« LE DERNIER ENNEMI QUI SERA DÉTRUIT, C’EST LA MORT ». LE CHRISTIANISME EST-IL

« LE DERNIER ENNEMI QUI SERA DÉTRUIT, C’EST LA MORT ». LE CHRISTIANISME EST-IL UN TRANSHUMANISME ? Guilhen Antier Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses » 2016/1 Tome 91 | pages 111 à 127 ISSN 0014-2239 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et- religieuses-2016-1-page-111.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Institut protestant de théologie. © Institut protestant de théologie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Dans une démarche interdisciplinaire menée à la croisée de la psychanalyse lacanienne et des théologies irénienne et luthérienne, il tente de redéfinir les notions de mort et de vie mobilisées par la pensée paulinienne (1 Co 15 ; rm 7) dans le cadre d’une ontologie relationnelle qui marque une rupture avec l’ontologie substantialiste. Par là, il évalue en quoi et comment l’affirmation néotesta- mentaire d’une résurrection des morts se distingue radicalement du projet transhumaniste d’en finir avec la mort. Au cœur de la réflexion, c’est la question même de ce qui fait l’humain qui est posée. en mars 2015 paraissait un film d’horreur et de science-fiction américain au titre évocateur : The Lazarus Effect1. le synopsis en est le suivant : une scientifique qui mène des recherches en vue de ramener des cadavres à la vie meurt au cours d’un accident de laboratoire. Son équipe utilise alors les résultats de ses expériences pour la ressusciter (j’utilise volontairement le terme dans son acception non théologique). revenue à la vie, la jeune femme se transforme en monstre sanguinaire, preuve qu’il aurait mieux valu pour tout le monde la laisser reposer en paix ! le film, qui ne brille ni par son originalité ni par sa subtilité, rejoint une ancienne tradition littéraire que l’on peut faire remonter au Frankenstein de Mary Shelley2. D’une manière ou 111 * Guilhen Antier est maître de conférences en théologie systématique à l’institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier, membre du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CriSeS – eA 4424). 1 David Gelb, The Lazarus Effect, 2015. 2 Mary Shelley, Frankenstein ou Le Prométhée moderne, trad. de l’anglais par Alain Morvan, Paris, Gallimard, coll. « Folio SF », 2015 (1818). ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 91e année – 2016/1 – P. 111 à 127 © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) d’une autre, l’axiome qui traverse ce courant artistique est qu’il vaut mieux ne pas jouer à Dieu en cherchant à dépasser les lois de la nature. la morale est donc sauve. On reconnaîtra toutefois qu’en leur qualité même de fictions, ces œuvres ont le mérite d’ouvrir un espace de réflexion, comme le relève Cody Zwieg, producteur du film : les plus grands films d’horreur ne se contentent pas de chercher à susciter le frisson et à faire couler l’hémoglobine. ils abordent aussi des questions plus fondamentales, et primaires, sur les racines des peurs humaines. tout le monde a connu un deuil, ou est obsédé par des événements du passé, et je crois que nous sommes tous fascinés par la question suivante : « Si l’on pouvait ramener quelqu’un à la vie, est-ce qu’on le ferait vraiment3 ? » On comprendra donc que ce film n’a aucun intérêt en lui-même, mais seule- ment au titre d’illustration de ce que la culture populaire a retenu de l’idée chrétienne d’une résurrection de morts : la résurrection conçue comme la réani- mation d’un cadavre constitue en quelque sorte la précompréhension la plus largement répandue de la notion centrale de la foi pascale. Par ailleurs, il se trouve que ce film, parmi bien d’autres, fait jouer la représentation d’une science miraculeusement capable de modifier l’ordre naturel, en l’occurrence l’organisme biologique humain. le film vaut alors en tant qu’exemple-type de l’histoire de la réception de l’épisode de la résurrection de lazare en dehors du cercle, fort restreint il faut bien l’avouer, de la théologie universitaire formée aux disciplines critiques (la culture populaire et la culture d’Église ne sont en effet jamais très éloignées l’une de l’autre). Mais il se présente également comme le symptôme d’une mentalité contemporaine de plus en plus marquée par le phénomène transhumaniste, à savoir la croyance que l’humain techno- scientifiquement manipulé pourrait outrepasser sa finitude. le mortel devien- drait, par la grâce de quelques laboratoires à la pointe du progrès financés par des multinationales, capable d’immortalité. en somme, lazare sortant de son tombeau ne serait plus seulement le personnage d’une fiction théologique bimillénaire : il serait le visage de l’homme de demain ou au plus tard d’après- demain, cet « homme augmenté4 » dont parle Jean-Michel besnier dans ses travaux consacrés au sujet. Guilhen Antier etr 112 3 Consulté le 19/11/2015 sur http://www.allocine.fr/film/fichefilm-206788/secrets-tournage/ 4 Jean-Michel beSnier, Demain les post-humains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 20102 (2009) ; iD., L’homme simplifié. Le syndrome de la touche étoile, Paris, Fayard, coll. « essais », 2012. Mes observations au sujet du transhumanisme sont entièrement tributaires des travaux de cet auteur. le lecteur gagnera à les consulter pour se faire une idée davantage précise de la question. Je lui adresse ici toute ma gratitude pour m’avoir initié à cette problématique lors de la session intersemestrielle co-organisée par mon collègue Olivier Abel et moi-même les 15 et 16 janvier 2015 à la Faculté de théologie de Montpellier. Cet article est en partie issu d’une communication donnée à cette occasion. © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) Ma contribution à ce dossier sur Jn 11 vise à proposer un éclairage latéral aux questions soulevées par Élian Cuvillier dans son texte, notamment autour de la figure de l’humain comme « cadavre en puissance » et pourtant promis à « vivre d’une vie qui ne meurt jamais »5. Éclairage latéral, car je ne commen- terai ni le récit de Jn 11 ni la lecture – par ailleurs tout à fait stimulante – qu’en propose mon collègue. l’option ici retenue est la suivante : décrypter certains ressorts de la notion d’immortalité déployée dans le christianisme, en lien avec la problématique contemporaine du transhumanisme. la réflexion puisera essentiellement à la pensée paulinienne, en écho différencié à la théologie johannique travaillée dans les autres contributions. l’Évangile est-il un manifeste transhumaniste avant l’heure ? Formulée en ces termes, la question constitue évidemment un anachronisme ! toutefois, on peut légitimement se demander si la foi chrétienne en une résurrection des morts ne coïncide pas trait pour trait avec le « désir mortifère d’immortalité6 » qui se trouve au principe du transhumanisme. Affirmer, selon le verset retenu pour titre de cette contribution, que « le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort » (1 Co 15,26), n’est-il pas nier la condition de finitude propre à l’huma- nité ? n’est-ce pas faire miroiter la possibilité, plus ou moins captieuse, d’un dépassement de l’humain dans un posthumain et, partant, en appeler à rien moins que la mort de l’homme ? On notera d’ores et déjà le paradoxe apparent qui ferait de la disparition de la mort, la disparition de l’humain lui-même : la fin de la mort signerait la mort de l’homme – du moins de l’homme tel que nous le connaissions jusqu’à présent7. le christianisme serait-il porté par l’espoir d’en finir avec l’humanité par incapacité d’assumer en particulier le poids de la chair ? ne serait-il pas juste alors d’affirmer que ce composé de technologie et de métaphysique qu’est le transhumanisme s’offre aujourd’hui comme la chance de réaliser le programme, demeuré jusque-là inabouti, de la plus inhumaine des religions ? Je laisse ces questions en suspens pour propo- ser quelques analyses d’après le chapitre 15 de la Première épître aux Corinthiens et d’après certaines sections du chapitre 7 de l’Épître uploads/Religion/ le-dernier-ennemi-qui-sera-detruit-c-x27-est-la-mort-le-christianisme-est-il-un-transhumanisme.pdf

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  • Publié le Fev 21, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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