelle il faut se réunir au commencement du dixième mois au diocèse du maître céleste et y apporter le riz est parce que le souffle fondamental du Grand Yang (le soleil) renaît, et confère ainsi un [nouveau] destin et la vie [aux fidèles]9. [...] Il n'est pas permis d'apporter des 4. Hanshu 96A, monographie sur les régions de l'Occident, au sujet des duhuzhi établis dans les contrées occidentales. 5. Chen Guofu, Daozang yuanliu kao, p. 334-5, citant le Taizhen ke, code datant probablement de la fin de Six Dynasties (vie siècle). 6. Il s'agit du jing, ("oratoire"), petite chapelle privée pour chaque maisonnée. Voir Chen Guofu, op.cit., p.335. 7. Le caractère xing utilisé ici est celui pour "nature innée" et non pas le carac tère usuel utilisé dans le terme wuxing ("cinq agents"). 8. C'est-à-dire les silos des diocèses et les auberges (ting) accueillant les voya geurs et où ceux-ci étaient nourris et logés gratuitement. Cf. Rolf A. Stein, « Remarques sur les mouvements politico-religieux au ne siècle ap. J.-C. », T'oung Pao, 50 [1963], 1-78. 9. Le Taizhen ke, cité dans Yaoxiu keyijielii chao 10.2a. Kristofer Schipper 3 1 denrées alimentaires personnelles à l'intérieur des portes [de l'enceinte] du diocèse et de polluer ainsi la pureté des lieux. »10 La contribution en riz des fidèles ne devait donc pas seulement servir à alimenter les réserves et à secourir les pauvres, comme le veulent les statuts de l'ecclésia, mais aussi à nourrir les fidèles lors des assemblées, puisque ces derniers ne devaient pas apporter leur propre nourriture, inter diction formulée dans le souci de maintenir la pureté des lieux et qui s'inscrit dans le contexte plus large des interdits alimentaires de l'ecclésia. Ces interdits visaient avant tout le vin et la viande, considérés comme impurs et dont la consommation était strictement prohibée, puisque ces denrées correspondaient aux offrandes utilisées dans les rites sacrificiels de la Chine classique ; nous y reviendrons. Le sens symbolique donné ici à la contribution des fidèles est important, et repris avec de légères variantes dans nombre de textes anciens. Nous voyons que le riz est lié au fondement de la vie des fidèles. En apportant leur contribution au dixième mois, qui marquait le début de l'année dans la Chine antique, ils exprimaient que les cinq boisseaux constituaient un point de départ ainsi qu'une contrepartie pour l'obtention d'un nouveau destin et un nouveau gage de vie. Les cinq boisseaux sont parfois appelés "riz du destin" {mingmï) ou "riz, gage de foi" (xinmï). Quant au chiffre cinq, il est mis en rapport avec les cinq points cardinaux qui structurent la vie1 ' . Comme nous verrons en détail plus loin, tout porte à croire que l'offrande des cinq boisseaux de riz était considérée comme une forme de rachat des péchés des fidèles, condition nécessaire pour l'obtention du salut. 1 . L 'origine des interdits alimentaires et le Livre de la Grande Paix L'interdiction de faire des sacrifices de nourriture, et par conséquent de consommer des nourritures pouvant servir aux sacrifices, est un des fondements du taoïsme religieux12. À ce titre, elle est mentionnée dans le « Codex de la [doctrine] Une et Orthodoxe » (Zhengyi fawen), le canon de l'ecclésia13. Elle est justifiée par la nécessité de rompre avec l'ancienne religion et surtout avec ses sacrifices sanglants et ses rites chamaniques. \0.Ibid. 1 1 . Santian neijiejing(« Initiation à la doctrine des Trois Cieux ») 9b ; voir aussi ci-dessous. 12. Une critique des rites des sacrifices sanglants figure déjà de façon très claire dans le Zhuangzi (fin du ive - me siècle av. notre ère). Cette question mérite une étude per se. Nous nous limiterons ici à la vision des choses telle qu'elle est perçue du temps de la première ecclésia. 13. Littéralement : "Textes statutaires de [l'église] une et orthodoxe". La date à laquelle les textes relatifs aux rites et aux préceptes de l'ecclésia furent réunis sous ce titre demeure incertaine, mais nous savons que le canon uploads/Religion/ le-pacte-de-purete-du-taoisme.pdf
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- Publié le Jul 22, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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