L'IDEE DU BEAU DANS LA PHILOSOPHIE DE S A I N T T H O M A S D ' A Q U I N PAR ï

L'IDEE DU BEAU DANS LA PHILOSOPHIE DE S A I N T T H O M A S D ' A Q U I N PAR ï». V A L L E T PRÊTRE DE SAIMT-SULPICE P R O F E S S E U R DE P H I L O S O P H I E AU S É M I N A I R E D*ISSY DEUXIEME EDITION R E V U E , C O R R I G É E E T A U G M E N T É S « Ratio pnlchri consïatit in quadam consonantia diversoram. » (S. THOMAS, Opasc. de Pulchro.) « Palchritudo habet claritatem. » (S. TH., in I Sent., dist. 31, q. î,a. I. PARIS MAISON JOUBY ET ROGER A. ROGER ET F. CHERNOVIZ, ÉDITEURS Libraires de la Faculté de Théologie de Parii 7, RUE DES GRÀNDS-AUGUSTINS, 7 Biblio!èque Saint Libère http://www.liberius.net © Bibliothèque Saint Libère 2010. Toute reproduction à but non lucratif est autorisée. L'IDÉE DU BEAU D A N S LA P H I L O S O P H I E DE SAINT THOMAS D'AQUIN DU MÊME AUTEUR PR/ELECTIONES PHILOSOPHIOE, ad mentem sancti Thomœ in Sancti Sulpitii seminario habitée. 2 volumes in-12, beau papier, 5 e édition. Prix : 7 fr. Ouvrage spécialement recommandé par S. 5. Léon XllJ, HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. Un volume in-12,3 e édition. Prix : 4 fr. LA T Ê T E ET LE COEUR, étude physiologique, psychologique et morale. Un volume in-12. Prix : 2 fr. 50. LE KANTISME ET LE POSITIVISME, étude sur les fon- dements de la connaissance humaine. Un volume in-12. Prix ; 2 fr. 50. BESANÇON.— IMPR. OUTHENIN-GHALANDRE FILS ET C !". INTRODUCTION I. Le pouvoir des idées est immense. Elles éclairent la plus haute faculté de l'homme, la raison, répondent au plus noble de ses besoins, le besoin de connaître et de savoir. Par la raison elles agissent sur la volonté et passent de la spéculation dans la pratique. Leur silencieuse et infatigable activité embrasse tout : la conscience et l'opinion publique, l'éducation et les mœurs. Elles font à leur image l'individu et la société. Puisées à des sources pures, elles sont lumière et vie; détournées de la vérité, elles'conduisent l'esprit et le cœur à une mort certaine. Or, de toutes les idées qui passionnent les hommes, une des plus attachantes et enjmême temps des plus fécondes, est sans contredit l'idée du beau. Idée populaire autant que scientifique, élevée autant qu'attrayante. Elle nous fait jouir de la plus douce vision, et les sentiments qu'elle excite en notre âme comptent parmi les plus purs et les plus désintéressés. L'idée du beau est accessible à toutes les intelligences. Pour le plus grand nombre, s'élever jusqu'à la science est impossible; les observations délicates et patientes, les spé- culations abstraites sont le propre de quelques natures privilégiées. Aucune âme si déshéritée, si ensevelie, qui ne puisse discerner le beau, qui ne tressaille, mise en face do lui. Ajoutez que l'idée du beau tient par un lien étroit aux plus grandes, aux plus hautes idées, à l'idée de vrai, de bien, d'ordre, d'harmonie, de perfection. Ajoutez que, seule entre toutes, elle s'adresse à, tout l'homme à la fois, aux sens, à l'esprit et au cœur, au corps et à l'âme. Le vrai, alors même qu'il a été trouvé à l'aide des sens, ne parle qu'à l'intelligence : il est abstrait de sa nature, il ne res- plendit pas à travers une forme sensible. Le bien ne parle qu'à la volonté; il lui tient un langage toujours noble, mais plus d'une fois dur à entendre et d'une rigueur impitoyable à la pauvre sensibilité. Car le bien, c'est souvent le devoir, et le devoir, qui ne Ta éprouvé en lui-même? c'est presque toujours le sacrifice. Tout cela lui enlève, à nos yeux du moins, une partie de son prix et de son éclat. Au contraire, la contemplation du beau n'a que des charmes ; elle délasse, repose, réjouit. Ne craignez point qu'elle vienne émousser la pointe de l'intelligence, énerver la force de la.volonté. Sans doute, le beau soumet l'âme â l'attrait d'un plaisir vivement senti, et le plaisir, alors même qu'il coule d'une source pure, peut dégénérer en tentation. Mais cette tentation n'en est point une conséquence nécessaire, tant s'en faut; au con- traire, selon la remarque d'un penseur, « le plaisir qu'on trouve à ce qui est beau, ou touchant, ou sublime, fortifie nos sentiments moraux, comme le plaisir qu'on trouve à la bienfaisance, à l'amour, favorise ces inclinations (1). » Quand le beau vient joindre son éclat séduisant au vrai et au bien, l'un et l'autre ne gagnent-ils pas plus aisément, plus sûrement notre cœur? a Les âmes grossières, dénuées à la fois d'éducation mo- rale et d'éducation esthétique, reçoivent immédiatement la (1) Schiller, Esthétique,?., i. loi de l'appétit et n'agissent que selon le bon plaisir de leurs sens. Les âmes morales, mais à qui manque la culture esthé- tique, reçoivent immédiatement la loi de la raison, et c'est uniquement par égard pour le devoir qu'elles triomphent de la tentation. Dans les âmes esthétiquement épurées, il y a de plus un autre mobile, une autre force, qui plus d'une fois supplée à la vertu quand la vertu est absente, et qui la rend plus facile quand on la possède. Ce mobile, c'est le goût. Le goût exige de nous de la modération et de la di- gnité ; il a horreur de tout ce qui est anguleux, dur et vio- lent... Ecouter la voix de la raison jusque parmi les tem- pêtes de la sensibilité, et savoir imposer des bornes à la nature jusque dans ses explosions les plus brutales, c'est, comme chacun sait, ce qu'exige déjà le bon ton, lequel n'est autre chose qu'une loi esthétique ; c'est ce qu'il exige de tout homme civilisé. Eh bien ! cette contrainte que s'im- pose l'homme civilisé dans l'expression de ses sentiments lui confère déjà un certain degré d'autorité sur eux Or, ce qui rompt la violence des mouvements affectifs ne pro- duit encore, je le veux bien, aucune vertu... Mais cela fraye au moins la voie à la volonté pour se tourner du côté de la vertu... Toutes ces inclinations matérielles et ces appétits brutaux qui souvent s'opposent à la pratique du bien avec tant d'opiniâtreté et de fougue, le goût esthétique en a dé- barrassé notre âme ; et à leur place il a semé en nous des inclinations plus nobles et plus douces qui se rapportent à l'ordre, à l'harmonie, à la perfection ; et bien que ces incli- nations, par elles-mêmes, ne soient point des vertus, elles ont au moins quelque chose de commun avec la vertu : c'est leur objet. Ainsi désormais, si c'est l'appétit qui parle, il aura à subir un contrôle rigoureux par devant le sens du beau ; et si c'est la raison qui parle et qui nous commande les choses conformes à l'ordre, à l'harmonie, à la perfection, non seulement elle ne rencontrera plus d'adversaire du côté de l'inclination, mais elle y trouvera le concours le plus actif (i). » II. La science qui étudie le beau a reçu de Baumgarten le nom d'esthétique, du mot grec MM^M9 je sens, parce que le beau excite en notre âme des sentiments vifs et profonds et qu'il semble plus facile de le sentir que d'en pénétrer l'intime essence. Pour cette raison, quelques auteurs ont cru pouvoir appeler l'esthétique « la philosophie du senti- ment ; » dénomination qu'il ne faudrait point prendre trop à la lettre. Le beau, en effet, nous pensons le montrer jusqu'à l'évidence, n'est ni moins objectif ni moins absolu que le vrai ou le bien, et l'esthétique a ses principes, ses procédés et ses conclusions, à peu près comme les autres sciences. Cependant Platon n'avait pas tort : « Le beau est diffi- cile (2) ». Le P. André disait dans le même sens : « Je ne sais par quelle fatalité il arrive que les choses dont on parle le plus, parmi les hommes, sont ordinairement celles qu'on connaît le moins. Telle est, entre mille autres, la matière que j'entreprends de traiter. C'est le beau (3). » Cette difficulté tient à plus d'une cause. L'idée du beau se trouve intimement unie et comme mêlée à plusieurs autres grandes idées, dont l'analyse est malaisée. De plus (1) Op. cit., De Futilité morale^des mœurs esthétiques. « Il est nécessaire que la chose à laquelle nous nous unissons par la participation nous communique ses qualités. La bouche est tout embaumée du parfum qui a touché ses lèvres... Celui qui aime le beau devient beau lui -même, car le bien qui s'unit à l'âme la transforme en lui communiquant sa propre nature. • (Saint Gré- goire de Nysse, in Ecclesiast., homél. VIII). (2) « Le proverbe a raison, Socrate, le beau est difficile. » Rrp., liv. IV, p. 226, Ed. Cousin. (3) Essai sur le Beau, discours 1". elle est très complexe, et uploads/Religion/ l-idee-du-beau-dans-la-philosophie-de-saint-thomas-d-aquin-000000768.pdf

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  • Publié le Aoû 03, 2022
  • Catégorie Religion
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