Insertion d’Apollon dans des réseaux divins. Réflexions à partir de dédicaces d
Insertion d’Apollon dans des réseaux divins. Réflexions à partir de dédicaces de militaires Apollon en réseaux dans des dédicaces de militaires stationnés à Rome 3Parmi les inscriptions de l’Vrbs qui mettent Apollon en réseaux avec d’autres divinités, une série de dédicaces de prétoriens et d’equites singulares Augusti fournit un échantillon utile à qui souhaite interroger les apports et les limites de l’épigraphie à l’interprétation des systèmes de relations et d’interactions entre les dieux. Ces inscriptions nous renseignent toutefois moins sur le réseau divin d’Apollon, qui n’est qu’une des nombreuses divinités honorées, que sur les réseaux divins que les membres de la garde impériale choisissaient d’invoquer. • 4 CIL, VI, 32550 (= 2822). 4L’une de ces dédicaces fut offerte dans les années 238-244 p.C. par deux prétoriens issus de Gaule Belgique4 : Diis [san]ctis patrie[nsi]bus / I(oui) [O(ptimo)] M(aximo) et Inuict[o e]t A[p]ollini Mercurio Dianae He[rc]uli Marti // ex prouincia Belgica [ciues Aug(ustae)] V<i=E>romand(uorum) / Iul(ius) Iustus mil(es) coh(ortis) I praet(oriae) p[iae uindic]is Gordianae / > (centuria) Val[entis] et // Firmius Mater[nianus mil(es) coh(ortis)] X pr[aet(oriae)] / piae uindic[is Gordianae ---]da[… • 5 Trad. Colling 2010, 220. “Aux vénérables dieux de la patrie, à Jupiter Très Bon, Très Grand, et à Inuictus, et à Apollon, Mercure, Diane, Hercule et Mars ; les citoyens d’Augusta Viromanduorum, de la province de Belgique, Iulius Iustus, soldat de la Ière cohorte prétorienne Gordienne pieuse et protectrice, dans la centurie de Valens, et Firmius Maternianus, soldat de la Xe cohorte prétorienne Gordienne pieuse et protectrice dans la centurie de…”5 • 6 Fut retrouvée en même temps une autre dédicace votive de ces deux prétoriens (CIL, VI, 32551 = 28 (...) • 7 En ce sens, à juste titre, Colling 2010, 222-223. Sur les dii patrii, voir Bendlin 2000. • 8 Van Andringa 2017, 156 ; id. 2002, 141. 5Retrouvée sur l’Esquilin en 18756, l’inscription est accompagnée d’un important décor en bas-relief représentant les divinités bénéficiaires de la dédicace, dans un ordre légèrement différent de l’inscription : Mars, en particulier, est représenté à l’extrême gauche du registre supérieur du décor, alors qu’il clôt l’énumération des dieux dans le texte de l’inscription. Quant à l’énumération des bénéficiaires divins, elle s’ouvre sur un groupe de dédicataires non représenté sur le bas-relief, les dii sancti patrienses (“vénérables dieux de la patrie”). Il convient certainement d’y reconnaître les dii patrii7, “chargés d’une connotation identitaire et collective”8, c’est-à-dire les dieux de la “petite” patrie – Augusta Viromanduorum, d’où nos deux prétoriens sont originaires. Fig. 1. Roma, Musei Capitolini, Nuovo catalogo epigrafico 479. Agrandir Original (jpeg, 688k) Dimensions du monument (marbre) : 60 x 47 x 10 cm. CIL, VI, 32550 (= 2822) ; Imagines Roma I, 2200. © M. Clauss • 9 Durry 1938, 320-323. • 10 Colling 2010, 225. • 11 Derks 1998, 107-110 ; Roymans 2009, 221-223 ; Van Andringa 2017, 156-158 et 166-167. • 12 Raepsaet-Charlier 2006b, 48 et 58-59 (tableau 1). 6La présence, parmi les dédicataires, de Jupiter, Mars, Hercule et Inuictus, quatre divinités militaires, n’a rien d’étonnant dans une dédicace de soldats romains. Les dédicaces personnelles de prétoriens à Mars n’étant toutefois pas fréquentes9, on a parfois cherché à expliquer sa présence ici par une habitude cultuelle propre aux ressortissants des provinces gallo-romaines du Nord, d’où proviennent les deux prétoriens10. Quand bien même cette fragile hypothèse serait fondée, il ne faudrait pas oublier que ce fut moins en référence à une divinité gauloise antérieure que pour les liens entre Mars, la légende romuléenne et les Iulii que de nombreuses cités gauloises choisirent cette divinité, au début de l’époque impériale, pour représenter leur nouvelle identité11. Aucun particularisme iconographique, toutefois, ni aucune épithète cultuelle ne trahissent ici un quelconque caractère indigène de Mars, contrairement à l’usage de ses dévots en Gaule Belgique, qui associaient fréquemment à cette divinité une épiclèse locale12. Le détour interprétatif par la province d’origine des deux prétoriens ne semble donc pas nécessaire pour expliquer le choix de deux membres de la garde impériale d’honorer, à Rome, le dieu de la guerre par excellence. • 13 Sol, dans une énumération, par un procurateur, de dédicataires divins, à Sarmizegetusa (AE, 1977, (...) • 14 CIL, VI, 2821 : voir supra, n. 6. • 15 En revanche, on ne suggérera pas, comme D. Colling (2010, 225-226 et n. 35), d’identifier ce dieu (...) 7L’absence du nom de la divinité désignée par l’épithète Inuictus a également intrigué les Modernes – qu’il se soit agi d’un choix des dédicants ou, comme le laisse penser le soin apporté à la réalisation de la liste des bénéficiaires divins, d’un oubli du lapicide. A priori, on aurait pu imaginer qu’Inuictus se rapporte à Jupiter Optimus Maximus ; cependant, ce dernier ne semble jamais désigné de la sorte. Quant aux divinités “invaincues” qui sont associées à Jupiter Optimus Maximus dans d’autres dédicaces, celles-ci sont peu nombreuses. On trouve, notamment dans des dédicaces émanant de soldats ou d’officiers, Sol, Hercule et Mars13. Étant donné que le premier est présent dans la liste des bénéficiaires d’une autre dédicace de nos deux prétoriens14, il paraît logique de reconnaître Sol dans le dieu Inuictus de notre inscription15. • 16 Colling 2010, 226, s’appuyant sur Durry 1938, 323 (où il n’est pas question d’Apollon). • 17 CIL, VI, 31141 (Roma, Museo Nazionale Romano, Terme di Diocleziano, Inv. 78170). 8La présence d’Apollon, de Mercure et de Diane aux côtés de ces divinités militaires semble avoir posé davantage de problèmes aux chercheurs. D. Colling, en particulier, n’en donne aucune explication, se contentant de souligner la rareté des invocations de prétoriens à leur égard16. Un étonnement similaire a été suscité par l’insertion d’Apollon et de Diane dans la liste des bénéficiaires d’une série de dédicaces votives offertes par des equites singulares Augusti le jour de leur démobilisation – datables, pour neuf d’entre elles, des années 132-141 p.C. Même si Hercule et Fortuna sont régulièrement insérés entre Victoria et Mercure, la liste des bénéficiaires divins, parfois conclue par la formule ceterisq(ue) dis immortalib(us), se moule dans un formulaire type, à l’instar de la dédicace collective des equites singulares Augusti libérés en 133 p.C. Cette dédicace occupait la face principale d’un autel de marbre, dont les deux faces latérales portaient la liste des dédicants, non reproduite ici17 : Ioui Optimo / Maximo, Iunoni, / Mineruae, Marti, / Victoriae, Mercurio, / Felicitati, Saluti, / Fatis, / Campestribus, / Siluano, Apollini, / Dianae, Eponae, Matribus / Suleuis et Genio / Singularium Aug(usti). / Veterani, missi honesta / missione, ex eodem / numero ab / Imp(eratore) Traiano Hadriano / Aug(usto), p(atre) p(atriae) ; / l(aeti) l(ibentes) m(erito) u(otum) s(oluerunt). / Hibero et Sisenna co(n)s(ulibus). • 18 Trad. Colling 2010, 231-232. “À Jupiter, Très Bon, Très Grand, à Junon, à Minerve, à Mars, à Victoria, à Mercure, à Felicitas, à Salus, aux Fata, aux Campestres, à Silvain, à Apollon, à Diane, à Épona, aux Matres Suleuiae, et au Génie des (equites) singulares Augusti ; les vétérans libérés de ce même numerus avec le congé honorable par l’Empereur Trajan Hadrien Auguste, Père de la Patrie, se sont acquittés de leur vœu volontiers et à juste titre, sous le consulat d’Hiberus et de Sisenna.”18 • 19 Scheid 2002-2003, 807. 9Dans son cours au Collège de France de 2002-2003, consacré à la vie religieuse dans les quartiers de la Rome impériale, J. Scheid analyse comme suit le réseau de divinités honorées : après la triade capitoline et les divinités militaires (Mars, Victoria, Hercule), les soldats invoquent successivement une divinité associée aux déplacements (Mercure) ; les divinités liées aux hasards de l’existence et du métier (Fortuna, Felicitas et Salus, “qui exprime le résultat de la protection de toutes ces divinités”) ; les Fata ou Fatae ; les divinités du champ d’exercice (Campestres) ; le dieu des terres marginales (Siluanus) ; Apollon et Diane “dont la présence surprend, mais peut être due à l’implication ancienne d’Apollon dans la guerre” ; des divinités d’origine celtique (Épona, déesse associée à la cavalerie, et les Suleuiae) ; enfin, le Genius singularium Augusti, c’est-à-dire la divinité propre aux equites singulares Augusti19. Même si une explication est ici proposée – “l’implication ancienne d’Apollon dans la guerre” –, la présence d’Apollon et de Diane ne paraît pas aller de soi pour les Modernes. Dans son étude de 2010, D. Colling marque à son tour son étonnement : • 20 Colling 2010, 236. “Arrivent ensuite Apollon et Diane. Si l’association de ces deux divinités est typique, on peut, par contre, se poser la question de savoir pourquoi elles apparaissent dans une dédicace collective d’equites singulares Augusti”20. • 21 Gagé 1955, 69-113. • 22 Dumézil 1982, 36-42 (Esquisse 3 : “Apollo Medicus”) et 155-163 (Esquisse 16 : “Les grands blessés (...) • 23 Gagé 1955, 282-284 (sur la fondation “uictoriae, non ualetudinis causa” des ludi Apollinares). Su (...) 10De fait, la nature militaire de l’inscription cadre assez mal avec le champ de compétence habituellement reconnu à l’Apollon romain, à savoir non pas la guerre, mais la médecine. C’est en effet d’abord comme medicus qu’Apollon intéressa la Res publica, qui introduisit son uploads/Religion/ insertion-d-x27-apollon-dans-des-reseaux-divins-03.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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