LE SACRE-CŒUR et la Légende du Saint Graal∗ C'est une frondaison aussi - et cha
LE SACRE-CŒUR et la Légende du Saint Graal∗ C'est une frondaison aussi - et charmeuse autant que touffue - celle des vieux mythes qui ont fait la première éducation de l'humanité. Beaux rejets de la tradition primitive, ou belles pousses autonomes de l'esprit humain, ces légendes n'exprimeraient-elles pas à leur façon les traits du Christ que le premier homme dut annoncer à ses fils et que toutes les âmes, d'instinct, attendent ? Monsieur René Guénon voit dans le Graal - la coupe mystérieuse de l'un de nos romans mystiques - une figure du Cœur aimant que « le Seigneur donna un jour à sainte Mechtilde sous le symbole d'une coupe d'or où tous les Saints devaient boire le breuvage de vie » (Le livre de la grâce spéciale, 1re par- tie, ch. XXII, n° 41). Puissent tous les vieux mythes nous faire boire à la doctrine traditionnelle où les amis de Regnabit aimeront à retrouver une pré-manifestation du Cœur de Jésus. FÉLIX ANIZAN. * * * Dans un de ses derniers articles (Regnabit, juin 1925), M. Charbonneau-Lassay signale très juste- ment, comme se rattachant à ce qu'on pourrait appeler la « préhistoire du Cœur Eucharistique de Jé- sus », la légende du Saint Graal, écrite au XIIe siècle, mais bien antérieure par ses origines, puisqu'elle est en réalité une adaptation chrétienne de très anciennes traditions celtiques. L'idée de ce rapproche- ment nous était déjà venue à l'occasion de l'article antérieur, extrêmement intéressant au point de vue où nous nous plaçons, intitulé Le Cœur humain et la notion du Cœur de Dieu dans la religion de l'an- cienne Egypte (novembre 1924), et dont nous rappellerons le passage suivant : « Dans les hiéroglyphes, écriture sacrée où souvent l'image de la chose représente le mot même qui la désigne, le cœur ne fut cependant figuré que par un emblème: le vase. Le cœur de l'homme n'est-il pas en effet le vase où sa vie s'élabore continuellement avec son sang ? » C'est ce vase, pris comme symbole du cœur et se subs- tituant à celui-ci dans l'idéographie égyptienne, qui nous avait fait penser immédiatement au Saint Graal, d'autant plus que dans ce dernier, outre le sens général du symbole (considéré d'ailleurs à la fois sous ses deux aspects divin et humain), nous voyons encore une relation spéciale et beaucoup plus di- recte avec le Cœur même du Christ. En effet, le Saint Graal est la coupe qui contint le précieux sang du Christ, et qui le contint même deux fois, puisqu'elle servit d'abord à la Cène, et qu'ensuite Joseph d'Arimathie y recueillit le sang et l'eau qui s'échappaient de la blessure ouverte par la lance du centurion au flanc du Rédempteur. Cette ∗ « Regnabit » - 5e Année – N° 3-4 – Tome IX – AOUT-SEPTEMBRE 1925. 1 coupe se substitue donc en quelque sorte au Cœur du Christ comme réceptacle de son sang, elle en prend pour ainsi dire la place et en devient comme un équivalent symbolique ; et n'est-il pas encore plus remarquable, dans ces conditions, que le vase ait été déjà anciennement un emblème du cœur ? D'ailleurs, la coupe, sous une forme ou sous une autre, joue, aussi bien que le cœur lui-même, un rôle fort important dans beaucoup de traditions antiques ; et sans doute en était-il ainsi notamment chez les Celtes, puisque c'est de ceux-ci qu'est venu ce qui constitua le fond même ou tout au moins la trame de la légende du Saint Graal. Il est regrettable qu'on ne puisse guère savoir avec précision quelle était la forme de cette tradition antérieurement au Christianisme, ainsi qu'il arrive du reste pour tout ce qui concerne les doctrines celtiques, pour lesquelles l'enseignement oral fut toujours l'unique mode de transmission usité ; mais il y a d'autre part assez de concordances pour qu'on puisse du moins être fixé sur le sens des principaux symboles qui y figuraient, et c'est là ce qu'il y a en somme de plus essentiel. Mais revenons à la légende sous la forme où elle nous est parvenue ; ce qu'elle dit de l'origine même du Graal est fort digne d'attention : cette coupe aurait été taillée par les anges dans une émeraude tom- bée du front de Lucifer lors de sa chute. Cette émeraude rappelle d'une façon frappante l'urnâ, la perle frontale qui, dans l'iconographie hindoue, tient souvent la place du troisième œil de Shiva, représentant ce qu'on peut appeler le « sens de l'éternité ». Ce rapprochement nous semble plus propre que tout autre à éclairer parfaitement le symbolisme du Graal ; et l'on peut même y saisir une relation de plus avec le cœur, qui est, pour la tradition hindoue comme pour bien d'autres, mais peut-être plus nettement en- core, le centre de l'être intégral, et auquel, par conséquent, ce « sens de l'éternité » doit être directement rattaché. Il est dit ensuite que le Graal fut confié à Adam dans le Paradis terrestre, mais que, lors de sa chute, Adam le perdit à son tour, car il ne put l'emporter avec lui lorsqu'il fut chassé de l'Eden ; et cela encore devient fort clair avec le sens que nous venons d'indiquer. L'homme, écarté de son centre originel par sa propre faute, se trouvait désormais enfermé dans la sphère temporelle ; il ne pouvait plus rejoindre le point unique d'où toutes choses sont contemplées sous l'aspect de l'éternité. Le Paradis terrestre, en ef- fet, était véritablement le « Centre du Monde », partout assimilé symboliquement au Cœur divin; et ne peut-on dire qu'Adam, tant qu'il fut dans l'Eden, vivait vraiment dans le Cœur de Dieu ? Ce qui suit est plus énigmatique : Seth obtint de rentrer dans le Paradis terrestre et put ainsi recou- vrer le précieux vase ; or Seth est une des figures du Rédempteur, d'autant plus que son nom même ex- prime les idées de fondement, de stabilité, et annonce en quelque façon la restauration de l'ordre pri- mordial détruit par la chute de l'homme. Il y avait donc dès lors tout au moins une restauration partielle, en ce sens que Seth et ceux qui après lui possédèrent le Graal pouvaient par là même établir, quelque part sur la terre, un centre spirituel qui était comme une image du Paradis perdu. La légende, d'ailleurs, ne dit pas où ni par qui le Graal fut conservé jusqu'à l'époque du Christ, ni comment fut assurée sa transmission ; mais l'origine celtique qu'on lui reconnaît doit probablement laisser entendre que les Druides y eurent une part et doivent être comptés parmi les conservateurs réguliers de la tradition pri- mordiale. En tout cas, l'existence d'un tel centre spirituel, ou même de plusieurs, simultanément ou suc- cessivement, ne paraît pas pouvoir être mise en doute, quoi qu'il faille penser de leur localisation ; ce qui est à noter, c'est qu'on attacha partout et toujours à ces centres, entre autres désignations, celle de « Cœur du Monde », et que, dans toutes les traditions, les descriptions qui s'y rapportent sont basées sur un symbolisme identique, qu'il est possible de suivre jusque dans les détails les plus précis. Cela ne montre-t-il pas suffisamment que le Graal, ou ce qui est ainsi représenté, avait déjà, antérieurement au Christianisme, et même de tout temps, un lien des plus étroits avec le Cœur divin et avec l'Emmanuel, nous voulons dire avec la manifestation, virtuelle ou réelle selon les âges, mais toujours présente, du Verbe éternel au sein de l'humanité terrestre ? Après la mort du Christ, le Saint Graal fut, d'après la légende, transporté en Grande-Bretagne par Jo- seph d'Arimathie et Nicodème ; alors commence à se dérouler l'histoire des Chevaliers de la Table Ronde et de leurs exploits, que nous n'entendons pas suivre ici. La Table Ronde était destinée à rece- voir le Graal lorsqu'un des Chevaliers serait parvenu à le conquérir et l'aurait apporté de Grande- 2 Bretagne en Armorique ; et cette table est aussi un symbole vraisemblablement très ancien, un de ceux qui furent associés à l'idée de ces centres spirituels auxquels nous venons de faire allusion. La forme circulaire de la table est d'ailleurs liée au « cycle zodiacal » (encore un symbole qui mériterait d'être étudié plus spécialement) par la présence autour d'elle de douze personnages principaux, particularité qui se retrouve dans la constitution de tous les centres dont il s'agit. Cela étant, ne peut-on voir dans le nombre des douze Apôtres une marque, parmi une multitude d'autres, de la parfaite conformité du Christianisme avec la tradition primordiale, à laquelle le nom de « préchristianisme » conviendrait si exactement ? Et d'autre part, à propos de la Table Ronde, nous avons remarqué une étrange concor- dance dans les révélations symboliques faites à Marie des Vallées (voir Regnabit, novembre 1924), et où est mentionnée « une table ronde de jaspe, qui représente le Cœur de Notre-Seigneur » ; en même temps qu'il y est question d'« un jardin qui est le Saint Sacrement de l'autel », et qui, avec ses uploads/Religion/ guenon-lesacrecoeur-fr-et-le-st-graal 1 .pdf
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- Publié le Sep 29, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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