LES NOMS SANSCRITS EN -NAS- par JACQUELINE MANESSY-GUITTON Dakar Les noms en -n

LES NOMS SANSCRITS EN -NAS- par JACQUELINE MANESSY-GUITTON Dakar Les noms en -nas- forment en sanscrit un petit groupe ferret de sept termes, constitu6 dts l'tpoque rig-vtdique, et qui ne s'accroltra plus au cours de l'histoire de la langue. Tousles 616ments semblent appartenir ~t la m~me zone s6mantique, illustrant au mieux la doctrine formulte par MeiUet en 1908, selon laquelle les noms ~ suffixe *-ne/os- servaient ~t exprimer des "notions relatives ~ la proprittt". 1 Cependant cette homogt- ntit6 apparente paralt rtsulter de la convergence fortuite d'histoires morphologiques diverses que nous voudrions essayer de dtbrouiller ici comme nous avons essay6 de le faire ailleurs pour les noms latins en -gtb/S. 2 Ddmf~nas- Le sens gtn6ral du mot ne fait pas de doute; il est le plus souvent rapport6 ~t Agni, ~. quelques exceptions prts off il qualifie l'Aurore (I, 140, 10), Indra (III, 31, 16, VI, 19, 3), les R bhu (V, 42, 12), Savitor (VI, 71, 4), Dirghanitha (VIII, 50, 10), le maitre de maison (X, 41, 3). I1 est associ6 grhtpati- "le mMtre de maison" en I, 60, 4 ~- IV, 11, 5 et en V, 8, 1; parfois le locatif dtme (I, 60, 4, X, 91, 1) ou la proximit6 de 6tithi- "h6te" (V, 8, 1; 4, 5) viennent en souligner la valeur. Ces emplois montrent suffisamment que ddm~nas- dtsigne Agni ou d'autres entitts et person- nages dans leurs rapports avec la "maison" (dtma-); partout convient le sens de "qui appartient ~t la maison, qui la concerne, seigneur de la mai- son". A deux reprises (VII, 9, 2, X, 46, 6), il s'emploie avee vis'a-'m, de sorte que vi~d.m ddm~n~.h devient l'tquivalent de v1~a-'m pdti.h 8 "mMtre des tribus". 1 A. Meillet, "Sur le suffixe indo-europten *-nes-", MSL, XV (1908), p. 256. 2 Revue de philologie, de litt~rature et d'histoire anciennes, t. 38 (1964), fasc. 1, p. 48 a 58. z J. Gonda, Epithets in the l~gveda, p. 206. 172 JACQUELINE MANESSY-GUITTON Si le sens du mot est clair, la forme en est plus surprenante. Ddmfmas- est fl6chi comme un nora anim6 en -as-; jamais il n'est employ6 A un cas ambigu 04, l'opposition de genre 6tant abolie, on pourrait h6siter sur la valeur anim6e ou inanim6e du nora. En VIII, 50, 10, il se trouve au locatif singulier mais il est de toute 6vidence l'6pith~te du nom propre Dirghanitha. Cependant, ce nora de flexion anim6e que l'on s'attendrait ~t voir class6 dans le groupe des oxytons de type apds- est accentu6 comme un neutre baryton de la m~me faqon que dhgiras-. De surcroit, ainsi que l'a fait observer L. Renou, 4 la pr6sence du suffixe -nas- tendrait ~t faire de ddmfmas- un nom de chose car -has- n'a jamais form6 d'adjectifs. Si ddmfmas- pouvait ~tre partom assimil6 ~t un nom propre~ on pourrait interpr6ter sa baryton~se comme un ph6nom~ne secondaire, r6sultat du passage d'un ancien adjectif anim6 oxyton ~t la cat6gorie des noms propres. 5 Mais tel n'est pas le cas. Si ddm~nas- peut, ~t l'occasion, tern- placer le nom de la divinit6, 6 il est plus souvent employ6 comme pr6dicat ou comme 6pith~te; une formute telle que vigdm, ddm~na.h (of. ddmpatim employ6 parall~lement ~t vi~dm pdtim en I, 127, 8), 6quivalente ~ vigdm pdti.h, indique bien que ddm~nas- 6tait senti comme un nom commun. Doric, si l'on consid~re l'accentuation de ddmfmas- comme originelle, on est amen6/t faire du mot, comme le sugg6rait L. Renou (Lc.), un an- cien neutre baryton. Ddmfmas- aurait signifi6 primitivement "repr6sen- ration de toute la maison, ensemble de la maison". I1 reste n6anmoins h expliquer comment ce neutre a pu devenir un anita6 et comment il a 6t6 form6. D'une fa~on g6n6rale, on n'est pas sans exemple qu'un nom neutre soit devenu un nom anim6. En latin Venus, -eris f., Jklgur, -uris, augur, -uris m. sont d'anciens neutres; 7 il en est de m~me pour les masculins grecs ~pcog et T~Lo~g. s En v6dique, dans le groupe m~me auquel appartient ddmfmas-, nous voyons pdr~nas-, qui fonctionne dans tous ses autres emplois comme un substantif que rien n'emp~che de consid6rer comme neutre, 9 recevoir en III, 24, 5 la flexion anim6e et devenir, en quelque sorte, l'6pith&e de rayim au m~me titre que son voisin v~rdvantam. I1 n'est donc pas exclu que ddm~nas- ait subi le m~me sort que pdr~n, as- L Renou, Etudes v~diques etpd.nin~ennes (= EVP), III, p. 57. J. Kury|owiez, L 'accentuation des langues indo-europ~ennes, p. 116-117. e J. Gonda, Epithets in the ~gveda, p. 94-95. 7 A. Ernout, MSL, XXII, p. 234 et suiv., E. Benveniste, Origines de laformation des noms en indo-europ~en, p. 37. 8 E. Benveniste, ibid., p. 124-125. Wackernagel-Debrunner, Altindische Grammatik, II, 2, par. 568, p. 738, J. Manessy- Guitton, Les substantifs en -as- dans la J~k-Sa.mhita (Dakar, 1961), par. 105. LES NOMS SANSCRITS EN -Has- 173 mais d'une fagon plus compldte puisqu'on ne peut en aucun cas retrouver la trace, m~me incertaine, d'une valeur "inanimde" du terme. Ce phdno- mdne rappelle le cas des pseudo-adjectifs en -ds-; les formes rigvddiques du type apds-, yagds-, rak.sds-, duvds- sont peut-~tre moins des adjectifs (dont ils n'ont pas le caractdre morphologique essentiel dans une langue indo-europdenne qu'est la variation de genre) que des noms d'action animds apposds /t d'autres substantifs: yagds- est "une manifestation particulidre du prestige", rak.sds- est "une manifestation d'hostilitd, d'opposition", susceptibles de s'incarner dans des ~tres particuliers. Une fois admis qu'il est possible ~un nom d'action neutre de glisser darts la catdgorie des animds, il reste ~t prdciser comment et quand ce neutre hypothdtique ddmfmas- "reprdsentation de la maison, ensemble de la maison" a pu atre formd. Le th~me *dome- est connu dans plusieurs langues indo-europe;ennes, en slave (v. sl. dorn~ m., v. r. domovf "vers la maison"), en lituanien (narn~t-darys "architecte", namtdio adv., namuskas "homme casanier", namunaftis "ills de l'h6te" diminutif d'un *namfma- sorti de l'usage), en armdnien (tanuter "maitre de maison", *domu- combind avec *ddrn-), en latin (domus, -gs doublet de domus, -~) ainsi qu'en grec (ionien 8grbg, 5tto)6g "esclave", 5pcotct[, 5tx~a[). 1~ De toutes ces formes, *namfma-, base du ddrivd lituanien, est la plus proche du nom sanscrit mais ne lui corres- pond pas exactement. *Nam~na- est du type thdmatique comme latin dominus ( *dome / ono-). Deux hypotheses se pre;sentent alors /t l'esprit. Ddmfmas- a pu ~tre fair ~ dpoque indienne par adjonction du suffixe -has-, tird d'autres for- mations,/t un th~me *dam~-, parall~le/t ddma-, qui n'a pas 6td employd par les Indiens comme nom inddpendant alors que les Latins l'ont conservd. L'emploi de -nas- serait justifid si le mot ddsignait ~t l'origine "*totalitd de la maison, maisonnde, richesse reprdsentde par la maison". La difficultd rdside dans le fait qu'on est amend/t supposer que l'indo- europden *dome- a survdcu en indo-iranien de mani~re latente pour ne resurgir que dans ce ddrivd. La deuxi~me hypoth~se que l'on peut former ne va pas non plus sans arbitraire: ddrn~nas- pourrait ~tre considdrd comme la sigmatisation, /t dpoque indienne, d'un thdme hdritd *domfmo- qui aurait appartenu 5 des dialectes orientaux de l'indo-europden. Le lituanien dans le groupe bako- 10 J. Pokorny, Idg. etym. Wb., p. 199, W. Meid, "Zur Bedeutung und Bildung yon altindisch dSanfmas-", L F., 63 (1957-1958), p. 151 et suiv., H. Frisk, Griech. etym. Wb., I, p. 403, E. Schwyzer, Gr. Gr., p. 480, Ernout-Meillet 4, Dict. etym. de la langue latine, p. 183. 174 JACQUELINE MANESSY-GUITTON slave et le sanscrit dans le groupe indo-iranien n auraient conserv6 un *domfmo- fait sur le thtme *doma- TM et signifiant "en qui s'incarne l'idte de *dom{t-, manifestation de l'idte de *dom{t-". En latin, A. Ernout (1.c., p. 110) a montr6 que c'&ait prtcistment cela qu'tvoquait le mot dominus, "dans sa maison, il est chez lui, et la maison s'incorporait ~t lui". Dans une soci&6 oO la notion d'hospitalitt, d'accueil dans le groupe social avec les garanties juridiques et les sanctions d'ordre religieux que cela implique, est primordiale, le mot a pu dtsigner le maitre de maison en tant que "h6te". On notera que le sanscrit ddmfmas- rejoint parfois le *namana- lituanien lorsque en V, 1, 8 et 4, 5 il est associ6 au nora habituel de l'htte, 6tithi-. Si le sanscrit a htrit6 un nora thtmatique anita6 *domfmo- > *damgtna-, comment expliquer qu'il l'ait fait passer h la flexion sigmatique tout en lui conservant le genre anim6 surprenant pour un nora en -nas-? Puisque la langue connaissait de nombreux th~mes en -una- ~ suffixe -na- secondaire, *damfma- n'ttait pas plus insolite que mithunt- "apparit", tdrun, a- "jeune", dhar{m.a- "qui porte", "protecteur", ~akund- "oiseau". ~s Faut-il penser que le glissement s'est produit parce que le *damfma-, symbole du groupe familial, reprtsentait de ce fait un ensemble de richesses tant en hommes qu'en bttail ou en biens de toutes sortes? Un passage comme I, 141, 11 tendrait h confirmer cette hypoth~se: I, 141, 11 asm~ rayi.m nd svdtrtham, dtmanasam "(accorde-) nous un maitre de maison (qui soit) comme des richesses de belle valeur". Si l'on acceptait cette histoire morphologique de dtmfmas-, il s'ensui- vrait que uploads/Religion/ les-noms-sanscrits-en-nas.pdf

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  • Publié le Nov 24, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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