L’esprit et la pratique de la méditation hésychaste Par Jean-Yves Leloup D’aprè

L’esprit et la pratique de la méditation hésychaste Par Jean-Yves Leloup D’après une vidéo réalisée par «Les Odyssées de la Conscience» Février 2022 Introduction Si je dis que je connais Dieu, je suis un menteur, si je dis que je ne connais pas Dieu, je suis un menteur. Je ne peux pas parler et je ne peux pas me taire, comment faire ? Si je dis que je connais Dieu, je suis un menteur car Dieu est inconnaissable, irreprésentable. Tout ce qu’on dit de Lui n’a rien à voir avec Lui, ce sont des représentations, des images, c’est ce que notre perception intellectuelle, affective peut en saisir, mais Il est au-delà de tout, tout ce qu’on peut penser, imaginer. Et en même temps si je dis que je ne connais pas Dieu, c’est aussi un mensonge parce que le simple fait de respirer, de penser, d’aimer, c’est participer à son Être et à sa vie. C’est pour cela que dans les traditions on emploiera souvent le symbole, les images, la poésie, des mots qui sont pleins de silence, des images qui laissent de l’espace à l’invisible. On ne dit rien et on dit quand même quelque chose. C’est aussi rejoindre la grande tradition orthodoxe qui affirme dans un même mouvement le caractère ineffable de la déité, sa transcendance et en même temps la certitude de l’expérience. Dieu est au-delà de tout ce qu’on peut en savoir, en penser, et en même temps c’est une expérience : sens de la transcendance et sens du réalisme de l’expérience, tenir les deux ensemble. La tradition orthodoxe est donc une tradition apophatique ; le mot apophase qui s’oppose à ce qu’on appelle la cataphase : Dieu est ceci, Dieu est cela, Dieu est infiniment beau, infiniment grand... Et l’apophase, neti, neti, ce n’est pas cela, ce n’est pas cela. Et les mots pour parler de Lui sont d’ailleurs des termes négatifs : infini ça veut dire non fini, éternel qui n’est pas dans le temps, ineffable, innommable...On ne dit jamais ce que Dieu est, mais on dit ce qu’il n’est pas. Il n’y a aucune parole positive possible, même le mot amour. Maître Eckhart à la suite des Pères du Désert affirmait : si vous dites que Dieu est amour vous blasphémez ! Vous me direz mais c’est écrit ! Maître Eckhart faisait simplement remarquer que Dieu n’est pas amour tel que nous le pensons, nous l’imaginons, ce serait une pauvre idole ; Il est au-delà de tout ce qu’on peut penser et imaginer. Il y aurait beaucoup de textes à citer des Pères de l’Église, je pense à Saint Justin par exemple dans les années 100 de notre ère quand il disait que les termes Père, Dieu, Créateur, Seigneur, ne sont pas des noms divins, ce sont des appellations tirées de ses bienfaits et de ses œuvres. Dieu, on ne peut pas dire ce qu’Il est, seulement ce qu’Il n’est pas. Un des grands penseurs de cette théologie apophatique c’est Denys le Théologien, et celui-ci fait la synthèse de cette approche du Réel : Dieu n’a pas de nom et Il a tous les noms. Il n’est rien de ce qui est et Il est en tout ce qui est. On ne le connaît que par l’inconnaissance ; toute affirmation, comme toute négation reste en deçà de sa transcendance. En résumé, Il est le mystère qui est au-delà même de Dieu, Celui que tout nomme, l’affirmation totale, la négation totale, l’au-delà de tout affirmation et de toute négation. L’apophase ainsi n’est pas seulement une théologie négative, c’est au-delà même de la négation, au-delà de l’affirmation, au-delà de la négation. Et la réalité absolue est au-delà du fonctionnement duel de l’esprit. On le sait mieux aujourd’hui, notre cerveau fonctionne en binaire : y aurait-il une autre façon d’utiliser notre cerveau pour appréhender cette réalité ? Donc l’apophase, c’est l’appréhension directe du réel tel qu’il est, sans que l’appareil psycho-mental entre en Page 2 fonction, sans qu’il s’y projette et le déforme. C’est voir sans yeux et comprendre sans esprit, et si ce n’est que le semblable qui peut comprendre le semblable, il faut être devenu Dieu pour comprendre Dieu, c’est d’ailleurs ce que nous dit la première épître de Saint Jean : nous connaîtrons Dieu lorsque nous lui seront devenus semblables et nous Lui seront semblables puisque nous le verront tel qu’Il est. Tel qu’il est c’est à dire pas tel que nous le pensons, nous nous l’imaginons, nous nous le représentons, mais tel qu’Il est. Tout ce que nous pensons, tout ce que nous savons, c’est de la pensée, de la conception humaine. L’apophase nous conduit au-delà de ces conceptions, dans l’appréhension simple et directe du réel. Donc il y y a la fois l’affirmation de la transcendance, une attitude on pourrait dire iconoclaste à l’égard de tout ce qui se présente comme étant une affirmation ou une négation à propos de l’Être ultime et en même temps, il s’agit bien d’entrer dans une expérience et cela va donner chez ces hommes qui transmettent cette tradition ce curieux mélange d’humilité et de majesté. L’humilité parce qu’on ne peut que transmettre son ignorance, son ignorance de l’absolu : tout ce que nous connaissons de l’absolu c’est toujours relatif, c’est toujours un être relatif qui en parle. Donc il ne s’agit pas d’idolâtrer une perception relative de l’absolu, d’où l’humilité de ceux qui transmettent et en même temps une majesté, parce qu’il y a là une réalité vécue, un souffle, une présence, et cette présence, c’est celle-là même de notre dignité d’êtres humains. Nous sommes des maisons pour abriter le vent. L’homme n’est pas le tombeau de l’âme mais il est le temple de l’esprit. Que ce soit son corps, son psychisme, sa pensée, tout est infiniment précieux, non pas en soi, mais parce que c’est là le lieu, le réceptacle, c’est là le lieu d’incarnation, de manifestation de la présence. Transmettre une ignorance, témoigner d’une expérience. L’esprit de la méditation hésychaste Dans la tradition chrétienne, il y a deux lignées de transmission : la transmission que l’on appellera apostolique, chaque apôtre est à l’origine d’une église : Jacques l’Église de Jérusalem, Jean l’Église d’Ephèse, Thomas, Madras en Inde, Pierre et Paul, Antioche puis Rome. A l’origine de chaque Église il y a un apôtre qui transmet ce que lui-même a reçu du Christ, de son enseignement et les rites nécessaires à cette transmission. Donc il y a une lignée que l’on pourrait dire institutionnelle. A l’origine, l’Église est une communauté d’Églises et chaque Église fondée sur un apôtre transmet les informations, les actes, les miracles, le témoignage de la mort et de la résurrection de son Enseigneur et quelques fois avec des textes, des rituels très différents. Ce qu’on découvre aujourd’hui à Nagamadi ou dans d’autres lieux nous rappelle cette grande richesse des origines du christianisme. Je crois que le christianisme est encore une religion inconnue, d’autant plus inconnue que nous croyons la connaître, mais nous savons peu de choses de nos origines, de tous ces évangiles, de tous ces textes ; parmi les textes attribués à des hommes, il y a aussi un texte Page 3 attribué à une femme comme Myriam de Magdala qui nous transmet un autre regard sur le Christ. Donc à côté de cette lignée apostolique, il y a aussi une lignée plus secrète, c’est la transmission de mon cœur à ton cœur, de mon souffle à ton souffle, c’est la transmission de la prière intérieure, et là il faut remonter au Christ lui-même lorsqu’Il transmet à la Samaritaine, la prière en pneumati kai alètheia. Les disciples avaient déjà demandé à Jésus comment prier et Il leur avait transmis le Nôtre Père, le Nôtre Père qui est comme un résumé de toute la prière juive : chacune des paroles du Notre Père récapitule toute cette grande tradition de la prière juive. On pourrait dire que c’est une prière d’homme, une prière officielle qui se fait dans le temple, dans le lieu même de l’institution. Tandis que la prière qu’Il va transmettre à cette femme se fait dans le silence, dans le souffle. Et quand la Samaritaine lui demande où faut-il prier, où faut-il adorer ? sur cette montagne, ou à Jérusalem ? C’est toujours notre question d’ailleurs, où est la vraie religion, ou est le vrai temple ? faut-il adorer au sommet de cette montagne, dans cette église ? dans ce temple, dans cette mosquée, dans ce zendo ? quel est le lieu le plus sacré ? le lieu où la vérité pourrait reposer ? faire sa demeure ? Et la réponse du Christ il y a deux mille ans, comme aujourd’hui est toujours la même : ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, ni dans ce temple, ni dans cette église, ni ici, ni là. Dieu, la vérité, la lumière, le réel, nul ne peut en devenir le propriétaire. La claire lumière n’est pas la propriété des Bouddhistes, le pur amour n’est pas la propriété des Chrétiens. Le uploads/Religion/ jyleloup-odyssees-de-la-conscience-pdf.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Sep 13, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2167MB