04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté fém

04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 1/25 Presses de l’Université Saint- Louis La critique historique à l’épreuve | Gaston Braive, Jean- Marie Cauchies Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du 04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 2/25 1 2 3 XIIIe siècle face aux béguines Michel Lauwers p. 99-115 Texte intégral En m’associant à l’hommage rendu à Jacques Paquet, je veux dire toute ma gratitude au professeur qui m’initia à la critique historique et qui, depuis, m’a toujours accueilli avec bienveillance. Je remercie Jacques Dalarun et Jean- Claude Schmitt qui ont bien voulu relire mon texte. Aux confins des XIIe et XIIIe siècles, un peu partout en Occident, des laïcs, nombreux, des femmes surtout, inaugurent de nouvelles expériences spirituelles et institutionnelles, que les historiens appellent aujourd’hui « semi-religieuses » pour signifier qu’elles n’étaient ni tout à fait religieuses, ni pourtant laïques. Au même moment, l’hagiographie atteste la promotion simultanée d’une sainteté laïque et d’une sainteté féminine, au caractère souvent mystique. Tandis que l’Église de cette époque se « cléricalisait », excluant catégoriquement les femmes des fonctions sacerdotales et de la plupart des fonctions rituelles, la piété féminine adoptait de nouvelles formes – extérieures aux structures ecclésiales –, tout en prenant parfois un tour prophétique et visionnaire dont témoigne l’hagiographie. L’alternative semi-religieuse et mystique, la seule pour les femmes face à l’autorité cléricale, encouragée par certains, fut le plus souvent crainte par les ecclésiastiques de la fin du moyen âge. Les expériences béguinales, qui se développent dans le courant du XIIIe siècle, participent aux mouvements semi-religieux1. Les béguines consacraient leur vie à Dieu, mais n’étaient pas astreintes aux vœux monastiques, à une vie commune 04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 3/25 4 5 régulière ou à une règle approuvée par la hiérarchie ecclésiastique ; tout en menant une vie « religieuse », elles restaient des « laïques ». Face au béguinisme, différents types d’attitudes ont été – simultanément – adoptés par l’Église du XIIIe siècle. Une première position consistait à dénoncer catégoriquement le mouvement béguinal et à faire des béguines des « hérétiques ». Il est vrai que, même « orthodoxes », les béguines mettaient implicitement en cause les structures ecclésiales du moment : en tant que femmes laïques désireuses de mener une vie religieuse, elles empiétaient sur les prérogatives – et le rôle social – des ecclésiastiques2. La Vie de Marie d’Oignies, écrite vers 1215 – par Jacques de Vitry, l’un des premiers documents à évoquer les expériences semi- religieuses féminines, témoigne déjà des accusations lancées par certains clercs, qui diffament la religionem predictarum mulierum et les accablent de noua nomina (dont celui de beguina qui, au seuil du XIIIe siècle, était synonyme d’« hérétique »)3. Un siècle plus tard, à la suite du concile de Vienne (1312), les béguines sont assimilées aux hérétiques de la secte du Libre Esprit. Mais dans la mesure où il fallait accepter le phénomène massif que représentait, dès le début du XIIIe siècle, le mouvement béguinal, les ecclésiastiques y ont aussi répondu d’autres manières. L’une d’entre elles consistait, pour les mieux contrôler, à rassembler et concentrer les béguines isolées en des lieux spécifiques (les « béguinages »), à doter leurs communautés de règles et à les visiter régulièrement. Pendant les derniers siècles du moyen âge, l’Église procède donc – comme l’attestent les décisions épiscopales sans cesse renouvelées-au « grand renfermement » du béguinisme. Renfermement concret, matériel. Mais aussi idéologique : certains clercs composent alors des récits édifiants – des Vies de saintes mettant en scène des semi-religieuses – offrant aux béguines des modèles, par ailleurs susceptibles de rassurer l’Église : les mulieres religiosae données en exemple par les récits hagiographiques étaient non seulement respectueuses 04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 4/25 6 7 *** des structures ecclésiales, mais leurs expériences religieuses – axées sur la pénitence sacramentelle, l’assistance aux sermons ou la réception de l’eucharistie-dépendaient même du ministère des ecclésiastiques, tandis que leur mysticisme visionnaire servait de complément à la religion plus « rationnelle » des clercs4. Apprécier les différentes facettes du mouvement béguinal et mystique est une tâche délicate pour l’historien. Les documents – normatifs ou hagiographiques – ne sont pas « neutres ». Mais surtout, ils renvoient à une réalité complexe et mouvante. Il faut en effet faire la part entre la norme ou le modèle et la pratique, entre les expériences vécues par la plupart des semi-religieuses et la sainteté de quelques-unes d’entre elles, voire entre la sainteté ascétique et mystique de l’une ou l’autre femme et la « sainteté ordinaire »5, presque introuvable, de plusieurs, et encore entre les écrits – que nous avons conservés – de quelques béguines et la majorité, muette à jamais, des mulieres religiosae. Est-il possible, en définitive, d’atteindre la vie et les pratiques des béguines, et non l’image que quelques ecclésiastiques bien disposés ont voulu en donner, de saisir les expériences semi-religieuses les plus courantes, et non la spiritualité de quelques figures hors du commun ? Dans un ouvrage récent, intéressant à bien des égards, l’historienne américaine Caroline W. Bynum tente de distinguer des pratiques religieuses particulières aux femmes de la fin du moyen âge. À la différence des hommes, écrit-elle, les femmes ne contrôlaient guère le pouvoir, l’argent ou le sexe ; pour elles, la perfection ne consistait dès lors pas tant que pour les hommes à abandonner un pouvoir (qu’elles n’avaient pas), à distribuer des richesses (dont elles ne pouvaient que rarement disposer), ou à s’abstenir de relations sexuelles (qu’elles subissaient plus qu’elles ne les suscitaient). Mais il y avait un domaine propre aux femmes, une ressource qu’elles contrôlaient : la nourriture, et plus précisément sa préparation. Or, constate C. Bynum, les jeûnes pénitentiels, les 04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 5/25 8 I. Sociabilités féminines distributions de nourriture aux pauvres, les miracles eucharistiques ou les dévotions au corps du Christ – des pratiques qui renvoient à la nutrition – constituent les traits dominants de la piété féminine présentée tant par l’hagiographie que par les écrits des femmes mystiques. C’est que, pour elles, le jeûne pouvait être un moyen de pression – le seul parfois – sur leur famille, et la dévotion eucharistique6 un moyen de pression sur les ecclésiastiques. Les pratiques d’ascèse des mystiques associent leur corps martyrisé à celui du Christ Souffrant ; et leur corps, d’où s’échappent de l’huile, du lait, du sang, devient même nourriture, comme celui du Christ : c’est une forme d’imitatio Christi typique des femmes. À la fin du moyen âge, les pratiques de dévotion féminines se modèlent donc sur les fonctions biologiques et sociales reconnues alors aux femmes ; les mulieres religiosae transforment en symboles leurs expériences ordinaires et quotidiennes7. Là peut-être, par-delà la diversité des situations, on saisit des attitudes féminines. Reste que l’on n’entend guère la voix des femmes. La « résistance » féminine au discours ecclésiastique est le plus souvent silencieuse. Et pourtant, de ce que pouvaient être des paroles de femmes, il reste quelques traces. Pour peu que l’on y regarde de près, les documents attestent l’existence de véritables « réseaux » de sociabilité féminine, liant entre elles les mulieres religiosae. Les liens qui unissaient ces femmes ne se limitaient pas aux relations que des semi-religieuses pouvaient entretenir au sein d’un béguinage. Souvent, en dehors même des communautés béguinales, les mulieres religiosae entraient en contact les unes avec les autres ; elles discutaient de leurs expériences religieuses, de leurs pratiques de dévotion, ou priaient ensemble ; elles s’écrivaient, qui pour demander, qui pour donner des conseils. C’est ainsi que Julienne, prieure de la léproserie du Comillon à Liège, se rendait souvent chez la recluse Ève de S.-Martin, pour réciter en sa compagnie une 04/05/2021 La critique historique à l’épreuve - Paroles de femmes, sainteté féminine. L’Église du XIIIe siècle face aux béguines - Presses de l’Univ… https://books-openedition-org.ezproxy.uca.fr/pusl/14577 6/25 9 10 II. La langue des femmes et le discours ecclésiastique Heure de l’Office ou pour s’y recueillir ; chaque jour, elle disait l’Office et le psautier avec une autre amie, Isabelle, et fréquemment, rencontrait des béguines auxquelles elle prodiguait ses conseils8. À la fin de sa vie, Julienne serait accueillie dans divers couvents de cisterciennes du diocèse de Liège – dont les relations avec les béguines étaient alors très étroites – ou chez de « pauvres béguines », à Namur. Avec l’abbesse de l’abbaye cistercienne de Salzinnes, elle avait des conversations portant sur la beauté du Magnificat9. Les autorités ecclésiastiques, soucieuses d’interdire aux mulieres religiosae de prêcher, autorisaient celles qui étaient groupées uploads/Religion/ presses-de-l-x27-universite-saint-louis-paroles-de-femmes-saintete-feminine-l-x27-eglise-du.pdf

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  • Publié le Aoû 24, 2022
  • Catégorie Religion
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