EXTRAITS de J.-B. Lecuit, « Mémoire de Dieu : oubli de tout ? La purification d

EXTRAITS de J.-B. Lecuit, « Mémoire de Dieu : oubli de tout ? La purification de la mémoire par l’espérance à la lumière de la pensée de Jean de la Croix », Teresianum, 70/2 (2019) 363-401 https://doi.org/10.1484/J.TER.5.119235 Comment vivre dans l’espérance à laquelle invite l’Évangile du Christ, quand surgissent sans relâche de la mémoire les motifs de désespoir gravés en elle par les épreuves de la vie ? Cette question est de première importance, surtout si l’on est envahi de pensées douloureuses, ou tout simplement si l’on désire vivre dans la joie d’une espérance en Dieu profonde et entraînante. Pour y répondre, nous nous tournerons vers l’enseignement incomparable donné par saint Jean de la Croix dans quinze brefs chapitres de La Montée du Carmel, en son troisième livre (3MC) […]. 1. L’apparente impossibilité de mettre en pratique ce que prône Jean de la Croix 1.1. Les limites de l’oubli généralisé […] Pour vivre en pure et entière espérance de Dieu, à chaque fois que lui viennent des connaissances, des figures ou des images distinctes, elle [l’âme] doit, sans s’y arrêter, se tourner aussitôt vers Dieu dans un élan amoureux et, ne pensant ni regardant pas davantage en ces choses que ce dont le souvenir lui suffit pour comprendre (et faire) ce qui est requis (lo que es obligado), si tel est le cas (3MC 15,1). Autrement dit : efforcez-vous d’oublier tout ce qu’il n’est pas strictement nécessaire de retenir pour l’accomplissement de votre présent devoir, afin d’orienter le plus possible votre attention amoureuse vers Dieu. 1.2. En quel sens il est bénéfique de « vider la mémoire » 1.3. L’union de la mémoire à Dieu selon l’espérance 2. L’opposition entre mémoire, tournée vers le passé et espérance, tournée vers l’avenir 2.1. L’espérance, mémoire du futur 2.2. Les bénéfices de la dépossession de la mémoire Jean ne manque pas d’indiquer […] les bénéfices de la dépossession de la mémoire et de son orientation vers Dieu : joie, paix, pureté de conscience, liberté à l’égard des tentations, docilité à l’Esprit, la libération des « peines et [d]es agitations que les choses et les situations défavorables suscitent dans l’âme » (3MC 6,3), tant il est vrai qu’il « ne vient de trouble à l’âme que par les appréhensions de la mémoire » (3MC 5,1) et que la « sérénité tranquille et pacifique » permet de réussir à « mieux à évaluer les adversités et à y remédier comme il convient » ((3MC 6,3). Parmi les bénéfices de la dépossession de la mémoire, il en est un qui mérite une attention particulière de la part de ceux qui se soucient de l’origine et de la valeur des expériences spiri- tuelles gratifiantes. Nous pouvons penser à toutes les personnes qui en ont bénéficié, mais aussi à celles qui s’inquiètent de ne pas ou de ne plus les vivre. Jean dit on ne plus clairement : « il convient au spirituel de ne pas utiliser sa raison pour savoir ce qu’il possède et ce qu’il ressent, ou ce qu’est telle ou telle vision, connaissance ou tel sentiment, ni avoir envie de le savoir, ni d’en faire cas, mais seulement pour le dire à son père spirituel », non pas, comme on pourrait s’y attendre, pour qu’il identifie leur éventuelle origine divine ou démoniaque, mais, poursuit Jean, « afin que celui-ci lui enseigne à vider sa mémoire de ces perceptions car, malgré tout ce qu’elles sont en elles-mêmes, elles ne peuvent autant l’aider à aimer Dieu que le plus petit acte de foi vive et d’espérance fait dans le dépouillement et le renoncement à tout » (3MC 8,5). Non seulement, écrit plus loin Jean, EXTRAITS de J.-B. Lecuit, « Mémoire de Dieu : oubli de tout ? La purification de la mémoire par l’espérance à la lumière de la pensée de Jean de la Croix », Teresianum, 70/2 (2019) 363-401 https://doi.org/10.1484/J.TER.5.119235 l’âme est libérée des images et des formes, mais elle l’est aussi du souci de savoir si elles sont bonnes ou mauvaises et comment elle doit se comporter avec les unes et avec les autres ; elle est libérée de la peine et du temps que devaient lui coûter les maîtres spirituels pour qu’ils vérifient si elles étaient bonnes ou mauvaises, et de tel genre ou de tel autre ; tout cela, il n’était pas nécessaire qu’elle le sache puisqu’elle ne devait faire cas d’aucune (3MC 13,1). Une telle approche n’aurait-elle pas évité à Thérèse d’Avila elle-même les tourments de l’in- quiétude au sujet de l’origine de ses visions et de la conduite à tenir ? L’expérience de l’accom- pagnement spirituel montre en tout cas qu’elle est trop peu connue et enseignée, alors qu’elle est libératrice. […] Aussi étrange et paradoxal qu’il puisse paraître, l’enseignement de Jean de la Croix est donc non seulement praticable, mais libérateur. En ce qui concerne les souvenirs pénibles, il faut toutefois préciser que leur remémoration méthodique peut s’avérer nécessaire, bien qu’ils troublent l’âme, et même parce qu’ils le font. C’est particulièrement le cas des événements traumatiques. Les recherches actuelles sur ces traumatismes montrent qu’une part de la souf- france des victimes vient précisément de leur impossibilité de se remémorer les événements. La reviviscence des « éléments de la scène traumatique […] ne peut pas être considérée comme un souvenir car elle est vécue au présent, à la différence du souvenir épisodique qui est situé dans le passé » (3MC 13,1). […] Que faire dans les cas moins graves, qui ne nécessitent pas une prise en charge thérapeu- tique ? En tenant compte de la singularité de chaque histoire personnelle, l’accompagnateur spirituel pourra s’appuyer sur l’enseignement de Jean de la Croix, en invitant à ne jamais s’ar- rêter aux pensées qui troublent ou captivent, qu’elles concernent le passé ou l’avenir. Mais cela ne devra pas aller jusqu’à exclure toute exception. La remémoration de ces pensées est en effet bénéfique lorsqu’elle s’accomplit dans le cadre d’un accompagnement spirituel, d’une thérapie psychique ou, à défaut, d’une réflexion personnelle à des moments et selon une durée fixées à l’avance, par exemple dans le classique examen de conscience, dans une relecture de vie, ou dans la nécessaire anticipation des actions futures, sur la base des informations et réflexions archivées dans la mémoire. 3. L’absence de mention des personnes humaines parmi les objets de la mémoire 3.1. Oubli des autres ? 3.2. Oubli de l’humanité du Christ ? 3.3. Oubli de soi ? […] C’est cela même qu’explique Jean de la Croix à propos du risque de « fort orgueil spiri- tuel » menaçant les spirituels : [Certaines âmes,] comme elles voient en elles quelques perceptions et quelques doux sentiments de dévotion qui leur semblent venir de Dieu, […] en sont satisfaites, pensent qu’elles sont très près de Dieu et que ceux qui ne jouissent pas de cela sont très loin ; elles les méprisent comme le pharisien le faisait du publicain (3MC 9,2). Pour éviter ce danger, Jean rappelle que la vertu « réside en ce que l’on ne ressent pas, c’est-à- dire, d’une manière précise et consciente, dans une grande humilité, dans le peu de cas de soi et de toutes ses possessions, en aimant que les autres pensent la même chose et en désirant n’avoir aucune importance (no queriendo valer nada) dans le cœur d’autrui » (3MC 9,3). Dans son ouvrage sur Jean de la Croix, Ascent to Love, Ruth Burrows fait allusion à cette EXTRAITS de J.-B. Lecuit, « Mémoire de Dieu : oubli de tout ? La purification de la mémoire par l’espérance à la lumière de la pensée de Jean de la Croix », Teresianum, 70/2 (2019) 363-401 https://doi.org/10.1484/J.TER.5.119235 recommandation et l’interprète comme un appel à l’oubli de soi. Après avoir pris la liberté de dire « [q]uelles odieuses créatures nous serions si nous suivions ces injonctions à la lettre ! » (p. 38), elle propose d’interpréter lesdites injonctions en ces termes : Pensez que vous êtes peu de chose et soyez heureux que les autres ne vous considèrent pas comme quelqu’un de très important […]. Une telle volonté d’oublier l’ego, de le perdre de vue, exige une foi ferme dans l’amour de Dieu. Chacun de nous est extrêmement important pour Dieu ; nous pouvons nous permettre de nous détendre un peu et de le laisser s’occuper de nos petits « moi » (p. 38). […] La non-importance qu’il s’agit de reconnaître et d’accepter est tout simplement la négation de notre aptitude à mériter par nous-mêmes l’amour de Dieu, qui seul, ultimement, nous donne de l’importance, jointe à la négation de la supériorité à l’égard d’autrui que nous nous attribuons faussement, chaque fois que nous faisons comme si nos qualités et nos réussites avaient leur source ultime en nous-mêmes, plutôt qu’en Dieu : « Qui donc en effet te distingue ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4,7). Ce que nous avons à accepter, c’est la non-importance de ce que Jésus uploads/Religion/ memoire-de-dieu-oubli-de-tout-la-purifi.pdf

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  • Publié le Jan 27, 2021
  • Catégorie Religion
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