LA PARURE DES ABDÂL (Hilyatu-l-Abdâl) Traduit de l’arabe et annoté par MICHEL V
LA PARURE DES ABDÂL (Hilyatu-l-Abdâl) Traduit de l’arabe et annoté par MICHEL VÂlSAN PRÉSENTATION Le présent traité fait partie des nombreux petits écrits de Muhy ed-Dîn Ibn Arabî. Datant de la première moitié de sa vie (1), mais d'une époque ou le Maître s'était déjà manifesté comme Sceau de la Sainteté muhammadienne (Khatamu-l-Wilâyati-l- muhammadiyya), cette œuvre expose sous une forme succincte l'essentiel de son enseignement sur les moyens fondamentaux du travail spirituel. Pour souligner l'importance de ceux dont il parle, il les montre comme constituant plus spécialement la méthode de réalisation d'une des plus hautes catégories initiatiques, les Abdâl. Le titre complet du traité est du reste assez expressif : « La Parure des Abdâl et ce qui s'en manifeste en fait de connaissances et états spirituels » (Hylyatu-l-Abdâl wa mâ yazharu 'anhâ mina-l-ma'ârifi wa-l-ahwâl). La notion de hilya = « parure » n'est pas une simple figure de style ; elle est liée au contraire au terme technique de tahally, dérivé de la même racine et signifiant au sens littéral « prise de parure » ; appliqué à la réalisation initiatique ce terme est un symbole de « l'appropriation des qualités divines », al-ittisâfu bi-l-Akhlâqi al- ilâhiyya, appelé plus couramment « la caractérisation par les Noms divins », at- takhalluqu bi-l-Asmâ'. La « parure » des Abdâl est donc la théosis qui qualifie plus spécialement cette catégorie initiatique. Dans l'enseignement de Muhy ed-Dîn qui observe toujours la règle des convenances spirituelles – celles-ci ne sont pas de simples mesures de prudence extérieure puisqu'elles assurent plutôt les modes les plus opportuns de la conception intellectuelle – le tahally est présenté comme étant « la manifestation de la Servitude Absolue, malgré la caractérisation par les Noms divins » (2). La matière des différents chapitres de notre traité a été reprise plus tard dans le cadre des Futûhât, mais l'intérêt de cet opuscule d'un caractère synthétique n'en est pas diminué. Toutefois nous avons estimé utile de compléter ces données, dans les notes, par des éléments additionnels puisés, entre autres dans un petit chapitre des Futûhât, le 53e, intitulé : « Ce que doit pratiquer l'aspirant tant qu'il n'a pas trouvé le maître », car les règles générales de la méthode initiatique dont il est question dans la « Parure des Abdâl » sont susceptibles d'une certaine application à la discipline préparatoire de ceux qui sont à la recherche d'un maître spirituel. La traduction a été faite d'après l'édition de Damas (1929), collationnée avec deux manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris, compris dans les recueils numéros 1338 et 6614 (le premier de ces manuscrits est très fautif) (3). 1 – 599 de l'Hégire ; Muhy ed-Dîn, qui est né 560 et mort en 638 H. (= 1165-1240), avait alors 38 ans (en années solaires). 2 – Futûhât, chap. 73, q. 153. 3 – L’édition de ce texte faite à Hayderabad (1948) ne nous est parvenue qu’après la composition du présent travail. [Ce texte a été publié pour la première fois dans la revue Etudes Traditionnelles, n°286 et 287, septembre-octobre et novembre 1950]. LA PARURE DES ABDÂL Au nom d'Allâh, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux ! Louange soit rendue à Allâh pour ce qu'Il a inspiré (1) et « parce qu'Il nous a enseigné ce que nous ne savions pas ! Il nous a accordé ainsi une faveur magnifique ! » (2) Et qu'Allâh prie sur le Chef le plus auguste, le Prophète le plus noble, celui qui a reçu les « Sommes des Paroles » (3) à la Station Suprême et qu'Il lui accorde Ses salutations ! 1 – Il semble qu'il y ait là une référence implicite à l'histoire raconté un peu plus loin, où l'on trouve mentionnée « l'inspiration » qu'eut le personnage Abu-l-Majîd ben Selmah de poser à l'un des Abdâl la question des moyens par lesquels ont peut arriver à la condition initiatique de ceux-ci. Cela est d'autant plus probable que le présent écrit se présente comme un commentaire de la réponse que fit alors le Badal. Mais d'autre part il y a là encore une référence à l'inspiration qu'eut notre auteur même, consécutive au rite d'istikhâra accomplit par lui avant de procéder à la rédaction de ce traité. D'ailleurs il devait y avoir entre ces deux « inspirations » une certaine relation, et nous en signalerons plus loin quelques incidences. 2 – Cf. Coran, 4, 113. 3 – Termes d'un hadith (cf. notre traduction du Livre du Nom de Majesté de Muhy-d- Dîn Ibn Arabî). La révélation apportée par le Sceau des Prophètes est traditionnellement considérée comme renfermant toutes les paroles révélées. Un sens plus spécial de cette expression est que la forme de cette révélation faite en arabe présente certains caractères synthétiques qui assurent une pluralité d'acceptions, même du point de vue strictement verbal. * * * Dans la nuit de lundi 22 du mois de Jumâdâ-l-Ulâ, en l'année 599, me trouvant à l'étape d'El-Mâyah à Tâïf (4) à l'occasion de la visite pieuse que nous avons faite (au tombeau) d'Abdallah Ibn Abbâs, cousin du Prophète, j'ai adressé à Allâh une « demande de conseil » (5) du fait que mes compagnons Abû Muhammad Badr ibn 'Abdallâh al-Habashî (l'Abyssin) (6), affranchi d'Abû-l-Ghanâ'im ben Abî-l-Futûh al- Harrânî, et Abû 'Abdallâh Muhammad ben Khâlid es-Sadafî at-Tilimsânî (Tlemcen) – qu'Allâh leur soit propice à tous les deux – m'ont demandés de rédiger pour eux, en ces jours de visite pieuse, quelques enseignements dont ils pourraient tirer profit dans la voie vers la vie future. Après avoir accomplit ma « demande de conseil », j'ai écrit le présent cahier (kurrâsa) que j'ai intitulé : « La Parure des Abdâl et ce qui s'en manifeste en fait de connaissances et états spirituels » (7), qui pourrait leur être, à eux ainsi qu'à d'autres, une aide sur le chemin du bonheur et un texte synthétique traitant des différents modes de la volonté spirituelle (al-irâda). Et pour cela, de l'Existentiateur de l'univers nous demandons appui et aide ! 4 – Localité à 75 milles au sud de La Mecque. Le nom de l'étape n'est pas sûr ; un manuscrit porte Alu Umayah [et le texte imprimé dans les Rasâ'il indique = Al- Mayah à Tâ'if]. 5 – Il s'agit du rite de l'Istikhâra qu'on pourrait définir comme une demande adressée à Dieu d'être guidé dans le choix de ce qui est meilleur, soit devant une alternative, soit avant toute résolution à prendre. La règle traditionnelle courante prévoit qu'une telle demande soit précédée d'une prière de deux raka'ât (la rak'a est l'unité fondamentale des formules et des gestes dont se compose la prière légale appelé salât). La réponse providentielle peut être obtenue de diverses manières, entre autres par une inspiration perçue clairement, soit par une évidence éprouvée de la solution la meilleure, soit par une assistance qui ne se manifeste pas distinctement du cours des événements. Un cas particulier de réponse est faite par une consultation du Coran, en l'ouvrant et en lisant un verset (à ce sujet il y a les modalités diverses du fa'l). 6 – Celui-ci est un personnage de première importance parmi les disciples et les compagnons du Sheikh al-Akbar, qui le mentionne encore dans d'autres écrits. Il lui a dédié notamment Mawâqi' an-Nujûm (Les couchants des Astres), Kitâb Inshâ' ad- dawâ'ir wa-l-jadâwil (le Livre des circonférences et des tableaux), et Al-Futûhât al- Makkiya (Les révélations de la Mecque). 7 – Les Abdâl constituent l'une des plus hautes catégories initiatiques. Ils sont dits être au nombre constant de 7. Représentants des 7 Pôles célestes dans les 7 Climats terrestres, ils résident chacun dans un Climat qu'il régit. On trouvera à la fin encore quelques indications sur leurs caractéristiques initiatiques. * * * Sache que l'Autorité (al-hukm) (8) est fruit de la sagesse (al-hikma), et que la Science (al-'ilm) est fruit de la connaissance (al-ma'rifa) (9). Celui qui n'a pas de Sagesse n'a pas d'Autorité, celui qui n'a pas de connaissance n'a pas de Science. Celui qui possède à la fois l'Autorité et la Science (al-hâkim al-'âlim) se dresse « pour Allâh » (li-Llâhi qâ'im), et celui qui a la sagesse et la connaissance (al-hakîm al-'ârif) reste « par Allâh » (bi-Llâhi wâqif) : les gens d'autorité et savants sont ainsi des lâmiyyun (ayant comme emblème la lettre lâm) pendant que les sages-connaisseurs sont des bâ'iyyûn (ayant comme emblème la lettre bâ') (10). 8 – Sans entrer ici dans des explications trop spéciales, on peut préciser que l'Autorité ou le Pouvoir de décision que désigne ici le terme hukm, et que possèdent exceptionnellement certains awliyâ', fait partie des attributs de prophétie légiférante qui peuvent être « hérités » (cf. Futûhât, chap. 158, 159 et 270). Ce pouvoir implique une certaine formulation d' « ordre » (amr) et de « défense » (nahy), dont les modes sont d'ailleurs très variés. 9 – Dans la terminologie technique de Muhy ed-Dîn, qui est d'ailleurs conforme à la parole coranique et à l'enseignement du Prophète, la Science est supérieure à la Connaissance. La première est rattachée uploads/Religion/ michel-valsan-la-parure-des-abdal.pdf
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- Publié le Jui 04, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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