[Extrait de Folia Electronica Classica, t. 25, janvier-juin 2013] <http://bcs.f

[Extrait de Folia Electronica Classica, t. 25, janvier-juin 2013] <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/25/TM25.html> Apulée et le Christianisme. À propos d’une arétalogie isiaque et d’un hymne néotestamentaire par Hippolyte MIMBU KILOL Professeur de langue et littérature latines à Kinshasa (R.D.C.) <hippolytemimbu@yahoo.fr> Sommaire : Rédigé en hommage à Paul-Marie Buetubela, professeur émérite de grec biblique et d’exégèse néotestamentaire, cet article voudrait soumettre à l’attention des spécialistes de la Bible et des lettres latines une nouvelle hypothèse relative à l’arrière-fond littéraire du cantique paulinien au Christ, chef de l’univers (Colossiens 1, 15-20). Il semble en effet que la piste égyptienne, en particulier le culte d’Isis, mériterait de figurer parmi les sources possibles de l’hymne de saint Paul. Bruxelles, avril 2013 2 H. MIMBU KILOL Rédigé en hommage à Paul-Marie Buetubela, professeur émérite de grec biblique et d’exégèse néotestamentaire, cet article voudrait soumettre à l’attention des spécialistes de la Bible et des lettres latines une nouvelle hypothèse relative à l’arrière-fond littéraire du cantique paulinien au Christ, chef de l’univers (Colossiens 1, 15-20). On trouvera ci-dessous une traduction française de ce texte. « Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, Car en lui tout a été créé, Dans les cieux et sur la terre, Les êtres visibles comme les invisibles, Trônes et Souverainetés, Autorités et Pouvoirs. Tout est créé par lui et pour lui Et il est, lui, par devant tout ; Tout est maintenu en lui, Et il est, lui, la tête du corps qui est l’Église. Il est le commencement, Premier-né d’entre les morts, Afin de tenir en tout, lui, le premier rang, Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude Et de tout réconcilier par lui et pour lui, Et sur la terre et dans les cieux Ayant établi la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 15-20) * Commençons par un état de la question. Depuis plusieurs décennies, les exégètes ont évoqué deux hypothèses principales pour rendre compte de l’origine de Colossiens 1, 15 – 20. APULEE ET LE CHRISTIANISME 3 La première propose de rattacher ces versets à la littérature hellénistique. À cet effet, on les a rapprochés de passages du Phèdre et du Timée de Platon, des lettres de Sénèque, des Pensées de Marc-Aurèle, etc.1 La seconde, actuellement en faveur, considère la littérature sapientielle de l’Ancient Testament (A.T.) comme la principale source de l’hymne paulinien en question. Un des plus illustres représentants des cette position est le père Jean-Noël Aletti2. La TOB (Traduction œcuménique de la Bible), dans son édition de 1998, résume ainsi l’état des problèmes : « L’origine du passage est discutée. Certains y voient l’adaptation d’un hymne hellénistique, d’inspiration stoïcienne déjà gnostique. Les autres, avec plus de vraisemblance, le considèrent comme une composition chrétienne d’inspiration sapientiale : comme la Sagesse, le Christ est image de Dieu (Sg 7, 26), il préexiste à toute créature (Pr 8, 22-26), il prend une part active à la création (Pr 8, 27-30) et conduit les hommes à Dieu (Pr 8, 31-36) ».3 Nous n’avons pas l’ambition de soumettre à un nouvel examen critique ces deux hypothèses, c’est l’affaire des exégèses. Nous voudrions toutefois ajouter des éléments qui ne semblent pas, du moins à notre connaissance, avoir été pris en compte jusqu’à présent. Il s’agit donc ici d’une hypothèse originale, c’est-à-dire d’une troisième hypothèse. D’aucuns pourront la regarder comme un aspect négligé de la première dans la mesure où l’hellénisme y joue un rôle. Mais elle pourrait aussi, si on la creuse davantage, concilier les défenseurs et les adversaires des deux premières dans la mesure où l’on a déjà signalé depuis longtemps une influence de la littérature sapientiale égyptienne sur celle d’Israël4. Mais telle n’est pas notre préoccupation immédiate. Jusqu’à présent les uns et les autres ont focalisé leur attention sur quelques écrits grecs et vétérotestamentaires. Or, il nous semble que la piste égyptienne, en particulier le culte d’Isis, mérite de figurer parmi les sources possibles de l’hymne de saint Paul. En effet, tous les spécialistes s’accordent à reconnaître un hymne en Colossiens 1, 15-20. Dès lors, avant de 1 ALETTI J.-N., Colossiens 1, 15-20. Genre et exégèse du texte. Fonction de la thématique sapientielle, Rome, Biblical Institute Press, 1981, p. 207. 2 Cfr la note précédente. Pour une critique de cette position, lire TRIMAILLE M., « Le Christ, sagesse de Dieu et maître de sagesse dans le nouveau Testament », in LEBRUN R. (texte réunis par), Sagesse de l’Orient ancien et chrétien. La voie de vie et la conduite spirituelle chez les peuples et dans les littératures de l’Orient chrétien (Sciences théologiques et religieuses, 2), Paris, Beauchesne, 1993, p. 199-200. 3 Traduction œcuménique de la Bible. Édition intégrale. Nouveau Testament, Paris, Les Éditions du Cerf/Les Bergers et les Mages, 1985, p. 600, note p (Col 1, 15) ; CARREZ M. et al., Lettres de Paul, de Jacques, Pierre et Jude (Petite bibliothèque des sciences bibliques. Nouveau Testament, 3), Paris, Desclée, 1983, p. 198. 4 MORENZ S., La religion égyptienne. Essai d’interprétation, traduit de l’allemand par JOSPIN L., Paris, Payot, 1977, p. 322-323 : « Les plus connus de ces rapports sont ceux entre la sapience d’Aménopé et le livre biblique des proverbes ». Cfr TOB, p. 1535, 1537, note m (Pr 22, 17). 4 H. MIMBU KILOL penser à d’autres genres, nous pouvons postuler, en toute logique, qu’il s’inspire peut-être d’un autre hymne. En tout état de cause, nous sommes fondés à le comparer à d’autres hymnes. Car c’est une exigence méthodologique de l’analyse comparative, dont relève partiellement le rapprochement établi entre des textes, de comparer uniquement les objets « homologuables », c’est-à-dire appartenant à la même classe. Or, la religion égyptienne, singulièrement le culte d’Isis, qui était répandue dans tout le bassin occidental et oriental de la Méditerranée depuis le IIIe siècle av. J.-C., a laissé de nombreux hymnes en l’honneur d’Isis. On les désigne par le terme technique d’arétalogie : ils consistent en une proclamation et une énumération des éloges d’Isis, de ses vertus et de ses bienfaits à l’humanité. De ce point de vue, la visée des arétalogies isiaques est analogue à celle du cantique paulinien qui exalte le Christ, célèbre sa primauté et son œuvre. On a découvert une dizaine de textes de longueur variée qui peuvent être considérés comme des arétalogies d’Isis ou des divinités de son cercle. Avant de confronter les textes, nous donnerons un aperçu sur leur contexte global. I. Contexte historique et géographique En vue de notre discussion, il importe de signaler que les spécialistes sont divisés sur l’origine de ces textes : les uns pensent que les arétalogies isiaques sont une traduction grecque d’un original égyptien, d’autres estiment plutôt qu’elles ont été écrites en grec, même si l’essentiel de leur contenu demeure égyptien. Quoiqu’il en soit, le plus important ici est de montrer que, du point de vue de la langue, les hymnes d’Isis, en dépit de leur fond égyptien, n’étaient point inaccessibles aux locuteurs grecs dont les auteurs du N.T., tels que Paul ou les destinataires de ses lettres. Il y a eu d’ailleurs une interpretatio Graeca d’Isis. (L’inculturation dont on a souligné avec raison les fondements bibliques, théologiques et pastoraux n’est-elle pas aussi un phénomène naturel nécessaire à toute religion qui essaime hors de son terroir ?). Tout aussi utile est de préciser la date de ces arétalogies pour mieux les situer par rapport à celle de la Lettre aux Colossiens. La plus ancienne a été composée vraisemblablement à la fin du IIe ou au début du Ier siècle av. J.-C. et la plus récente date des IIe et IIIe siècles de notre ère5. Dans la mesure où le contenu des différentes arétalogies isiaques demeure fondamentalement le même, les plus récentes répétant les plus anciennes, on 5 LE CORSU Fr., Isis. Mythe et mystères, Paris, Belles Lettres, 1977, p. 105 ; LECANT J., « Aegyptiaca et milieux isiaques. Recherches sur la diffusion du matériel et des idées », in Aufstieg und Nierdergang der Römischen Welt (ANRW), II, 17, 3, Berlin-New York, 1984, p. 1684-1695. APULEE ET LE CHRISTIANISME 5 peut considérer comme acquise l’antériorité chronologique de leur contenu sémantique par rapport aux écrits du N.T. Peu importe qu’elle ait été composée entre 54 et 63 ou à la fin du Ier siècle de notre ère6, la Lettre aux Colossiens est postérieure aux premières arétalogies isiaques. Cette insistance est nécessaire. Autrement, une hypothèse comme la nôtre paraîtrait absurde. Car L’Âne d’or d’Apulée (125-170) qui nous a transmis quelques arétalogies d’Isis que nous étudierons ci-dessous est postérieur à saint Paul puisqu’il a été composé au IIe siècle de notre ère. Mais il est hors de doute que les thèmes développés ou repris par cet auteur latin lui sont antérieurs, comme l’attestent d’autres sources écrites, épigraphiques et archéologiques7. Une autre question à examiner comme préalable au rapprochement que nous avons en vue est celle de la proximité géographique entre l’univers isiaque et celui du christianisme, voire de saint Paul. On sait que la ville de Colosses, milieu destinataire de l’épître de saint Paul, uploads/Religion/ mimbu.pdf

  • 19
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Apv 05, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1802MB