Les voyages de Louis Boniface, coadjuteur du Grand Saint-Bernard, autour du Mon

Les voyages de Louis Boniface, coadjuteur du Grand Saint-Bernard, autour du Mont-Blanc (1695-1724) Lucien QUAGLIA INTRODUCTION Aujourd'hui, on fait aisément, grâce à l'automobile, le tour du Mont- Blanc en un jour ; il n'en était pas de même il y a deux siècles et demi. Un chanoine du Saint-Bernard, Louis Boniface, qui, vers 1700, a parcouru inlassablement les abords du massif, en a laissé un intéressant témoignage dans une relation journalière de ses allées et venues : son Itinéraire. 1. U auteur En descendant la vallée d'Aoste, à une vingtaine de kilomètres en aval de la cité, on atteint, sur la rive gauche de la Doire, le village de Chambave. Il est adossé à un coteau où Ton cultive le muscat. Au-dessus des vignes, la pente s'adoucit et forme un plateau allongé où sont dispersés, dans les champs et les vergers, des hameaux rattachés à l'église de Saint-Denis. A l'extrémité orientale du plateau se dressent les ruines imposantes du château de Cly, construit par Boniface de Challant vers 1250. C'est dans cette paroisse que naît, le 16 mars 1664, Louis Boniface, fils de Barthélémy et futur prévôt de la maison du Grand Saint-Bernard. Il passe son enfance dans sa famille, qui comprend trois garçons et deux filles. Privé de sa mère assez tôt, c'est une de ses sœurs, Marie, qui la remplace durant ses premières études. Le prévôt du Saint-Bernard, Antoine Norat, qui a remarqué l'esprit éveillé du jeune homme, le patronne et l'envoie à Grenoble, de 1688 à 1692, faire sa théologie qu'il couronne en 1693 par le doctorat. De retour à Aoste, Boniface semble s'engager dans le clergé séculier. En effet, l'évêque Alexandre de Lambert de Soirier le prend avec lui en 1693, alors qu'il n'est que sous-diacre, pour l'aider dans une visite pastorale du diocèse. Il l'apprécie et en fait un membre de sa famille épiscopale, à titre de secrétaire. Boniface est ordonné prêtre en 1694. 65 Cependant, le prévôt Norat venait d'instituer, en 1687, des cours de philosophie et de théologie au prieuré de Saint-Jaquême d'Aoste. Il y attire son protégé qui, tout en continuant sa charge auprès de l'évêque de Lambert, remplit, dès 1693, l'office de professeur de philosophie et de surveillant dans le nouveau collège. Cette activité conduit Boniface à la maison du Saint-Bernard. En 1695, il fait le noviciat à Saint-Jaquême puis, en 1696, la profession religieuse, tout en exerçant le professorat. De 1697 à 1700, il enseigne la théologie selon la doctrine de saint Thomas avec une maîtrise qui lui vaut le succès. L'autorité de Boniface s'impose au point que le prévôt Persod, atteint d'une grave maladie dont l'issue peut être mortelle, le choisit, en 1699, en qualité de coadjuteur avec droit de succession. Dès 1700, Boniface abandonne l'enseignement et seconde le prévôt dans les multiples affaires de la maison : administration, collation des bénéfices, correction des religieux, défense des droits, conduite des procès, etc. A cet effet, il se déplace beaucoup refaisant inlassablement, à dos de cheval, le tour du Mont-Blanc. En 1709, par suite de divergences au sujet des constitutions tombées en désuétude et qu'il veut remettre rigoureusement en vigueur, Boniface encourt la disgrâce du prévôt. Celui-ci le relègue à Thonon avec ordre de s'occuper du procès d'Allinges qu'il estime perdu. Il s'agit de revendiquer ce bénéfice accaparé par les séculiers. Boniface se soumet mais continue à travailler de toutes ses forces à remettre en usage la stricte observance, en collaboration avec le nonce de Lucerne et ses confrères partisans des constitutions. Cette activité lui vaut des inimitiés violentes, jusqu'à mettre sa vie en danger. Las de consacrer son temps à des procès, il en commet le soin, en 1717, à un confrère et, malgré ses 53 ans et une santé délabrée, va résider à l'hospice du Saint-Bernard. Il y reste sept ans, faisant observer à la lettre les consti- tutions, en dépit d'une opposition qui ne désarme pas, appuyée qu'elle est par le laisser-faire complice du prévôt. A force d'énergie et de sévérité, il parvient à établir, dans la communauté, une régularité qui lui vaudra les éloges du nonce de Lucerne, Dominique Passionei, en visite au Saint-Bernard en 1722. Le coadjuteur suscite ainsi un renouveau de vie religieuse consti- tutionnelle qui lui survivra, en dépit de la rage que les anticonstitutionnels mettent à l'entraver. Cependant, le prévôt Persod touche à la fin de sa carrière. La cour de Turin ne voit pas de bon œil la promotion de Boniface qui, en travaillant à l'observance des constitutions, menace d'ôter à cette cour la nomination du prévôt. Elle tente de le transférer à la prévôté d'Oulx, en Piémont. Mais le décès du prévôt prévient les machinations de Turin et Boniface succède de droit au prévôt Persod en 1724. Il réside à l'hospice, puis à Saint-Jaquême. Dans ce centre de l'opposition aux constitutions, il les impose avec une main de fer. Le roi de Sardaigne, redoutant que la nomination du prévôt lui échappe, mande Boniface à Turin à la fin de 1727 et lui fait subir une telle pression qu'il accepte comme coadjuteur, avec droit de succession, Léonard Jorioz, un adversaire acharné des constitutions. Boniface rentre à Aoste très déprimé de sa capitulation ; il décline durant plusieurs mois et meurt le 4 août 1728. Son œuvre de réforme s'écroule à Aoste mais se maintient à l'hospice. 66 2. Le manuscrit de F« Itinéraire » L'hospice du Saint-Bernard conserve, dans ses archives, deux volumes manuscrits portant au dos les titres suivants : Itinéraire de Louis Boniface, 1695 à 1712 et Itinéraire du coadjuteur Boniface, 1712-1724. Ils sont doublés en parchemin renforcé de papiers collés. Les cahiers sont cousus avec de la ficelle. Une des doublures, assez longue pour se rabattre sur la tranche, est munie à son extrémité d'une lanière de peau qui permet de fermer solidement le volume ; précaution fort utile pour la conservation d'un livre de route que l'auteur portait partout avec lui. A cette destination convenait aussi le format adopté, de petites dimensions. Le premier volume compte 590 pages (16,2 X 13,3 cm.). Il a pour titre : Itinerarium legendum. Le 2 e volume est intitulé : Continuation de mon itinéraire. Il compte 678 pages (16,2 X 11,8 cm.). L'écriture est toujours lisible et ne cause presque pas de difficultés pour l'établissement du texte. 3. Intérêt de f « Itinéraire » A première vue, il semble que cet Itinéraire ne peut offrir un grand intérêt : des dates, des déplacements, des notes d'auberges, de libraires ou d'avocats, des affaires brièvement mentionnées, souvent laissées en suspens, en somme rien de bien passionnant. Cependant il nous est arrivé plus d'une fois, tandis que nous transcri- vions le texte, de nous laisser prendre par le récit et de poursuivre par curiosité pour connaître l'issue d'un voyage, d'un procès, d'une intrigue, d'une épreuve ou d'une correction infligée. L'élément dramatique ne manque donc pas et il prend du relief par le fait du ton ordinairement uni. Outre cet élément dramatique que tout homme aime à rencontrer dans ses lectures, Yltinéraire offre beaucoup d'autres sujets d'intérêt. Il nous fait parcourir tant de fois le tour du Mont-Blanc, dans un large rayon, jusqu'à Sion et Viège, Ivrée et Turin, Chambéry et Vienne en Dauphiné, Genève et Vevey, qu'il nous rend familiers les chemins alors suivis, les particularités des voyages, à cheval surtout, en bateau, en chaise à chevaux porteurs, en carosse et aussi à pied quand les autres moyens de locomotion se révèlent impraticables. Les passages du col du Grand Saint-Bernard à toute saison, souvent pénibles et périlleux, évoquent de façon très concrète les méthodes employées pour franchir les Alpes. Puis ce sont les longues randonnées dans les vallées, le long du Léman, de cure en cure ; les étapes dans les auberges aux noms sonores, comme le Lion d'Or, l'Ecu de France, le Coq d'Inde ; les notes à payer aux aubergistes pour le maître, pour le valet et pour les chevaux ; les arrêts plus ou moins longs dans les villes ou les bourgs, au gré du cours des affaires, etc. C'est tout un mode de voyager, dont nous somme» déshabitués, qui est présenté en plein mouvement. Boniface se déplace surtout pour les affaires de la maison. Aussi laconique soit-il, il est bien obligé d'en dire quelque chose. Ainsi, nous sommes mêlés au procès d'Allinges, à celui de l'alpage de Mémise sur Thollon et du droit de sépulture dans le prieuré de Saint-Jaquême d'Aoste, aux diverses 67 phases des luttes pour les constitutions et à bien d'autres aventures. Ce qui fait surgir devant nos yeux des juges, des avocats, des notaires, le sénat de Chambéry, la curie de Vienne, avec tout le jargon juridique dans lequel Boniface se meut avec une parfaite aisance. Il a aussi à traiter des affaires internes de la maison et, à cette occasion, il nous fait lier connaissance avec les communautés de l'hospice et de Saint-Jaquême, les curés et vicaires des paroisses du Saint-Bernard. Ces activités mettent Boniface en relation avec les autorités ecclésiastiques et civiles : le uploads/Religion/ les-voyages-de-louis-boniface-coadjuteur-du-grand-saint-bernard-autour-du-mont-blanc-1695-1724.pdf

  • 30
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Nov 26, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 5.6716MB