Jean Daniélou Le symbolisme de l'eau vive In: Revue des Sciences Religieuses, t
Jean Daniélou Le symbolisme de l'eau vive In: Revue des Sciences Religieuses, tome 32, fascicule 4, 1958. pp. 335-346. Résumé Le thème de l'eau vive tient une place importante dans la liturgie chrétienne ancienne. L'expression doit être interprétée non seulement comme « eau courante » mais comme « eau où la vie peut se développer ». Elle est en relation en ce sens avec le symbolisme du poisson. Le point de départ de cet ensemble est : Ezéchiel XLVII. Citer ce document / Cite this document : Daniélou Jean. Le symbolisme de l'eau vive. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 32, fascicule 4, 1958. pp. 335-346. doi : 10.3406/rscir.1958.2201 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rscir_0035-2217_1958_num_32_4_2201 LE SYMBOLISME DE L'EAU VIVE Oscar Cullmann a noté, à propos de l'expression « eau vive », p Cûv, que le mot pouvait avoir quatre significations. Au sens profane il désigne l'eau de source par opposition à l'eau stagnante. Au sens rituel il désigne l'eau baptismale. Au sens biblique il désigne Dieu comme source de vie. Enfin au sens chrétien il symbolise l'Esprit Saint (1). Ces divers sens ne sont pas nécessairement liés. Toute allusion à l'Esprit Saint comme eau vive n'a pas nécessairement une résonance baptismale. La désignation du baptême comme eau vive ne signifie pas nécessairement qu'il soit donné dans une eau courante. Il reste cependant qu'entre ces divers sens il y a des liaisons normales. Le symbolisme de l'eau vive est en dépendance du sens profane et primitif du mot : ceci est un point fondamental de toute étude sérieuse du symbolisme. Par ailleurs le symbolisme de l'eau vive a pu être déterminant pour un usage rituel. Et réciproquement l'usage rituel a contribué à développer le symbolisme théologique. Notre étude tiendra donc compte de ces différents aspects. Toutefois nous n'oublierons pas que notre objet principal est la symbolique de Feau vive. Et donc les autres éléments que nous apporterons seront destinés à en faciliter l'intelligence. (1) Les sacrements dans l'Evangile johannique, p. 22. 336 J. DANIÉLOU Nous commencerons par quelques remarques sur l'usage rituel. On connaît le célèbre passage de la Didachè : « Au sujet du baptême baptisez ainsi au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, dans l'eau vive (èv oBaxt Çwvti) » (VII, 1). J.-P. Audet rattache ce passage à la rédaction primitive. Ce qui suit — et qui concerne l'usage d'autres formes d'eau, à défaut d'eau vive — vient de l'interpolateur, mais sans pour autant être beaucoup plus tardif (2). L'usage indiqué par la Didachè est confirmé par d'autres textes archaïques. Le Nouveau Testament ne contient pas d'attestations explicites. Mais la Tradition Apostolique parle d'une « eau courante et pure » pour le baptême. Le caractère judéo-chrétien et archaïque de l'usage est attesté par les Homélies et les Reconnaissances pseudo-clémentines (Rec, IV, 67; VI, 15). (3). On remarquera que l'expression « eau vive » peut s'appliquer à des réalités diverses. Elle désigne avant tout l'eau de source ; mais elle peut désigner aussi l'eau d'un ruisseau ou d'un fleuve. Par ailleurs les écrits pseudo-clémentins nous montrent des baptêmes fréquents dans la mer. Enfin Klauser a montré que l'eau vive pouvait aussi être l'eau amenée par une canalisation à jaillir dans un bassin. (4). Ceci a dû être le cas le plus fréquent, ainsi que l'atteste le baptistère du Latran où l'eau jaillissait de la bouche de sept cerfs de bronze. L'usage rituel de l'eau vive relève d'un contexte très étendu. On le retrouve dans les religions gréco-romaines. Mais plus particulièrement il apparaît dans le judaïsme. Déjà l'Ancien Testament en fait mention dans le Lévitique (XIV, 5) pour les purifications. Mais surtout le judaïsme contemporain du Christ atteste l'importance donnée à des rites où l'eau vive joue un rôle capital. Les Mandéens font de l'eau vive le rite essentiel (Ginza, II, 1, 180). Jean-Baptiste baptise dans le Jourdain. Sib., IV, 165, ordonne de baigner tout son corps dans des « fleuves d'eaux vives ( dsvdototv ) ». Les Elkasaïtes recommandent contre la rage un bain « à un fleuve ou à une source abondante» (Elench., IX, 15, 4). Le baptême des prosélytes juifs a lieu dans l'eau vive (Jeb., 47). Et l'eau vive est recommandée pour les purifications (5). (2) La Didachè. Instructions des Apôtres, p. 358-367. (3) Voir J. Daniêlou, Théologie du Judéo-Christianisme, pp. 378-379. (4) Voir T. Klauser, Taufet in lebendigem Wasser, dans Pisciculi, pp. 157-160. (5) Voir J. Thomas, Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie, LE SYMBOLISME DE L'EAU VIVE 337 Ainsi le contexte rituel de l'eau vive est-il celui du judéo-christianisme. Et il apparaît lié à celui-ci. Mais à ce contexte rituel s'ajoute un contexte théologique. L'eau vive est dans l'Ancien Testament un symbole de Dieu comme source de vie. Ainsi dans Jérémie, II, 13 : « Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive ( oSa-coc Cwyjt; ) ». Le Cantique des Cantiques parle du « puits d'eau vive » (SSwp £ô>v) dans un sens sans doute symbolique (IV, 19). Cette eau vive désigne dans Ezéchiel et Zacharie l'effusion eschatologique de la vie de Dieu. Citons Zacharie, XIV, 8 : «Une eau vive (S8a>p Çwv) sortira de Jérusalem ». Mais plus particulièrement cette effusion d'eau vive eschatologique est mise en relation avec l'Esprit Saint. Ceci apparaît déjà dans Ezéchiel XXXVI, 25-27. La relation du baptême d'eau et du baptême d'Esprit Saint à propos de Jean-Baptiste (Mth., III, 11) paraît bien se rapporter à Ezéchiel, qui distingue aussi les deux moments et rapporte l'eau à la purification préalable au don de l'Esprit (6). Ce lien se retrouve dans le Manuel de discipline de Qumrân (IV, 20). Toutefois un autre texte de Qumrân paraît assimiler plutôt l'eau vive à la Thora, ce qui se retrouve dans le Talmud (7). C'est YHymne O (col. 8), où le Maître de Justice est présenté comme donnant l'eau vive (8) : Je te rends grâce, ô Adonaï Car tu m'as placé comme une source de fleuve dans une terre desséchée et un jaillissement d'eau dans une terre aride. Plus loin, il est question de Rejeton dont la source aura accès aux eaux vives et elle deviendra une fontaine éternelle. Puis il est dit que II ne s'abreuvera pas à la source de vie. Et On a pensé sans croire à la Source de vie. Enfin les élus couleront comme des fleuves aux eaux permanentes. C'est par ma main que tu as ouvert leur fontaine. L'Evangile de Jean hérite de la symbolique de l'eau vive. Il est le seul auteur du N. T. qui présente l'expression u8wp £ô>v. Un pre- (6) Lampe, The Seal of the Spirit, p. 28. (7) STHACK-BlLLERBECK, II, pp. 433-436. (8) J'utilise la traduction de M. Dupont-Sommer. 338 J. DANIÉLOU mier passage est l'épisode de la Samaritaine : « Si vous saviez le don de Dieu, c'est vous qui lui auriez demandé et il vous aurait donné de l'eau vive ( SScop Swv ). fille lui dit : Seigneur, vous n'avez rien pour puiser et le puits est profond. D'où avez-vous donc de l'eau vive ( Êtôwp £û)v ) ? Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif. Mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; bien plus l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau vive ( o&ojp Çwv ) pour la vie éternelle » (IV, 10-14). On peut remarquer, avec le P. Braun(9), que l'opposition du puits de Jacob et de l'eau vive donnée par le Christ peut marquer l'opposition de la Loi et de l'Evangile, car le puits de Jacob désigne la Loi dans le Document de Damas (VI, 4) et d'autre part l'eau vive est un symbole de la Loi. Le rapprochement avec l'Hymne 0 est frappant. D'autre part Saint Jean cite la phrase du Christ : « Si quelqu'un a soif qu'il vienne à moi et qu'il boive, celui qui croit en moi. Comme dit l'Ecriture : Des fleuves d'eau vive ( 88<op £«>v ) jailliront de son sein. Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (VII, 37-39). Dans ce passage l'eau vive est un symbole de l'Esprit Saint. On remarquera que ceci est un commentaire de Jean et relève de sa théologie. Ce symbolisme reparaît dans la finale de Y 'Apocalypse : « Puis il me montra un fleuve d'eau de la vie ( (fôœp Ooijç) jaillissant du trône de Dieu et de l'Agneau » (XXII, 1). Nous avons vu par ailleurs que le Manuel de discipline est le premier texte où l'eau vive apparaisse directement associée à l'Esprit Saint. Chez Ezéchiel et Jean-Baptiste, ils sont dissociés comme deux moments. Nous penserions donc que la symbolique de l'eau vive comme symbole de l'Esprit Saint est proprement johannique et dépend chez Jean de la théologie de Qumrân. Mais il reste encore une dernière remarque à faire. Il est vraisemblable, comme l'a suggéré Cullmann (10), que les deux textes de Jean que nous avons mentionnés ont des résonances sacramentaires. C'est l'effusion baptismale de uploads/Religion/ j-danielou-le-symbolisme-de-l-x27-eau-vive 1 .pdf
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- Publié le Fev 26, 2021
- Catégorie Religion
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