ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ, LE CAS DE JOSEPH Isabelle Cohen In Press | « Pardès » 20

ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ, LE CAS DE JOSEPH Isabelle Cohen In Press | « Pardès » 2013/2 N° 54 | pages 121 à 134 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848352800 DOI 10.3917/parde.054.0121 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-2-page-121.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En effet, selon Hirsch 2, ikha signifie « raccommoder, relier » au sens de la sociabilité (akhou étant la « prairie » définie comme un tissu d’herbes, c’est-à-dire de plantes n’apparaissant pas isolément), de même que la racine du vocable « société » est socius, l’allié dans un combat commun. Enfin, en hébreu comme en français, la racine du mot « famille » désigne la condition d’esclave (famulus et shifka – la servante – pour mishhpakbah, la famille), c’est-à-dire tous ceux vivant sous le même toit, attachés à la maison du chef de famille et, donc, au service de son projet. Ces convergences étymologiques expliquent que la suspicion de subir, à l’intérieur du projet paternel, un lèse de valeur puis de prérogative soit presque inévitable. À cet égard, l’histoire de Joseph et de ses frères constitue le récit emblématique d’un lien de fraternité à raccommoder. À quelles conditions les grands commentateurs juifs considèrent-ils que le lien de fraternité puisse être vu comme une source de manques, comme une cause de dégradation de l’image de soi ou, pire, comme une entrave à l’émergence de soi comme sujet ? Estiment-ils que le lien existant entre Joseph et ses frères ait finalement été réparé ? Comment transposent-ils cette réflexion dans l’horizon métaphysique ? En d’autres termes, le lien fraternel entre les individus, mais aussi entre les peuples, est-il toujours par définition à raccommoder et comment cela est-il possible ? LA PART SPIRITUELLE Si Joseph semble mettre à mal l’unité familiale au profit de la construc- tion d’une relation de fraternité avec le monde extérieur, c’est sans doute pour mieux fonder la fraternité d’Israël. © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) 122 PARDÈS N° 54 Isabelle Cohen En effet, la part spirituelle de Joseph semble s’accomplir au mépris de celle de ses frères. La part spirituelle d’un individu peut être définie comme ce qu’il est le seul à pouvoir apporter de bon au monde. Il s’agit de sa meilleure part. Dans ce domaine, la tradition juive infirme toute idée d’interchangeabilité entre les êtres. Or, il apparaît que Joseph prolonge la part de Jacob, son père, comme en témoignent de nombreuses ressemblances 3. Leur condition et leur destin les rapprochent : leurs mères sont stériles ; ils exercent la fonction de berger, vivent dans l’opulence, suscitent la jalousie fraternelle, subissent l’exil et connaissent des années de labeur avant d’atteindre le bonheur. Leur ressemblance concerne également leur physique : ils ont le même visage, car une même beauté d’âme 4 renvoie à une même sagesse 5. Ces ressemblances apparaissent comme autant d’aptitudes ou d’instruments indispensables à la réalisation de leur vocation. C’est la raison pour laquelle il est légitime qu’ils soient reçus en héritage, qu’il s’agisse de legs de nature matérielle ou spirituelle 6. De la même façon, la part spirituelle de Jacob prolonge celle d’ Abraham. En effet, c’est la vente de Joseph en Égypte qui permet les quatre cents années du séjour des Hébreux en Égypte annoncées à Abraham (Gen 15 : 13) après la promesse d’une descendance nombreuse et de la possession de la terre de Canaan. Or, dans la mesure où la comparaison de la postérité d’ Abraham avec les étoiles du ciel apparaît pour la première fois dans ce passage, on peut interpréter le deuxième rêve de Joseph, qui assimile ses onze frères à des étoiles, comme annonçant l’imminence de l’exil 7. Cependant, c’est Jacob qui aurait dû descendre enchaîné en Égypte. Dieu, considérant cette idée comme insupportable, y envoie Joseph, afin que ce dernier contraigne son père à le rejoindre 8. En quoi consiste la part spirituelle de Joseph ? En sa qualité de fils de Rachel, caractérisée par son extrême beauté, Joseph relève du monde révélé mais, comme fils de Jacob, dont la valeur caractéristique est la vérité (émeth), il s’agit de la vérité comprise comme l’absence de contradiction interne ou harmonie (tifereth) 9. Ainsi, en digne fils de Rachel, il devient vice-roi, nourrisseur de peuples, et fonde la lignée de Josué, le conquérant. Comme fils de Jacob, il incarne la figure du juste (tsaddik), caractérisée par la droiture, présentée comme fille de la vérité, dans l’arbre séphirotique, comme le montre sa loyauté envers son maître, Putiphar. L’union dont il est le fruit lui permet donc de faire intervenir la droiture dans le monde révélé. Toutefois, le but ultime de Joseph consiste à donner au monde de l’exil la conscience du Dieu unique. En effet, la notion d’exil renvoie © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) PARDÈS N° 54  123 Égalité et fraternité, le cas de Joseph essentiellement à celle de l’esprit, fermé à la conscience de la présence divine. Les vaches grasses symboliseraient le temps où la sainteté apparaît à l’homme et il convient alors d’en constituer des réserves 10. Ainsi, en réponse à l’émerveillement des Égyptiens que suscite son action, Joseph n’a que le nom de Dieu à la bouche 11. Il leur apprend qui est le vrai Dieu, allant jusqu’à les circoncire 12, car on ne peut profiter des mérites d’un tsaddik que si l’on possède soi-même un trait quelconque de ressemblance avec lui, même extérieur. Or, la droiture de Joseph se manifeste dans sa pureté sexuelle, l’arbre des sephiroth le présentant, d’ailleurs, comme l’axe vertical du « fondement » (ou yessod). Ainsi, la part spirituelle de Joseph semble résider dans l’accomplissement de la sanctification du nom de Dieu dans le monde révélé. LES ENTRAVES DE JOSEPH À quels obstacles intérieurs se heurte-t-il pour réaliser sa part spiri- tuelle ? Autrement dit, quelle est sa souffrance ? De quel conflit est-il le lieu ? En effet, la tradition juive propose, schématiquement, deux grandes explications de la souffrance individuelle. Afin que l’équilibre cosmique soit assuré, elle peut constituer une réponse à une violence exercée sur le monde par un homme ordinaire. Il ne s’agit pas d’une punition, mais, par un dispositif complexe, de pallier son altération. Pour ce qui concerne les justes, que la pulsion de mort, par définition, ne peut traverser, le Talmud 13 enseigne que la souffrance signale le caractère incomplet de la réalisation de la vertu complémentaire à leur qualité principale, ce qui a pour effet de les empêcher d’accéder au niveau le plus élevé auquel ils puissent prétendre. Tout se passe comme s’ils étaient retenus d’occuper pleinement leur place. Ces souffrances relèvent de la catégorie des « souffrances d’amour », non pas en vertu de l’adage selon lequel « Qui aime bien, châtie bien », mais si l’on considère 14 que l’étymologie du verbe aimer en hébreu (ahav) signifie « aspirer à être le plus proche possible », alors il apparaît que ces souffrances permettent de se tenir au plus près de Dieu, c’est-à-dire aussi de notre part divine propre. Or, Joseph est qualifié de juste par le Zohar. À ce titre, il est caractérisé par deux aptitudes fondamentales, propres à l’accomplissement de sa tâche consistant en l’avènement, selon le Zohar, du « jugement équilibré » (mishpat) 15. La première consiste non seulement à savoir s’appuyer sur le bien pour le faire grandir, mais encore à transformer le mal en © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) 124 PARDÈS N° 54 Isabelle Cohen bien 16. La deuxième aptitude du juste s’apparente presque à une fonction, puisqu’elle réside dans sa capacité à plaider pour Israël auprès de Dieu. La principale entrave de Joseph consiste, précisément, dans le fait qu’il a uploads/Religion/ parde-054-0121.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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