– 1 – IL FAUT RAISON GARDER Introduction « Deux excès : exclure la raison, n’ad
– 1 – IL FAUT RAISON GARDER Introduction « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. »1 disait Pascal. Il n’a guère été écouté, semble-t-il. Cette citation est un sujet classique de dissertation. Mais je pense qu’elle mérite beaucoup mieux que cela. Notre réflexion va d’abord porter sur ceux qui excluent la raison, ensuite sur ceux qui n’admettent que la raison. Nous verrons que ceux qui n’admettent que la raison ne sont pour autant pas moins irrationnels que les autres. Une intuition me guide depuis longtemps. Elle me dit que l’on ne peut se permettre d’ignorer aucune des facultés humaines ni rien, d’ailleurs, de ce qui constitue l’ensemble de l’expérience humaine. Il est déjà difficile de ne pas se tromper quand on n’exclut rien, mais on est sûr de s’égarer en excluant quelque chose. Qu’il s’agisse de facultés ou d’expériences, ma critique portera au fond essentiellement sur ce qui est exclu. Mais nous verrons aussi que, pire que l’exclusion, il y a la perversion. Si vous trouverez ce texte un peu trop long, je répondrais que l’usage et les abus que l’on fait de la raison mériteraient un texte bien plus long encore. Quand la raison est ignorée Nous allons commencer par l’Église et ses avatars. Permettez-moi de vous redonner une citation de Tresmontant : « La tendance dominante, aujourd’hui, du côté chrétien, c’est l’irrationalisme, l’anti-intellectualisme, la destruction de la pensée rationnelle, le mépris de la métaphysique et de la théologie. Telle est la mode, telle est la majorité. » 2 Nous pouvons poser deux questions par rapport à cette attitude : 1) Comment ce rejet de la raison est-il justifié ? 2) Cette justification est-elle pertinente ? Ces questions, bien sûr, ne sont guère posées et traitées par ceux qui rejettent la raison. Pourtant, quand on rejette la pensée, il y a au moins quelque chose qui ne devrait surtout pas rester dans l’impensé : c’est pourquoi on rejette la pensée. S’ils rejettent la raison c’est qu’ils croient pouvoir s’appuyer sur d’autres facultés. Ils parlent donc volontiers de foi ou de croyance. Cette foi, ou cette croyance, pouvant servir à justifier des conceptions qui vont carrément à l’encontre de tout ce qui peut paraître raisonnable ou rationnel, et même à l’encontre de toute notre expérience : la résurrection des morts, la trinité, la conception virginale, etc.. Mais de la foi ou de la croyance en quoi est-il question ? En fait, il ne s’agit pas de la foi dans ces conceptions directement, mais de la foi dans les textes sacrés et pour les catholiques également dans l’autorité de l’Église. Dans un certain sens, c’est compréhensible. À partir du moment où l’on admet l’existence de Dieu, il est logique de penser qu’il nous a délivré un enseignement. Lequel d’entre nous laisserait ses enfants sans aucune éducation ? Mais les textes considérés comme sacrés sont tout de même plutôt confus et difficiles à interpréter. La révélation est sérieusement masquée, ce que d’ailleurs disent les textes eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle les catholiques ont imaginé qu’il y avait une catégorie de personnes, composant le magistère de l’Église, choisit par Dieu pour interpréter ces textes. Les protestants n’ont pas – 2 – cette chance (ou cette illusion) et doivent se débrouiller comme ils peuvent pour les comprendre. Après avoir rejeté l’autorité de l’Église, ils ont repris l’essentiel de sa doctrine. Il est tout de même curieux qu’après quelques siècles d’existence les protestants ne soient pas encore aperçus qu’ils ne pouvaient pas à la fois rejeter l’autorité de l’Église et récupérer sa doctrine. S’ils avaient été cohérents, ils auraient dû repartir complètement à zéro. C’est d’ailleurs ce que je propose de faire ici et je crois qu’il serait grand temps. Quoi qu’il en soit, ils devraient réfléchir un peu plus sur ce qu’ils appellent foi ou croyance. Mais la croyance, quoi que ce soit que l’on entende par ce mot, peut-elle être considérée comme un mode de connaissance ? Croit-on jamais autre chose que ce que l’on a envie de croire ? De fait, chez la plupart d’entre nous, la principale raison d’adopter une idée est simplement qu’elle nous convient, qu’elle nous arrange, qu’elle nous rassure. Et quand on n’ont a aucun argument à avancer, on appelle cela “ croyance ”. D’ailleurs, c’est souvent à propos des idées que l’on a avalées avec le biberon. Les idées peuvent engendrer des accoutumances pires que celles des produits chimiques. Mais adopter une idée parce qu’elle nous arrange sans qu’elle soit issue d’un mode de connaissance possible n’est-ce pas de la folie ? On dit que le fou a tout perdu, sauf la raison. Qu’a-t-il donc perdu ? Le réel. Mais en fait il ne l’a pas perdu, il le tient soigneusement à l’écart, et pour cela il a parfois grand besoin de la raison. Nous verrons d’autres exemples. Et au fond, c’est bien toujours de folie qu’il s’agira ici, sous des formes diverses, à des degrés divers. La véritable folie se caractérise toujours par l’exclusion d’une réalité qui dérange. La foi et la raison Parlons maintenant de la foi. Elle aussi, est souvent opposée à la raison. C’est ce que l’on appelle le fidéisme qui consiste à parier sur la foi contre la raison. Toutefois, il faut remarquer que cette attitude ne fut jamais celle de l’Église. Le fidéisme y a toujours été combattu officiellement. L’Église a voulu marier la foi et la raison, mais à condition que ce soit la foi qui ait toujours raison. La raison n’est pas ignorée dans l’Église, mais elle est réduite à l’esclavage. Elle l’encadre et cherche à la stériliser de son pouvoir subversif. En fait, bien que l’Église affirme détenir la vérité, elle a peur de la vérité. Et elle a peur que la raison dévoile ses illusions. Voici ce que dit Gopi Krishna : « Ceux qui craignent une analyse minutieuse de la religion et des croyances transcendantes par peur d’une éventuelle profanation engendrent eux-mêmes une catastrophe qu’ils redoutent tant. Si la foi n’est qu’une simple bulle, prête à éclater d’une simple pichenette, il serait mieux de la percer le plus vite possible, plutôt que de la laisser ainsi comme une masse vide de pensées vaporeuses susceptibles d’exploser d’un moment à l’autre. »3 Au moyen-âge on disait que la raison est la putain du diable. Mais l’Église, en asservissant la raison à la foi, en a fait aussi une putain. La raison peut être utilisée de façon très perverse, par exemple en cherchant à embrouiller. Marx le savait très bien puisqu’il disait : « Avec un peu de dialectique on s’en tire toujours. » C’est aussi juste que pervers. Comment peut-on s’en tirer si facilement ? Il suffit d’une seule phrase pour prononcer une sottise. Mais il faut souvent bien plus de temps et plus d’intelligence pour démontrer que c’en est une. Ainsi, celui qui pervertit la raison a un avantage certain sur celui qui est honnête. Les petits malins comme Marx ne manquent pas d’en profiter. Mais l’honnêteté consiste à savoir reconnaître ses torts et de ne pas essayer de s’en tirer à tout prix. Mais évidemment, quand la révolution est en marche, on a tous les droits. On a vu les résultats. En – 3 – passant, cette mauvaise foi empêche peut-être d’exempter Marx de ce qui s’est passé après lui. Marx aussi en a fait une putain. C’est également la putain des rationalistes, comme nous le verrons. C’est normal, une putain est la putain de tout le monde. Mais personne n’est obligé de s’en servir comme d’une putain. Ainsi, pour raison garder, il faut d’abord garder une intention pure. Mais on peut en soupçonner d’autres encore, et parmi les plus grands. Tout au moins, les plus grands intellectuellement, ce qui ne veut pas forcément dire grand-chose. Kant expose très clairement ses intentions : « J’ai dû limiter le savoir pour faire place à la foi. » 4 S’il est tout à fait légitime de chercher à tracer rationnellement les limites de la raison, comme il l’a fait, il ne l’est pas d’utiliser la raison pour dérouler un tapis rouge à la foi. La démarche de Kant devient extrêmement suspecte. Kant aussi a donc fait de la raison une putain. Par cette phrase, Kant nous montre qu’il ne semble pas avoir très bien compris en quoi consiste la philosophie. En effet, c’est fichu d’avance quand, dans une démarche rationnelle, le but est fixé. Bien qu’il soit considéré comme un philosophe des Lumières, on peut se demander s’il n’était pas toujours dans une attitude analogue à celle de la scolastique puisqu’il mettait la raison au service de la foi. Philosopher est peut-être une question de courage plus que d’intelligence Philosopher est une démarche critique qui consiste à se poser en premier lieu la question de la validité des notions fondamentales auxquelles on attribue un sens. Il est très clair depuis longtemps que nous avons une très fâcheuse tendance à accepter les idées de la société dans laquelle nous vivons. La philosophie commence, me uploads/Religion/ il-faut-raison-garder.pdf
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- Publié le Jul 30, 2022
- Catégorie Religion
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