15 Spiritualité Le désir de voir Dieu chez Guillaume de Saint-Thierry S i d’ave

15 Spiritualité Le désir de voir Dieu chez Guillaume de Saint-Thierry S i d’aventure vous vous risquez à lire quelques pages de l’œuvre de Guillaume de Saint-Thierry, vous pouvez être sur - pris de constater que très souvent Guillaume exprime un désir de voir Dieu. En effet, ce désir de vision divine apparaît dès sa première œuvre : scrutant tous les recoins de ma conscience, dit-il, de par ta grâce, mon unique désir, mon désir brûlant, c’est de te voir (La Contemplation de Dieu, 3), et on le retrouve exprimé de dif - férentes manières tout au long de ses écrits : Je ne pense pas qu’en enfer il existe de plus grand tourment que d’être privé de ta vision (Oraisons méditatives VIII, 12). On peut légitimement se demander : « Pour quelles raisons Guillaume exprime-t-il un désir si ardent de voir le Seigneur ? Que signifie pour lui : voir Dieu ? » Pour tenter de répondre à ces questions, suivons Guillaume dans son itinéraire spirituel, révélé principalement à travers ses œuvres et la Vita antiqua Wilhelmi, écrite par un moine cistercien, une trentaine d’années après sa mort. Jeunesse et formation intellectuelle La Vita antiqua de Guillaume nous permet de situer la naissance de Guillaume aux environs de Liège, au sein d’une famille noble. Né aux environs de 1075, il serait de quinze ans l’aîné de son grand ami saint Bernard. En étudiant la biographie de Guillaume, on est amené à s’intéresser au milieu liégeois dans lequel Guillaume est né et a reçu ses pre - miers rudiments scolaires. Le milieu religieux de culture rhéno- mosane était à la fois traditionnel mais aussi ouvert vers une quête mystique privilégiant une approche plus affective que les centres intellectuels parisiens. Guillaume a poursuivi des études à Reims ; il n’a pas gardé le meilleur souvenir de ses études scolastiques à l’école de Reims. Dans ses écrits, on peut percevoir un certain désenchantement à leur égard, une mise en garde contre la vanité des écoles qui risquerait d’entretenir dans l’âme une certaine forme de recherche curieuse ou prétentieuse (Lettre d’or, 216). Pendant son séjour au studium, au temps de son adolescence, Guillaume aime se rappeler que l’affection qu’il a toujours gardée pour son Seigneur lui a per - mis d’éviter de justesse de se laisser enliser dans les attraits de la chair : Dès mon enfance impure tu as imprimé sur moi la lumière de ton visage. J’ai toujours gardé dans mon affection l’empreinte de ton visage. Toujours cependant mon esprit t’a aimé, même quand la chair t’a négligé (Oraisons méditatives, IX, 9-10). Le moine et l’abbé Toute l’aspiration de Guillaume est de vivre dans le secret de la face de Dieu, loin de toute agitation des hommes (Vie de saint Bernard, 8). 16 Elle va trouver une certaine forme d’accomplissement lors de son entrée à l’abbaye bénédictine de Saint-Nicaise. Guillaume évoque sa vocation religieuse sur un ton classique, repre - nant à son compte la parole de Jésus adressée au jeune homme riche : « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et viens, suis- moi » (Mt 19, 21, Oraisons méditatives, XI, 6). Suivre le Christ, pour Guillaume, c’est se faire moine. La grande érudition dont témoignent les œuvres de Guillaume écrites ultérieurement laisse supposer qu’il fréquenta assidûment la bibliothèque monastique. Il avait une connaissance approfondie de l’Écriture à laquelle il se réfère constamment. On a remarqué aussi qu’il s’est familiarisé, pendant de longues années, avec les œuvres des Pères de l’Église comme celles d’Origène, d’Ambroise, de Grégoire de Nysse, de Grégoire le Grand. Celles surtout d’Augustin le retinrent. Guillaume fut élu comme abbé de Saint-Thierry en 1121. Il fut un père abbé qui a cherché inlassablement à guider ses moines vers les joies de la contemplation divine. Il accomplit sa charge abbatiale avec conscience et zèle. Cependant il craignait que les servitudes deviennent par trop contraignantes au point de faire obstacle à ces temps de rencontres si heureuses avec le Seigneur dans la contemplation. Amitié avec saint Bernard Soulignons un événement qui a un très grand retentissement dans la vie de l’abbé de Saint-Thierry : c’est sa rencontre avec Bernard de Clairvaux. Dans une existence, il y a des événements qui peuvent modifier toute l’orientation de la vie, toute l’activité qui s’ensuit ; 17 Spiritualité pour Guillaume de Saint-Thierry, sa première rencontre avec Bernard de Clairvaux fut un événement de ce genre. Guillaume nous raconte que lorsqu’il vit saint Bernard pour la première fois il fut pénétré d’un tel sentiment à l’égard de cet homme, d’un si ardent désir de partager sa pauvreté et sa simplicité que, si le choix lui en avait été offert ce jour-là, il n’aurait rien souhaité de meilleur que de toujours vivre avec lui pour le servir (Vie de saint Bernard, 33). Le bonheur de Guillaume aurait été de vivre en la com pagnie de l’abbé de Clairvaux, d’écouter sa voix, de recueillir ses enseignements. Il aurait aimé suivre Bernard dans son cloître et embrasser la vie cistercienne qui lui paraissait plus conforme à sa quête ascétique de Dieu. Mais l’abbé de Clairvaux l’enjoint avec vigueur de garder sa charge et de servir là où Dieu l’avait placé (Lettre 86). Lecture du commentaire d’Origène sur le Cantique des cantiques Tous les tracas inhérents au gouvernement du monastère pesèrent sur la santé fragile de Guillaume. Lors d’une maladie qui traînait en longueur, Bernard, lui aussi atteint dans sa santé, lui envoya son frère Gérard pour le ramener à Clairvaux. Au cours de cette rencontre historique à l’infirmerie de Claivaux, il apparaît que les deux amis ont lu ensemble le commentaire d’Origène sur le Can - tique des cantiques. Il faut dire qu’au Moyen Âge Origène était un auteur bien connu. Dans toutes les bibliothèques du XIIe siècle figu - rait au moins un manuscrit d’Origène. À travers ce texte biblique, Origène enracine toute la mystique amoureuse de l’Église. Il ex - prime à travers lui le symbole du dialogue de l’âme avec Dieu. Cette rencontre de deux amis malades à l’infirmerie de Clairvaux a une importance capitale ; à partir de ce moment-là, Bernard et 18 Guillaume vont écrire beaucoup sur le Cantique des cantiques. Mais pour écrire son propre commentaire, il faudra que Guillaume attende d’être déchargé de sa charge abbatiale afin de réaliser le désir qu’il avait déjà exprimé onze ans auparavant à Bernard : celui de devenir moine cistercien. C’est dans l’abbaye cistercienne de Signy, enfouie au creux des Ardennes, que l’œuvre théologique de Guillaume, comme sa vie intérieure, devait porter son fruit et trouver son mûrissement définitif. En commentant avec grande délectation le texte biblique du Cantique des cantiques, Guillaume se donne l’occasion de guider les âmes vers une relation amoureuse avec le Seigneur. Il exprime dans son li mi - naire le dessein de son exposé : à travers l’expérience spirituelle de son amour pour l’Époux, il veut favoriser chez son lecteur le dé - veloppement des capacités affectives en vue de la rencontre avec le Dieu-amour qui peut s’exprimer en termes de visions. Guillaume retrace l’aventure inouïe de l’âme humaine qui, captive du Christ, par étapes successives, devient épouse et accède, avec l’aide du Saint-Esprit, à la contemplation de Dieu. Il veut concentrer toute l’attention de son lecteur sur une seule histoire, celle de son amour pour Dieu, qui est aussi celle de chacun de nous. Il ne prépare pas seulement son lecteur à la recherche du face-à-face, il la vit devant lui et il exprime tout ce qu’il peut en dire, très souvent sur le ton de la prière empreinte d’accents de tendresse et de poésie. Le désir de voir l’Époux, d’être en relation intime avec lui dans une connaissance mutuelle, s’enracine dans l’amour de l’épouse pour l’Époux : L’épouse (aimante) (… ) multiplia ses efforts pour voir l’Époux face à face, comme il est, et pour le connaître comme lui-même il la connaît (ESCC 35-36, p. 119-121). À travers sa lecture du Cantique des cantiques, Guillaume a pu justifier les aspi - rations profondes de son âme : contempler la face de son Seigneur, le connaître, être en union avec lui. 19 Spiritualité L’approche du divin se fait dans l’expérience du cœur La quête du visage de Dieu devait se faire, selon l’école cistercienne, dans une vie consacrée à la prière et au recueillement. La vraie connais sance de Dieu n’est pas dans les idées, fait remarquer Guillaume, elle est dans l’expérience du cœur. C’est à travers son expérience de Dieu que Guillaume a acquis une certitude sur les réalités divines et pressenti les voies de la contemplation. Mouvement mystique et mouvement dialectique concernant la foi se croisent et s’interpellent en ce début du XIIe siècle, si bouillonnant de sève. Cette séduction pour la recherche intellectuelle, dont Abélard devint le premier représentant, est quelque chose de neuf qui trouble les esprits. Si Guillaume était conscient du rôle néces saire de la raison, il reprochait à Abélard de ne pas reconnaître les limites de la uploads/Religion/ le-desir-de-voir-dieu-chez-guillaume-de-saint-thierry-pdf.pdf

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  • Publié le Mar 03, 2022
  • Catégorie Religion
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