Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences rel

Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 124 | 2017 Annuaire de l'EPHE, section des Sciences religieuses (2015-2016) Anthropologie religieuse Le corps des anges Recherche sur les fondements de l’angélologie chrétienne Serge Margel Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/asr/1591 DOI : 10.4000/asr.1591 ISSN : 1969-6329 Éditeur Publications de l’École Pratique des Hautes Études Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2017 Pagination : 101-110 ISSN : 0183-7478 Référence électronique Serge Margel, « Le corps des anges », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 124 | 2017, mis en ligne le 04 juillet 2017, consulté le 07 juillet 2022. URL : http://journals.openedition.org/asr/1591 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asr.1591 Tous droits réservés : EPHE Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 124 (2015-2016) Anthropologie religieuse Serge Margel Chargé de conférences Le corps des anges Recherche sur les fondements de l’angélologie chrétienne C e séminaire fait suite à un cycle de conférences données en 2014 sur la notion de corps de chair dans le premier christianisme. Cette année la recherche a porté sur le corps spécifique des anges dans la patristique grecque et latine. Sur la base d’un corpus de textes délimité, j’ai essayé de montrer deux choses princi- pales : d’un côté, on ne peut pas comprendre la spécificité du corps des anges sans l’inscrire dans le champ de l’angélologie chrétienne, qui assimile l’ange et l’âme, et d’un autre côté, cette assimilation constitue la réponse des premiers penseurs chrétiens aux problèmes posés par le nouveau statut de l’ange après l’événement christique de l’incarnation. I. Comment fonder une nouvelle religion sur la rupture produite par l’événe- ment christique de l’incarnation tout en considérant le passage entre les deux Tes- taments ? Comment se démarquer de l’angélologie juive, ses médiations et ses fonctions missionnaires, sans éliminer la figure de l’ange comme lumière et fonc- tion noétique ? Autrement dit, en quoi et pourquoi le christianisme a-t-il toujours besoin de la figure de l’ange après l’avènement du Christ, comme nouveau Média- teur, comme Logos ou Verbum ? Devant les conflits entre l’ange et le Christ, dont parle Paul dans l’Épître aux Colossiens, une nouvelle conception de l’ange va s’éla- borer avec les premiers Pères de l’Église. On déplace le centre d’intérêt des liens entre l’ange et ses médiations au rapport que l’ange entretient à sa propre créa- tion. On passe de l’ange comme messager des desseins de Dieu pour son peuple à l’ange comme adjoint ou collaborateur dans le plan divin de création. Par sa subs- tance, son esprit et son corps, et par le rôle qu’il joue dans l’économie de la créa- tion, l’ange représente le lieu des réalités intelligibles du monde, entre l’esprit de Dieu qui a créé le monde et l’esprit de l’homme qui perçoit ou connaît le monde. En somme, il faut constituer une nouvelle angélologie qui ne soit plus fondée sur les fonctions missionnaires de l’ange, mais bien sur les capacités épistémologiques de l’ange. Il ne s’agit plus, pour l’ange, de transmettre un message, d’exécuter un ordre ou de protéger une Cité, mais d’inscrire dans les éléments du monde la rai- son causale de leur création. Résumés des conférences (2015-2016) 102 J’ai donc abordé dans le cadre du séminaire l’invention de l’angélologie chré- tienne, ses sources bibliques et ses fondements théologico-philosophiques, en partant d’une réflexion sur la création de l’ange, son corps, ses propriétés et ses fonctions. Or, le corps des anges est un corps spécifique. Il ne relève pas de la pure spiritualité du corps glorieux, ni de la matérialité des éléments qui composent l’univers, la terre, l’eau, l’air ou le feu. En ce sens, il ne suit pas rigoureusement l’idée courante qui fait de l’ange un agent médiateur, le pur intermédiaire entre le divin et l’humain, l’infini et le fini, le créateur et la créature. Pour comprendre en quoi consiste ce corps d’un autre type, ni purement spirituel ni purement matériel donc, il faut l’inscrire à la croisée de deux grands débats sur la question de l’ange, qui ouvrira la problématique médiévale de l’angélologie. D’un côté, la distinction entre la figure de l’ange dans la tradition théologico-biblique juive, chrétienne et musulmane (séraphins, chérubins, trônes, mais aussi puissances, dominations et souverainetés), et la doctrine des substances séparées et de l’intellect agent, dans la tradition philosophique aristotélicienne. D’un autre côté, l’articulation entre la controverse exégétique sur la chute des anges, dès le livre d’Hénoch, et l’assimila- tion néoplatonicienne d’Augustin de l’ange et de l’intellect. Sans se confondre, ces deux débats sont très proches, ils traversent surtout les mêmes textes, recourent à des mêmes chaînes de concepts et tendent à comprendre comment des âmes puri- fiées peuvent devenir des anges. Comme l’écrit le néoplatonicien chrétien Marius Victorinus, sur les traces de Porphyre, au milieu du ive siècle : Mais, en haut, dans les terres et dans le ciel, tous les êtres sont actes et vivent en acte, engendrés toutefois et déjà devenus ce qu’ils devaient être. En effet, destinés, dès leur point de départ, à leurs fonctions propres, ils parcourent leurs actes propres, grâce à la sympathie de la nature qui les tient ensemble. Que si ces choses qui sont dans le monde, sont des actes, combien plus sont acte et action les choses qui font parties des réalités éternelles et qui sont supra célestes, elles qui ont engendré ces choses de ce monde ci ! De même, l’âme et les anges qui sont devenus anges après avoir été des âmes, et les anges supérieurs aux âmes (Item et anima et angeli ex animis et supra animas)1. Ce rapprochement de l’âme et de l’ange concerne à mon sens la spécificité du corps des anges. Mais en quoi consiste ce corps, et comment le distinguer du corps de chair humain comme du corps immatériel divin ? Je dois avouer, écrit Augustin, que je n’ai pas l’esprit assez puissant pour déci- der si les anges, en conservant la spiritualité de leur corps pour des œuvres plus secrètes, empruntent aux êtres inférieurs plus charnels quelques éléments qu’ils modifient, retournent comme un vêtement, sous toutes sortes de formes sensibles, voire réelles, comme l’eau véritable changée en vrai vin par le seigneur (Jn 2, 9) ; 1. Marius Victorinus, Adversus Arium, IV, 12, 1122b, dans Traités théologiques sur la Trinité, I. Texte établi par P. Henry, introduction, traduction et notes par P. Hadot, Cerf, Paris 1960. Cf. P. Habot, Porphyre et Victorinus, I, Études augustiniennes, Paris 1968, p. 392-393. Serge Margel 103 ou bien si ce sont leurs propre corps qu’ils transforment à leur gré, en rapport avec ce qu’ils ont à faire2. Il faut ici distinguer deux types de questions sur le corps des anges. La première porte sur sa consistance, et concerne les éléments qui le composent, sa matérialité sensible, visible, audible. La seconde porte sur sa provenance, entre le corps propre transformé et le corps étranger, ou corps d’emprunt. La première question est stoï- cienne, la seconde plutôt judéo-chrétienne, mais l’une et l’autre se retrouvent qua- siment confondues dans la première patristique grecque et latine, depuis au moins Clément d’Alexandrie et Tertullien. On peut rapporter le texte cité d’Augustin à ce passage du De carne Christi, où Tertullien évoque le corps et la chair des anges : Il est clair que la chair portée par ces anges ne leur appartenait pas en propre (constat angelos carnem non propriam gestasse), puisqu’ils sont par nature des substances spirituelles, qui ont un corps assurément mais d’une espèce particulière. Toutefois ils peuvent prendre dans l’occasion figure de chair humaine pour permettre aux hommes de les voir et de les rencontrer3. Tertullien pose la question d’une spécificité du corps des anges : « Il est clair que la chair portée par ces anges ne leur appartenait pas en propre ». Mais en quoi consiste la différence entre corps spécifique et corps propre ? Pour l’être humain, cette différence est purement conceptuelle, ou de raison, car son corps propre est lui-même spécifique, en ce sens qu’il se distingue spécifiquement des autres corps vivants. Pour le corps des anges, du moins selon Tertullien, cette différence est réelle. Les anges n’ont effectivement pas de corps propre, comme les hommes ou comme le Christ, en ce sens qu’ils ne possèdent pas leur corps par la voie d’une naissance : Aucun ange n’est jamais descendu pour être crucifié, pour connaître la mort, pour en être ressuscité. Jamais les anges n’eurent de telles raisons pour prendre corps et c’est la raison pour laquelle ils ne se sont pas incarnés par la voie d’une nais- sance : n’étant pas venus pour mourir, ils n’étaient pas non plus venu pour naître4. Les anges portent une chair, un corps de chair qu’ils ne possèdent pas en propre. Le corps qu’ils portent ou qu’ils assument – « assumant », c’est le terme d’Au- gustin – ne leur appartient pas, il provient d’autres corps qu’ils transforment, ou transfigurent, comme le Christ dans l’Épître aux Philippiens. Ce corps est toujours l’effet d’un emprunt, le temps de uploads/Religion/ le-corps-des-anges-recherche-sur-les-fondements-de-l-x27-ange-lologie-chre-tienne.pdf

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  • Publié le Fev 05, 2021
  • Catégorie Religion
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