La rhétorique du discours public Objet d’étude : la question de l’homme Corpus

La rhétorique du discours public Objet d’étude : la question de l’homme Corpus Texte A : Salman Rushdie, Discours pour la cérémonie de remise des diplômes à Bard collège, New York. (Mai 1996) Essais Texte B : André Malraux, Commémoration de la mort de Jeanne d’Arc, 31 mai 1964. Orléans. Texte A : Salman Rushdie, Discours pour la cérémonie de remise des diplômes à Bard collège, New York. (Mai 1996) Essais - Diplômé de l’université de Cambridge en 1968, Salman Rushdie raconte cette mémorable remise de prix au cours de la cérémonie de remise des diplômes à Bard College, New York (…) L’affaire commence quelques jours avant la cérémonie de remise des diplômes, quand un malin anonyme a eu un soir l’idée, en mon absence, de redécorer ma chambre en jetant un seau de ladite sauce à l’oignon sur les murs et les meubles, sans oublier mon tourne-disque et mes vêtements. Dans la tradition séculaire d’équité et de justice dont s’enorgueillit l’université de Cambridge, l’administration m’a immédiatement jugé seul responsable du gâchis et, ignorant toutes mes protestations d’innocence, m’a signifié que si je ne payais pas les dégâts avant la cérémonie je n’obtiendrais pas mon diplôme. (…) J’ai payé, je dois le confesser, et ai donc été déclaré digne de recevoir ma peau d’âne. (…) après toutes ces vicissitudes, lorsque mon tour est arrivé, on m’a requis de tenir un représentant de l’université par le petit doigt et de le suivre lentement jusqu’au trône imposant sur lequel était assis le vice-chancelier. Comme on me l’ordonnait, je me suis agenouillé à ses pieds, j’ai tendu les mains, jointes en un geste de supplication, et l’ai imploré en latin de me remettre le diplôme, pour lequel, ne pouvais-je m’empêcher de penser, j’avais travaillé extrêmement dur pendant trois ans, au prix de frais considérables pour ma famille. Je me rappelle qu’on m’avait recommande de lever les mains le plus haut possible au-dessus de ma tête, au cas où le vieillard qu’était le vice- chancelier, en se penchant pour les serrer, dégringolerait de son grand fauteuil et me tomberait dessus. J’ai fait ce qu’on me demandait ; le vieux monsieur n’est pas tombé ; et en latin lui aussi, m’a finalement admis au grade de bachelier ès arts. Rétrospectivement, je suis quelque peu accablé par ma passivité, même si je vois mal ce que j’aurais pu faire d’autre. Sans doute aurais-je pu ne pas payer, ne pas changer de chaussures, ne pas m’agenouiller pour supplier qu’on m’accordât mon B.A . Mais j’ai préféré capituler et obtenir le diplôme. Je suis devenu moins conciliant. Je Marion Duvauchel-Alternativephilolettres - Aphilè Page 1 suis parvenu depuis à la conclusion, que je vous confie maintenant, que j’ai eu tort de céder, tort d’accepter un compromis avec l’injustice, si persuasives qu’en soient les raisons. Aujourd’hui encore, l’injustice fait surgir en moi le souvenir de la sauce. L’injustice est pour moi un liquide bun, grumeleux, figé, à l’odeur piquante, lacrymogène, d’oignon. L’iniquité, c’est regagner sa chambre en courant à toute vitesse, à la dernière minute, pour changer ses souliers marrons interdits. C’est être forcé de mendier, à genoux, dans une langue morte, ce qui vous appartient de droit. Voici donc ce que j’ai appris le jour où l’on m’a remis mon diplôme ; voici la leçon que j’ai tirée des paraboles du Jeteur de sauce inconnu, de la Chaussure interdite, et du Vice-chancelier chancelant sur son Trône, et que je vous transmets aujourd’hui : premièrement, si, au cours de votre vie, on vous accuse un jour de ce qu’on pourrait appeler Usage de Sauce Aggravé – et on le fera, ça vous arrivera -, et que vous soyez innocents d’avoir fait usage de sauce, n’avalez pas la couleuvre. Deuxièmement : ceux qui vous rejettent parce que vous ne portez pas les chaussures idoines ne méritent pas que vous recherchiez leur approbation. Et troisièmement : ne vous agenouillez devant personne. Défendez vos droits debout. J’aime à croire que l’université de Cambridge, où j’ai été si heureux pendant trois merveilleuses années et dont j’ai tant reçu (…) avec son sens britannique de l’ironie finement développé, souhaitait précisément que je tire ces précieuses leçons des événements de cette étrange journée. (…) Dans les années à venir vous allez vous retrouver face à toutes sortes de dieux, grands et petits, corporatifs et incorporels, exigeant tous adoration et obéissance – les innombrables divinités de l’argent et du pouvoir, de la convention et de la coutume, qui chercheront à limiter et à contrôler vos pensées et vos vies. Bravez-les, c’est le conseil que je vous donne. Narguez-les, faites-leur la nique. Car, nous dit le mythe, c’est en défiant les dieux que les humains expriment le mieux leur humanité. Les Grecs content d’innombrables histoires de querelles entre les dieux et nous. Arachné, grande artiste du métier à tisser, oppose ses talents de tisseuse et de brodeuse à ceux de la déesse de la sagesse en personne, Pallas Athéna, et, impudemment, choisit de n’illustrer que des scènes qui révèlent les fautes et les faiblesses des dieux – l’enlèvement d’Europe, Léda et le Cygne. A cause de cela, à cause de l’irrévérence et non de son moindre talent, à cause de ce que nous appellerions aujourd’hui art et culot – la déesse métamorphose sa rivale mortelle en araignée. La reine Niobé de Thèbes demande à son peuple de ne pas adorer Léto, mère d’Artémis et d’Apollon : « Quelle folie est-ce donc ? Préférer des êtres que vous n’avez jamais vus à ceux qui se tiennent devant vos yeux ! » Pour cette attitude, que nous qualifierions aujourd’hui d’humanisme, les dieux massacrent ses enfants et son mari, et la transforment en rocher, chagrin pétrifié d’où coule une source intarissable de larmes. Le Titan Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner à l’humanité. Pour cela – nous dirions aujourd’hui le désir de progrès, la volonté d’améliorer nos capacités scientifiques et techniques, - il est enchaîné à un pilier, tandis qu’un grand oiseau lui ronge éternellement le foie, lequel se régénère à mesure qu’il est dévoré. L’intéressant, c’est que les dieux ne sortent pas du tout grandis de ces histoires. Si Arachné à l’orgueil excessif de vouloir rivaliser avec une déesse, ce n’est que fierté d’artiste, mêlée de bravade juvénile, tandis qu’Athéna, Marion Duvauchel-Alternativephilolettres - Aphilè Page 2 qui pourrait se permettre de se montrer indulgente, n’est que vindicative. La légende accroît l’aura d’Arachné et réduit celle d’Athéna ; Arachné en retire une certaine immortalité. Et Prométhée torturé, bien sûr, Prométhée, qui nous a donné le feu, est le plus grand de tous ces héros. (…) Ce sont les hommes et les femmes qui ont fait le monde, et cela malgré les dieux. La leçon des mythes n’est pas celle que les dieux auraient aimé nous donner – « Tiens-toi tranquille et reste à ta place »- mais exactement le contraire : nous devons être guidés par notre nature. Sans doute celle-ci peut être mauvaise : arrogante, vénale, corrompue ou égoïste ; mais sous ses meilleurs aspects, nous – c’est-à-dire vous – pouvons être et serons joyeux, aventureux, effrontés, créateurs, curieux, exigeants, combatifs, aimants et intraitables. Ne courbez pas la tête. Ne restez pas à votre place. Bravez les dieux. Vous serez étonnés de voir combien se révèleront avoir des pieds d’argile. Et laissez-vous guider si possible, par votre meilleure nature. Très bonne chance et mes chaleureuses félicitations à tous. Questions d’oral Quelle vision de l’homme se dégage de ce texte ? Quels sont ces dieux grands et petits dont il est question au paragraphe 6 et qu’il s’agit de braver ? Quel usage l’auteur fait-il de la mythologie grecque ? Dissertation Suffit-il de braver les dieux pour être un humaniste ? Texte B : André Malraux, Commémoration de la mort de Jeanne d’Arc, 31 mai 1964. Orléans. Voir sur le site– histoire et mémoire – récit et histoire (Lettres – la question de l’homme) Voir site littéraire André Malraux, qui détaille les deux discours de Malraux. http://malraux.org/ photographie de Roger Pic (1974). Paris, BNF. Marion Duvauchel-Alternativephilolettres - Aphilè Page 3 AU NOM DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS. Orléans, daté Rouen, 31 mai 1964 Vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, me demander d’assumer ce que le plus grand poète de votre ville, qui fut aussi l’un des plus grands poètes du monde, appelait «un triste et fier honneur», celui de reprendre ce que j’ai dit, il y a quelques années à Orléans, de Jeanne d’Arc victorieuse, et de rendre hommage, en ce lieu illustre par le malheur, à Jeanne d’Arc vaincue – à la seule figure de notre histoire, sur laquelle se soit faite l’unanimité du respect. La résurrection de sa légende est antérieure à celle de sa personne, mais aventure unique ! La tardive découverte de sa personne n’affaiblit pas sa légende, elle lui donne son suprême éclat. Pour la France et pour le monde, la petite sœur de saint Georges devint Jeanne vivante par les textes du procès de condamnation et du procès de réhabilitation : par les uploads/Religion/ l-x27-art-et-la-rhe-torique-du-discours-public.pdf

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  • Publié le Mai 20, 2022
  • Catégorie Religion
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